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ORA, une des maitreffes de Jupiter, qui la rendit mère d'un fils nommé Colax.

ORA étoit 1°. chez les latins la bordure & le bord d'un vêtement, 2°. le cable qui lioit un navire à la terre ( Quintil. praf. ad Tryphon.): Permittamus vela ventis, & oram folventibus bene precemur; 3°. un efpace. Virgile dit ( Æneid. IX. 528.):

Et mecum ingentes oras evolvite belli,

Aucuns voilés n'obfcurciffoient le firmament: des zéphirs éternels parfumoient l'air des préfens de Flore; le foleil n'avoit que des rayons favo. rables: les influences du ciel, répandues en douce rofée, devenoient la graiffe de la terre. Les troupeaux mêlés enfemble bondiffoient en fûreté dans les gras pâturages, & l'agneau égaré dormoit tranquillement au milieu des loups. Le lion étincelant n'allarmoit pas les foibles animaux qui paiffoient dans les vallons; confidérant d'abord dans fa retraite fombre le concert de la nature, fon terrible coeur en fut adouci, & fe vit forcé d'y joindre le tribut de fa trifte joie; tant l'harmonie tenoit toutes chofes dans une union parfaite la flûte foupiroit doucement; la mélodie des voix fufpendoit toute agitation. L'écho des montagnes répé-plus religieufe efpèce de prédiction qui fût toit ces fons harmonieux; le murmure des vents & celui des eaux s'uniffoient à tous ces accords.

Les orages n'ofoient fouffler, ni les ouragans paroître; les eaux argentines couloient tranquillement. Les matières fulfureufes ne s'élevoient pas dans les airs pour y former les terribles météores. L'humidité mal-faine & les brouillards encore plus dangereux ne corrompoient pas les fources de la vie. Tels étoient les premiers jours du monde dans fon enfance. Alors, pour m'exprimer dans le langage des dieux :

La terre féconde & parée
Marioit l'automne au printemps 5
L'ardent Phoebus, le froid Borée
Refpectoient l'honneur de nos champs.
Par-tout les dons brillans de Flore
Sous les pas s'empreffoient d'éclore
Au gré des zéphyrs amoureux ;
Les moiffons inondant nos plaines,
N'étoient ni le fruit de nos peines,
Ni le prix tardif de nos vœux.

Alors l'homme ne cherchoit pas fa félicité dans le fuperflu, & la faim des richeffes n'allumoit pas en lui des defirs insatiables.

Mais bientôt ces temps rapides & innocens ont fait place aux fiècles de fer. Difciples de la nature, vous connoiffez cependant encore cet âge brilAntiquités, Tome 1V.

à l'imitation d'Ennius, dont on lit ce vers dans
Macrobe (Saturnal. VI. 1.):

Quis potis ingentes oras evolvere belli?

ORACLES, c'étoit la plus augufte & la

dans l'antiquité. Les oracles avoient pour but un
commerce immédiat avec les dieux, pour en
obtenir des lumières dans les affaires épineuses,
& le plus fouvent la connoiffance de l'avenir. A
peine furent ils établis qu'on ne connut bientôt
plus d'autre façon de fe décider. Falloit-il dé-
clarer la guerre, introduire quelque nouveauté
dans le gouvernement, impofer une loi, on in-
terrogeoit l'oracle, & fa réponse étoit inviolable
& facrée. Jupiter étoit regardé comme le premier
moteur des oracles, & la première fource 'de
toute divination; le livre du deftin s'ouvroit à
fes yeux, & il en révéloit plus ou moins, felon fon
bon plaifir, aux divinités fubalternes. Les oracles
les plus accrédités & les plus multipliés, étoient
ceux d'Apollon; Jupiter s'étoit déchargé fur ce
dieu du foin d'infpirer toutes fortes de devins
& de prophêtes. Entre les oracles d'Apollon.
celui de Delphes étoit renommé, moins encore
par fon ancienneté que par fa précision & la
clarté de fes réponfes: les oracles du trépied
paffoient en proverbe pour des vérités claires
& infaillibles.

