avec de grands applaudissemens, & il attendoit avec confiance l'effet de ses promesses. Servilius n'oublia rien pour porter le Sénat à accorder une abolition générale des dettes. Mais Appius qui regardoit tout changement dans les Loix comme dangereux, s'opposa hautement aux intentions de fon Collégue. II autorisa de nouveau les créanciers qui traînoient leurs débiteurs en prifon; & les applaudiffemens qu'il en recevoit des riches, & fes imprécations des pauvres, concouroient également à entretenir la dureté de ce Magif trat. Ceux qu'on arrêtoit en appelJoient à Servilius; ils lui repréfentoient les promesses qu'il avoit faites au peuple avant la campagne, & les services qu'ils avoient rendus à la guerre. On crioit tout haut devant son Tribunal, ou qu'en qualité de Conful & de premier Magistrat il prît la défense de ses Concitoyens, ou que comme Gé néral il n'abandonnât pas les intérêts de ses Soldats. Mais Servilius d'un caractére doux & timide, n'osa se déclarer ouvertement Tit. Liv. contre le Corps entier des Patri, Dec.1.1. ciens; & en voulant ménager les deux partis, il les offensa tous deux, en forte qu'il ne put éviter la haine de l'un, & le mépris de l'autre. - Le peuple se voyant abandonné -de Servilius, & perfécuté par fon Collégue, s'assemble tumultuaire- ment, confere, & prend la réfolution de ne devoir son salut qu'à luimême, & d'opposer la force à la tyrannie. Les débiteurs poursuivis jusques dans la place par leurs créanciers, y trouvent un azyle affuré dans la foule; la multitude en fureur frappe, écarte & repoufse ces impitoyables créanciers qui implorent en vain le secours des Loix. Une nouvelle irruption des Volsques, des Sabins & des Eques, hauffe encore le courage du peuple, qui refuse ouvertement de marcher contre l'ennemi. A. Virginius & T. Vetusius qui An de Ro avoient succédé dans le Consulat me 219. à Appius & à Servilius, tenterent par un coup d'autorité de dissiper ce tumulte. Ils firent arrêter un Plébéïen qui refusoit de s'enroler; mais le peuple toûjours furieux, l'arracha des mains des Licteurs, & les Confuls éprouverent dans cette occasion combien la Majefté sans la force est peu considérée. Une désobeïssance si déclarée, & peu différente d'une révolte, alIarma le Sénat, qui s'assembia extraordinairement. T. Largius que nous avons vû Dictateur: opina le premier. Cet ancien Magistrat si respectable par sa sagesse & par sa fermeté, dit qu'il voyoit avec beaucoup de douleur Rome comme partagée en deux Nations, & former comme deux Villes différentes. Que la premiere n'étoit remplie que de richesses & d'orgueïl, & la seconde de misére & de rebelIion. Que dans l'une & dans l'autre on ne voyoitni justice, ni honneur, ni même de bienséance, & que la fierté des Grands n'étoit pas moins odieuse, que la désobeïffance du petit peuple. Qu'il étoit cependant obligé d'avoüer qu'il prévoyoit que l'extrême pauvreté du peuple entretiendroit toujours la dissention, & qu'il ne croyoit pas qu'on pût rétablir l'union & la Concorde entre ces deux Ordres, que par une abolition générale des dettes. D'autres Sénateurs étoient d'avis qu'on restraignît cette grace en faveur de ceux qui dans les dernieres guerres avoient servi utilement la République; & ils représentoient que c'étoit une justice qui leur étoit dûë, & que la parole deServilius y étoit même engagée. Appius, quand ce fut fon rang à opiner, s'opposa également à ces deux avis: Tant de mutineries, ditil, ne procedent pas de la misere « du peuple, c'est bien plûtôt l'ef-ce fet d'une licence effrenée qu'il ce plaît à des séditieux d'appeller du nom de liberté. Tout ce défordre n'a pris naissance que de l'abus que le peuple fait de la Loi Valeria.co On viole impunément la Majesté « des Confuls , parce que les mutins ont la faculté d'appeller de la condamnation du crime, devant les complices même de ce « crime; & quel ordre peut-on ja- « mais espérer d'établir dans un ce Etat où les Ordonnances des Magiftrats sont soûmises à la révision » & au jugement d'une populace >> qui n'a pour regle que son ca>> price & fa fureur ? Seigneurs, >> ajoûta Appius, il faut créer un >>Dictateur dont les jugemens font >> sans appel; & ne craignez pas >> après cela qu'il y ait des Plé» béïens affez infolens pour re>> pouffer les Licteurs d'un Magif>> trat qui sera maître de disposer >> fouverainement de leurs biens » & de leurs vies. Les jeunes Sénateurs jaloux de P'honneur du Sénat, & ceux furtout qui étoient intéressez dans l'abolition des dettes, fe déclarerent pour l'avis d'Appius: ils vouloient même lui déférer cette grande Dignité. Ils difoient qu'il n'y avoit qu'un homme aussi ferme & aussi intrépide, qui fût capable de faire rentrer le peuple dans son devoir. Mais les anciens Sénateurs & les plus modérez , trouverent que cette fouveraine Puissance étoit assez formidable d'elle même, fans en revêtir encore un homme naturellement dur & odieux à la multitude. L'un des Consuls par leurs avis nomma pour Dictateur |