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tre condamné, il nous aborda « d'un air farouche; & après être « demeuré quelque temps dans un « morne filence: C'en eft fait, « nous dit-il, Coriolan eft con- « damné des citoyens ingrats « viennent de me bannir pour tou- « jours du fein de ma patrie. Sou- «é tenez ce coup de la fortune avec « un courage digne de deux Ro- « maines. Je vous recommande « mes enfans: adieu, je pars, & « j'abandonne fans peine une ville « où l'on ne peut fouffrir les gens de de bien: il s'échappe en difant « ces mors. Nous nous mîmes en « état de le fuivre: je tenois fon « fils aîné par la main, & Volom- « nie qui fondoit en larmes portoit « le plus jeune dans fes bras. Pour « lors fe tournant vers nous : N'al- « lez pas plus loin, nous dit-il, & « finiffez des plaintes inutiles. Vous« n'avez plus de fils, ma mere; & « vous, Volomnie, la meilleure «< de toutes les femmes, votre mari & eft perdu pour vous. Faffent les « Dieux que vous en trouviez bien-«< tôt un autre digne de votre ver- « tu, & plus heureux que Corio- <

» lan! Sa femme à un discours fi » dur & fi inhumain tombe éva» noüie, & pendant que je cours à » fon fecours il nous quitte brufquement avec la dureté d'un barbare, fans daigner recevoir »nos derniers embraffemens, & fans nous donner dans une fi » grande affliction la plus legere » marque de compaffion pour nos » malheurs. Il fort de Rome, feul, » fans domeftiques, fans argent, » fans nous dire feulement de quel » côté il tournoit fes pas. Depuis » qu'il nous a abandonnées, il ne » s'eft point informé de fa famille, » & ne nous a point donné de fes »> nouvelles; en forte qu'il fem»ble que dans la haine generale qu'il fait paroître contre fa patrie, fa mere & fa femme foient » fes plus grands ennemis.

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Quel fuccès pouvez vous donc efperer de nos prieres auprès » d'un homme fi implacable? » Deux femmes pourront-elles flé» chir ce coeur fi dur, que les Mi»niftres même de la Religion » n'ont pû adoucir? Et après tout, que lui dirai-je ? Que puis-je

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honnêtement exiger de lui?« Qu'il pardonne à des citoyens « ingrats qui l'ont traité comme « un homme noirci des plus grands « crimes? Qu'il ait pitié d'une po- « pulace furieufe qui n'en a point eu de fon innocence ? Et qu'il trahiffe une nation, qui non-feu- « lement lui a ouvert un azyle, mais même qui l'a préféré à fes « plus illuftres citoyens dans le « commandement des armées ? De « quel front oferai-je lui propofer d'abandonner de fi genereux pró « tecteurs pour fe livrer de nou-« veau à fes plus cruels ennemis ?« Une mere & une femme Romai- « nes peuvent-elles exiger avec « bien-féance d'un fils & d'un ma- « ri, des chofes qui le deshonore-« roient devant les Dieux & de- « vant les hommes? Trifte fitua-« tion où il ne nous est pas même « permis de haïr le plus redoutable « ennemi de notre patrie! Aban- « donnez nous donc à nos malheu-« reufes destinées; laissez nous enfevelies dans notre jufte douleur. « Valerie & les autres femmes qui l'accompagnoient, ne lui rés

pondirent que par leurs larmes. Les unes embraffent fes genoux; d'autres fupplient Volomnie de joindre fes prieres aux leurs ; toutes conjurent Véturie de ne pas refufer ce dernier fecours à fa patrie. La mere de Coriolan vaincuě par des prieres fi preffantes, leur promit de fe charger de cette nouvelle députation, fi le Sénat y confentoit. Valerie en donna avis aux Confuls qui en firent la propofition en plein Sénat. On agita longtemps cette affaire: les uns s'y oppofoient dans la crainte que Coriolan ne retînt toutes ces femmes qui étoient des premieres maifons de Rome, & qu'il ne s'en fervit enfuite pour s'en faire ouvrir les portes fans tirer l'épée. Quelquesuns propofoient même de s'affurer de fa mere, de fa femme, & de fes enfans, comme d'autant d'ôtages qui pourroient le porter à quelque ménagement. Mais le plus grand nombre approuva cette députation, en difant que les Dieux qui avoient infpiré ce pieux deffein à Valerie, le feroient réüffir; & qu'on n'avoit rien à craindre du

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caractere de Coriolan, fier à la vérité, dur & infléxible, mais incapable de violer le droit des gens. Čet avis l'emporta, & le lendemain tout ce qu'il y avoit de plus illuftre parmi les femmes Romaines, fe rendit chez Véturie. On les fit monter auffi-tôt dans des chariots que les Confuls leur avoient fait préparer, & elles prirent fans escorte le chemin du camp ennemi.

Coriolan ayant apperçû cette longue file de coches & de chariots, les envoya reconnoître. On lui rapporta peu de temps après que c'étoit fa mere, fa femme, & un grand nombre d'autres femmes qui venoient droit au camp. Il fut d'abord furpris que des femmes Romaines élevées dans cette au ftere retraite qui leur faifoit tant d'honneur, euffent pû fe réfoudre à venir fans efcorte dans une armée ennemie, parmi les foldats où regne ordinairement tant de licence. Il jugea bien par cette députation d'une efpece fi nouvelle, quelles pouvoient être les vûës des Romains; il comprit que

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