Le privilége des oracles fut accordé, dans la
fuite, à prefque tous les dieux & à un grand
nombre de héros. Outre ceux de Delphes & de
Claros, en l'honneur d'Apollon; & ceux de
Dodone & d'Ammon, en l'honneur de Jupiter;
Mars eut un oracle dans la Thrace; Mercure
à Patras; Venus, à Paphos & dans l'île de Cy-
pre; Minerve, à Micènes; Diane, dans la Col-
chide; Pan, dans l'Arradie; Efculape, à Epi-
daure & à Rome; Hercule, à Athènes & à
Gadès; Sérapis, à Aléxandrie; Trophonius en

Hhh

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ORA

eût in célèbie dans la Béotie; il n'y eut pas, jufqu'au boeuf Apis, qui n'eût fon oracle en Egypte.

Pour confulter l'oracle, il falloit choifir le temps où l'on croyoit que les dieux en rendoient; car tous les jours n'étoient pas égaux. A Delphes, il n'y avoit d'abord qu'un mois de l'année, où la Pythie répondit à ceux qui venoient confulter Apollon. Dans la fuite, ce fut un jour de chaque mois que le dieu rendoit fes oracles. Ils ne fe rendoient pas non plus tous de la même mamère: ici c'étoit la prêtreffe qui répondoit pour le dieu que l'on confultoit: là c'étoit le dieu lui-même qui rendoit l'oracle; dans un autre endroit on recevoit la réponse du dieu pendant le fommeil, & ce fommeil même étoit préparé par des difpofitions particulières qui avoient quelque chofe de mystérieux. Quelque fois c'étoit par des billets cachetés: ou enfin on recevoit Poracle en jettans des forts, comme à Préneste, en Italie. Il falloit quelquefois, pour fe rendre digne de l'oracle, beaucoup de préparations, des jeûnes, par exemple, des facrifices, des luftrations, &c. D'autrefois les dieux étoient moins difficiles, & le confultant recevoit la réponse en abordant l'oracle, comme il arriva à Alexandre, qui alla confulter Jupiter-Ammon.

Les anciens peuples du nord avoient auffi leurs oracles, comme les peuples d'Italie & de Grèce; & ces oracles n'étoient ni moins révérés, ni moins célèbres. C'étoit ou les dieux, ou les déeffes, ou les parques, qui les rendoient dans leurs temples. Celui d'Upfal étoit fameux pour les oracles, comme pour les facrifices (voyez ODIN). Il y en avoit auffi de renommés en Dalie, province de Suède en Norvége, & en Dannemarck,

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C'étoit, dit Saxon le grammairien, une cou-
»> tume des anciens danois, de confulter les
oracles des parques, fur la future deftinée des
enfans qui venoient de naître. Auffi Fridleif,
voulant favoir celle de fon fils Olaŭs, entra
dans le temple des dieux pour prier, & ayant
» été introduit dans le fanctuaire, il voit trois
déeffes fur autant de fièges: (c'étoit les trois
» parques). La première, qui étoit d'un natu-
accorda à l'enfant la bonté
rel bienfaisant >

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» & le don de plaire; la feconde lui donna un
» cœur libéral; mais la troifième, qui étoit en-
» vieufe & méchante, pour détruire l'ouvrage
» de fes fœurs, lui imprima la tache de l'ava-
"rice". Les idoles, fi l'on en croit les an-
ciennes chroniques Iflandoifes, rendoient les ora-
cles verbalement. On y trouve qu'un certain
Indrid étoit forti de chez-lui, pour aller atten-
Thorttein, étant
dre Thoftein fon ennemi.
» arrivé, entra dans le temple où il y avoit
» une pierre qu'il avoit coutume d'adorer: il fe
» profterna devant elle, & Finvoqua. Indrid,

