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propos. Quand la guerre étoit déclarée, il commandoit les armées &y décidoit des entreprifes militaires, fans être obligé de prendre l'avis ni du Sénat,ni du Peuple ; & après que fon autorité étoit expirée, il ne rendoit compte à perfonne de tout ce qu'il avoit fait pendant fon administration.

T. Largius étant revêtu de cette grande dignité, nomma fans la participation du Sénat & du Peuple, Spurius Caffius Vifcellinus pour Général de la Cavalerie ; & quoi qu'il fût le plus modéré du Sénat, il affecta de faire toutes chofes avec hauteur pour fe faire craindre du Peuple, & pour le faire rentrer plûtôt dans fon devoir. La fermeté du Dictateur jetta une grande crainte dans les efprits; on vit bien que fous un Magiftrat fi abfolu, & qui ne manqueroit pas de faire un exemple du premier rebelle, il n'y avoit point d'autre parti à prendre que celui de la foûmiflion.

T. Largius affis dans une haute chaire, & comme dans un Trône qu'il avoit fait mettre dans la pla

ce publique, & environné de fes Liceurs armez de leurs haches, fit appeller tous les Citoyens les uns après les autres. Les Plébeïens fans ofer remuer, fe préfenterent docilement pour être enrôlez ; & chacun rempli de crainte, fe rangea fous les enfeignes. Cependant cet appareil formidable de guerre fe tourna en négociation : les Sabins épouvantez demanderent la paix fans la pouvoir obtenir. Mais il y eut comme une Tréve qui dura près d'un an, & le fage Dictateur fçût par une conduite également ferme & modérée, fe faire craindre & refpecter des ennemis & de fes Concitoyens.

Mais la fin de la Dictature fit biertôt renaître ces diffentions domeftiques, que l'appréhenfion d'une guerre prochaine n'avoit que fufpendues. Les créanciers recommencerent à pourfuivre leurs débiteurs, & ceux-ci renouvellerent leurs murmures & leurs plaintes. Cette grande affaire excita de nouveaux troubles, & le Sénat voulant en prévenir les fuites, fit tomber le Confulat à Appius Clau

dius dont il connoiffoit la fermeté. Mais de peur qu'il ne la portât trop loin, on lui donna pour Collégue Servilius, perfonnage d'un caractere doux & humain, & agréable aux pauvres & à la multitude. Ces deux Magistrats ne manquerent pas de fe trouver d'avis oppofez. Servilius par bonté & par compaffion pour les malheureux, inclinoit à la fuppreffion des dettes, ou du moins il vouloit qu'on diminuât du principal ces intérêts ufuraires & accumulez qui l'excédoient confidérablement. Il exhortoit le Sénat à en faire un Reglement qui foulageât le peuple, & qui affurât pour toûjours la tranquillité de l'Etat.

Mais Appius févére obfervateur des Loix, foûtenoit avec fa fermeté ordinaire, qu'il y avoit une injustice manifefte à vouloir foulager les débiteurs aux dépens de la fortune de leurs créanciers; que ce projet alloit même à la ruine de la fubordination neceffaire dans un Etat bien policé; que la con. defcendance que Servilius vou loit qu'on eût pour les befoins du

peuple, ne feroit regardée par les
mutins que comme une foibleffe
déguifée, & feroit naître de nou-
velles prétentions; qu'au con-
traire rien ne marqueroit mieux la
puiffance de la République que la
jufte feverité dont on uferoit en-
vers ceux qui par leurs cabales &
par
leur défobéiffance avoient vio
lé la majefté du Sénat.

Le Peuple inftruit de ce qui s'étoit paffé dans le Sénat, & informé des difpofitions différentes des deux Confuls, donne autant de louanges à Servilius, qu'il répand d'imprécations contre Appius. Les plus mutins s'atroupent de nouveau; on tient des affemblées secretes de nuit, & dans des lieux écartez: tout eft en mouvement lorfque la calamité d'un particulier fait éclater le mécontentement public, & excite une fédition générale.

Un Plébéïen chargé de fers vint Tic. Liv. fe jetter dans la place publique 1.2. Dec. 1. comme dans un azile. Ses habits étoient déchirez, il étoit pâle & défiguré; une grande barbe, & des cheveux négligez & en défordre

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rendoient fon visage affreux. On ne laiffa pas de le reconnoître, & quelques perfonnes fe fouvinrent de l'avoir vû dans les armées, commander & combattre avec beaucoup de valeur. Il montroit lui-même les cicatrices des bleffures qu'il avoit reçûës en différentes occafions; il nommoit les Confuls & les Tribuns fous lefquels il avoit fervi, & adreffant la parole à une multitude de gens qui l'environnoient, & qui lui demandoient avec empreffement la caufe de l'état déplorable où il étoit réduit, il leur dit, que pendant qu'il portoit les armes pendant la derniere guerre qu'on avoit faite contre les Sabins, non-feulement il n'avoit pû cultiver fon petit héritage, mais que les ennemis même dans une course, après avoir pillé fa maison, y avoient mis le feu. Que les befoins de la vie, & les tributs qu'on l'avoit obligé de payer malgré cette difgrace, l'avoient forcé de faire des dettes; que les intérêts s'étant infenfiblement accumulez, il s'étoit vû rẻduit à la trifte néceffité de céder

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