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ques-uns fe fortifient même jufques dans leurs maifons, comme fi l'ennemi eût déja été maître de la Ville. Dans cette confufion il n'y avoit ni difcipline ni commandement. Les Confuls qui ne fçavoient que craindre, fembloient avoir renoncé aux fonctions de leur dignité: on n'entendoit plus parler desTribuns. Dans cette terreur generale les particuliers ne prenoient l'ordre, pour ainsi dire, que de leur timidité. Ce n'étoient plus ces Romains fi fiers & fi intrépides; il fembloit que le courage de cette nation fût paffé avec Coriolan dans le parti des Volfques. Le Sénat s'affemble; ce ne font que confeils fur confeils, on ne forme aucun deffein digne du nom Romain; tout fe termine à envoyer de nouveaux Députez à l'ennemi, & pour le fléchir on employe les Miniftres de la Religion.

Les Prêtres, les Sacrificateurs, les Augures & les Gardiens des chofes facrées, revêtus de leurs habits de céremonie, fortent de Rome comme en proceffion. Ils entrent dans le camp ennemi avec

une contenance grave & modefte, propre à impofer à la multitude. Celui qui portoit la parole, conjure Coriolan par le respect dû aux Dieux, & par tout ce que la Religion a de plus facré, de donner la paix à fa patrie; mais ils le trouverent également dur & inéxorable. Il leur répondit que ce qu'ils demandoient,dépendoit uniquement des Romains, & qu'ils auroient la paix dès qu'ils fe mettroient en état de reftituer les pays qu'ils avoient ufurpez fur leurs voifins. Il ajouta qu'il n'ignoroit pas que les premiers Rois de Rome pour exciter l'ambition des Romains, & juftifier leurs brigandages, avoient eu l'adreffe de répandre dans le public, que les Dieux deftinoient l'Empire du Monde à la ville de Rome. Que le Sénat avoit pris grand foin d'entretenir une opinion que la Religion rendoit refpectable, & que le peuple prévenu & entêté de ces vifions, trouvoit juftes & faintes toutes les guerres qui alloient à l'agrandiffement de leur patrie. que les voisins de Rome ne

Mais

fe croyoient pas obligez de fe foumettre fur des révélations fi fufpectes & fi intéreffées. Que la conjoncture préfente en juftifioit affez la fausseté; qu'il ne pouvoit leur diffimuler qu'il étoit fûr d'emporter la place en peu de temps. Que les Romains pour ne pas rendre des terres injuftement acquifes, s'expofoient à perdre leurs propres Etats; & que pour lui il proteftoit devant les Dieux qu'il étoit innocent de tout le fang qu'on n'alloit répandre que par leur opiniâtreté à retenir le fruit de leurs ufurpations. Ayant enfuite donné quelques marques de refpect & de vénération extérieure qu'il croyoit devoir à la fainteté de leur caractere, il les renvoya fur le champ, & fans vouloir rien relâcher de fes premieres propofitions.

Quand on les vit revenir à Rome fans avoir pû rien obtenir, on crut la République à la veille de fa ruine. Les Temples n'étoient remplis que de vieillards, de femmes, d'enfans, qui tous les larmes aux yeux & profternez aux

pieds

pieds des Autels demandoicnt aux Dieux la confervation de leur patrie. Telle étoit la trifte fituation de la Ville, lorfqu'une Romaine appellée Valerie, foeur de Valerius Publicola, comme émûë par une infpiration divine, fortit du Capitole, accompagnée d'un grand nombre de femmes de fa condition, aufquelles elle avoit communiqué fon deffein, & fut droit à la maifon de Véturie mere de Coriolan. Elles la trouverent avec Volomnie femme de ce Romain, qui déploroient leurs propres malheurs & ceux de Rome.

Valerie les aborda avec un air de trifteffe convenable à l'état préfent de la République : » Ce font des Romaines, leur dit-elle, qui « ont recours à deux Romaines << pour le falut de leur patrie com- «< mune. Ne fouffrez pas, femmes << illuftres, que Rome devienne la « proye des Volfques, & que nos « ennemis triomphent de notre li- « berté. Venez avec nous jufques dans le camp de Coriolan lui de- «< mander la paix pour fes conci- « toyens: toute notre espérance « Tome I.

L

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&

» eft dans ce respect fi connu, » dans cette tendre affection qu'il » a toûjours eue pour une mere & » pour une femme fi vertueuses. Priez, preffez, conjurez. Un fi » homme de bien ne pourra rési»fter à vos larmes. Nous vous fui»vrons toutes avec nos enfans: » nous nous jetterons à fes pieds. » Et qui fçait fi les Dieux touchez » de notre jufte douleur, ne con» ferveront point une Ville dont » il femble que les hommes aban» donnent la défense?

-Les larmes que Valerie répandoit en abondance, interrompirent un difcours fi touchant, auquel Véturie répondit avec une trifteffe égale: Vous avez recours, Vale

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rie, à une foible reffource, en "vous adreffant à deux femmes » abîmées dans la douleur, Depuis » ce malheureux jour où le peuple » furieux bannit fi injuftement Coriolan, nous vîmes difparoître ce refpect filial & cette ten»dre affection qu'il avoit euë jufqu'alors pour fa mere, & pour » une femme très-chere. Au fortir » de l'Affemblée où il venoit d'ê

"

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