Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Le feul Coriolan infenfible en An de Ro apparence à sa disgrace; fortit de me 262. l'Affemblée avec la même tranquilité que s'il eût été abfous. Il fut d'abord à fa maifon où il trouva fa mere appellée Veturie, & Volomnie fa femme toutes en larmes, & dans les premiers tranfports de leur affliction. Il les exhorta en peu de paroles à foutenir ce coup de la fortune avec fermeté ; & après leur avoir recommandé fes enfans encore jeunes, il fortit fur le champ de fa maison & de Rome, feul & fans vouloir être accompagné par aucun de fes amis, ni fuivi par fes domeftiques & fes efclaves. Quelques Patriciens & quelques jeunes Sénateurs l'accompagnerent jufqu'aux portes de la Ville; mais fans qu'il lui échapât aucune plainte. Il fe fépara d'eux fans leur faire ni remerciement pour le passé, ni prieres pour l'avenir.

Jamais le Peuple n'avoit fait paroître tant de joye, même après avoir vaincu les plus grands ennemis de Rome, qu'il en fit éclater pour l'avantage qu'il venoit de

remporter fur le Sénat & fur le Corps de la Nobleffe. La forme du gouvernement venoit d'être abfolument changée par la condamnation & l'exil de Coriolan, & ce Peuple qui dépendoit aupa ravant des Patriciens, fe trouvoit leur Juge, & en droit de décider du fort de tout ce qu'il y avoit de D. H. 1.7 plus grand dans l'Etat.

En effet l'autorité fouveraine venoit de paffer du Sénat dans l'AL femblée du Peuple,ou pour mieux dire entre les mains de fes Tribuns qui fous prétexte de défendre les interêts des particuliers, fe rendoient les arbitres du gouvernement. Les Confuls, ces Chefs suprêmes de la République, leur étoient feuls redoutables. Ce fut pour en affoiblir le pouvoir & la confidération, qu'ils tâcherent de ne faire tomber cette Dignité qu'à des Patriciens dévouez à leurs interêts, ou fi peu eftimez qu'ils n'en euffent rien à craindre. Et pour préparer la multitude à donner fes fuffrages felon leurs vûës, ils infinuoient avec beaucoup d'art dans toutes les Affemblées, que les

plus grands Capitaines n'étoient pas les plus propres au gouvernement d'une République. Que ces courages fi fiers accoutumez dans les armées à un pouvoir abfolu rapportoient avec la victoire un efprit de hauteur toujours à craindre dans un Etat libre. Que dans l'affujetiffement fatal où fe trouvoit le Peuple de ne pouvoir tirer fes Confuls que du Corps des Patriciens, il étoit três-important dene choifir au moins que desefprits modérez, capables des affaires, mais fans trop d'élevation, & fans fupériorité.

Le Peuple qui n'agiffoit plus que par l'impreffion qu'il recevoit de fes Magiftrats, refufa fes fuffrages aux plus grands hommes de la République dans les Comices qui fe tinrent fous le Confulat de Q. Sulpitius. & de Sep. Largius, pour l'élection de leurs fucceffeurs. Le Sénat & les Patriciens difpofoient ordinairement de cette fouveraine Dignité, parce que l'on ne pouvoit être élu que dans une Affemblée par Centuries, où la Nobleffe avoit le plus grand nombre de

An de Re

me233.

voix, Mais dans cette occafion le Peuple l'emporta fur les Patriciens par l'habileté de fes Tribuns qui fçurent en gagner quelques-uns, & D. H 1.8, intimider les autres. C. Julius & An de Ro- P. Pinarius Rufus furent proclamez Confuls; ils étoient peu guerriers, fans confideration dans le Sénat, & ne feroient jamais parvenus à cette Dignité s'ils en avoient été dignes.

me. 264.

On peut dire à ce fujet que le Sénat & le peuple toujours oppofez de fentimens, alloient l'un & l'autre contre leurs veritables interêts, & fembloient vouloir allier deux chofes incompatibles. Tous les Romains tant Patriciens que Plébeïens, afpiroient à la conquête de l'Italie. Le commandement des Armées étoit réfervé aux feuls Patriciens qui étoient en poffeffion des Dignitez de l'Etat. Ils n'avoient pour foldats que des Plébeïens en qui ils euffent bien voulu trouver cette foumiffion timide, & cette dépendance fervile qu'à peine euffent-ils pû exiger de vils artifans, & d'une populace élevée & nourie dans l'obscurité.

Le

Le Peuple au contraire puiffant, nombreux & plein de cette férocité que donne l'exercice continuel des armes, ne cherchoit, pour diminuer l'autorité du gouvernement, que des Confuls & des Generaux indulgens, foibles, pleins d'égards pour la multitude, & qui euffent plutôt avec leurs foldats les manieres modeftes de l'égalité, que cet air élevé & ce caractere d'empire que donne le commandement des Armées. Il falloit pour faire ceffer la méfintelligence qui étoit entre ces deux Ordres de la République, ou que les uns & les autres réfoluffent de concert de fe renfermer paisiblement dans les bornes étroites de leur petit Etat, fans entreprendre de faire des conquêtes, ou que les Patriciens, s'ils vouloient fubjuguer leurs voifins, donnaffent plus de part dans le gouvernement à unPeuple guérier, bourgeois & citoien pendant l'hyver, mais foldat pendant tout l'été: & le Peuple à fon tour ne devoit choifir pour le commander que les plus habiles Généraux de la République.

Tome 1.

K

« AnteriorContinuar »