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qui étoit dehors, entendit la pierre chanter » ces vers : c'eft pour la dernière fois, c'est » avec des pieds qui touchent au fépulcre » que tu es venu dans ce lieu; car il eft » certain qu'avant que le foleil fe lève, le cou» rageux Indrid te fera fentir fa haine.» Les idoles rendoient auffi les oracles par un gefte, par un figne de tête. On lit dans l'hiftoire d'Olaüs, roi de Norvège, qu'un feigneur, nommé Haquin, entra dans un temple, & le profterna devant une idole qui tenoit un bracelet d'or. Haquin, voyant bien que tant que l'idole ne lui abandonneroit pas le bracelet, elle ne feroit pas reconciliée avec lui; & ayant fait de vains efforts pour le lui ôter, il fe mit à prier de nouveau, & à lui offrir des préfens. S'étant levé une feconde fois, l'idole lâcha le bracelet, & il s'en alla fatisfait. Il feroit trop long de détailler toutes les espèces d'oracles qui captivoient la crédulité des peuples du Nord ; il fuffit d'avertir qu'il n'y a aucune différence effentielle entre la manière dont ils fe font rendus dans le Midi & dans le Nord de l'Europe, & dans l'Afie; & f le luxe des grecs, des romains, & des afiatiques, les orna de plus de pompe, que n'en comportoit la fimplicité des habitans du Nord, ceux-ci n'en eurent pas moins de vénération pour leurs oracles, que les autres. Il faut en dire autant des devins & devinereffes. Les uns avoient des efprits familiers qui ne les quittoient point, & que l'on confultoit fous la forme de petites idoles. D'autres évoquoient les mânes de leurs tombeaux, & forçoient les morts à raconter les deftinées. C'eft ainfi qu'Odin lui-même confultoit les morts, fur ce qui fe paffoit dans les pays éloignés. Les poëtes de profeffion avoient auf la faculté d'évoquer les ames, pour apprendre l'avenir par la force de certaines chanfons qu'ils fçavoient compofer. Les caractères runiques avoient auffi des propriétés merveilleufes: par différentes combinaifons de ces lettres, on obtenoit la victoire, en fe préfervoit du poison, ou guériffoit les femmes en travai!, on chaffoit les mauvaifes penfées de l'efprit, on diffipoit les chagrins, on fléchiffoit les rigueurs d'une maîtreffe. Les plus favans paffoient pour favoir même reffufciter les morts. Il falloit, fuivant les différentes occafions, écrire, ou de la droite à la gauche, ou de la gauche à la droite, ou du haut en bas, ou en cercle, ou contre le cours du foleil, &c. On 1 foit auffi l'avenir dans les entrailles des victimes, dans le chant des oifeaux; en un mot, les augures avoient autant de crédit, étoient autant confultés, & régloient autant de chofes dans la Scandinavie qu'à Rome. (Tout ce qui concerne ici les oracles des peuples du Nord, elt tiré de l'introduction à l'hiftoire du Dannemarck, par Mallet.)

Deux célèbres queftions fe font élevées de nos jours fur cette matière; favoir la première, s'il y a eu véritablement des oracles, rendus par l'opé

ration des démons, ou fi tous les oracles dont les anciens nous parlent, étoient une pure impofture des prêtres, des prophètes & des autres miniftres de la religion païenne. La feconde queftion, qui a beaucoup de rapport avec la première, eft de favoir fi les oracles ont ceffé à la naiffance du chriftianifme. Celle-ci paroît décidée pour la négative fur les témoignages de l'hiftoire. qui rapporte un grand nombre d'exemples d'oracles, confultés jufqu'au quatrième fiècle, & plufieurs loix des empereurs chrétiens, Théodofe, Gratien & Valentinien, contre ceux qui interrogeoient encore les oracles: preuve certaine que la ceffation des oracles n'a eu lieu en Europe & en Afie, qu'avec celle du Paganifme, plufieurs fiècles après l'ère vulgaire. Voyez AMMON, АРНАСІТЕ, CLAROS, DELPHES, SORTS, &c.

On pourroit prouver invinciblement que les cracles n'étoient rendus que par des prêtres, en dévoilant leurs artifices, & le détail n'en feroit pennuieux; mais il faut, pour abréger, nous reft indre à des généralités iur cet article.

Remarquez d'abord que les pays montagneux, & par conséquent pleins d'antres & de cavernes, fe trouvoient les plus abondans en oracles, Telle étoit la Béotie, qui anciennement, dit Plutarque, en avoit une très-grande quantité. On fait d'un autre côté que les béotiens paffoient pour être les plus fottes gens du monde ; c'étoit-là un bon pays pour les oracles ; des fots & des cavernes !

On n'imagine pas cependant que le premier établiffement des oracles ait été une pofture méditée; mais le peuple tomba dans quelque fuperftition qui donna lieu à des gens un peu plus rafinés d'en profiter; car les fottifes du peuple font telles affez fonvent, qu'elles n'ont pu être prévues, & quelquefois ceux qui les trompoient, ne fongeoient à rien moins, & ont été invités par lui-même à le tromper. Ainfi on n'a point mis d'abord des oracles dans la Béotie, parce qu'elle eft montagneufe; mais l'oracle de Delphes ayant une fois pris naiffance dans la Béotie, les autres que l'on fit à fon imitation dans le même pays, furent mis dans des cavernes, parce que les prêtres en avoient reconnu la commodité.

Cet ufage enfuite fe répandit prefque par-tout. Le prétexte des exhalaifons divines rendoit les cavernes néceffaires : & il femble de plus que les cavernes infpirent d'elles-mêmes on ne fait quelle borreur, qui n'eft pas inutile à la fuperftition. Peut être la fituation de Delphes a-t-elle bien fervi à la faire regarder comme une ville fainte. Elle étoit à moitié chemin de la montagne du Parnaffe, bâtie fur un petit tertre, & environnée de précipices, qui la fortifioient fans le fecours de l'art. La partie de la montagne qui étoit au-dessus,

avoit à-peu-près la figure d'un théatre, & les cris des hommes, & le fon des trompettes fe multipliorent dans les rochers.

La commodité des prêtres & la majefté des oracles demandoient donc également des cavernes ; auffi ne voyez-vous pas un fi grand nombre de temples prophétiques dans les pays plats; mais s'il y en avoit quelques-uns, on favoit bien remédier à ce défaut de leur fituation. Au lieu de cavernes naturelles, on en faifoit d'artificielles, c'est-à-dire, de ces fanctuaires qui étoient des espèces d'antres, où réfidoit particulièrement la divinité, & ou d'autres que les prêtres n'entroient jamais.

Dans ces fanctuaires ténébreux étoient cachées toutes les machines des prêtres, & ils y entroient par des conduits fouterrains. Rufin nous décrit le temple de Serapis plein de chemins couverts; & pour rapporter un témoignage encore plus fort que le fien, les livres des juifs ne nous apprennent-ils pas comment Daniel découvrit l'impofture des prêtres de Belus, qui favoient bien rentrer fecrettement dans fon temple, pour prendre les viandes qu'on y avoit offertes? Il s'agit là d'un des miracles du paganifme, qui étoit cru le plus univerfellement, de ces victimes que les dieux prenoient la peine de venir manger eux-mêmes. Combien, après tout, devoit-il être plus aifé de perfuader aux peuples que les dieux defcendoient dans des temples pour leur parler, leur donner des inftructions inutiles, que de leur perfuader qu'ils venoient manger des membres de chèvres & de moutons ? Et fi les prêtres mangeoient en la place des dieux, à plus forte raifon pouvoient ils parler auffi en leur place.,

Les prêtres, pour mieux jouer leur jeu, établi rent encore dé certains jours malheureux, où n'étoit point permis de confulter l'oracle. Par ce moyen, ils pouvoient renvoyer les confultans Jorfqu'ils avoient des raifons de ne pas répondres ou bien pendant ce temps de filence, i's prenoient leurs mefures & faifoient leurs préparatifs.

A l'occafion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus fpirituels oracles qui ait jamais exifté. Il étoit allé à Delphes pour confulter le Dieu; & la prêtreffe, qui prétendoit qu'il n'étoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le temple. Alexandre, qui étoit impérieux, la prit par le bras pour l'y mener de force; & elle s'écria: Ah! mon fils, on ne peut te refifter!-Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet oracle me fuffit.

Les prêtres avoient encore un fecret pour gagner du temps, quand il leur plaifoit. Avant que de confulter l'oracle, il falloit facrifier; & fi les entrailles des victimes n'étoient point heureufes, le dieu

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ORA

n'étoit point en état de répondre : & qui jugeoit des entrailles des victimes? les prêtres. Le plus fouvent même, ainfi qu'il paroît par beaucoup d'exemples, ils étoient feuls à les examiner: & tel, qu'on obligeoit à recommencer le facrifice, avoit pourtant immolé un animal dont le coeur & le foie étoient les plus beaux du monde.

Les prêtres firent mieux encore, ils établirent certains myftères qui engageoient à un fecret inviolable ceux qui y étoient initiés ; il n'y avoit perfonne à Delphes qui ne fe trouvât dans ce cas. Cette ville n'avoit point d'autre revenu que celui de fon temple, & ne vivoit que d'oracles: or, prêtres s'affuroient de tous les habitans en fe les attachant par le double lien de l'intérêt & de la fuperftition. On eût été bien reçu à parler contre les oracles d'Apollon dans une telle ville!

les

Ceux qu'on initioit aux myftères donnoient des affurances de leur difcrétion. Ils étoient obligés à faire aux prêtres une confeffion de tout ce qu'il y avoit de plus caché dans leur vie ; & c'étoit, après cela, à ces pauvres initiés à prier les prêtres de leur garder le fecret.

Ce fut fur cette confeffion qu'un lacédémonien, qui s'alloit faire initier aux myftères de Samothrace, dit brufquement aux prêtres qui l'interrogeoient: « Si j'ai fait des crimes, les dieux le favent bien ». Un autre répondit à-peu-près de la même façon: « Eft-ce à toi ou au dieu, qu'il faut confeffer fes crimes? C'eft au Dieu, dit le prêtre. Eh bien, retire-toi donc, reprit le lacédémonien, je les confefferai au Dieu ? Ces deux lacédémoniens, qui, a coup fûr, ne furent pas reçus, penfoient précisément fur la confeffion des crimes qu'exigeoient les prêtres, ce que les anglais penfent fur la confeffion des péchés dans le chriftia

nifme.

Mais fans s'étendre davantage fur les artifices des oracles, il vient naturellement dans l'efprit une queftion difficile à réfoudre; favoir, pourquoi les démons ne prédifoient l'avenir que dans des trous, dans des cavernes & dans des lieux obfcurs? Et pourquoi ils ne s'avifoient jamais d'animer une ftatue, ou de faire parler une prêtreffe dans un carrefour, expofée de toutes parts aux yeux de tout le monde ?

On pourroit imaginer que les oracles qui fe rendoient fur des billets cachetés, & plus encore ceux qui fe rendoient en fonge, avoient befoin de dé mons; mais il nous feroit aifé de faire voir qu'ils n'avoient rien de plus miraculeux que les autres.

Les prêtres n'étoient pas fcrupuleux jufqu'au point de n'ofer décacheter les billets qu'on leur apportoit; il falloit qu'on les laiffat fur l'aurel, après quoi on feimoit le temple, où les prêtres

favoient rentrer fans qu'on s'en apperçût ; ou bien il falloit mettre ces billets entre les mains des prêtres afin qu'ils dormîffent & reçûffent en fongela réponse. Or, dans l'un & l'autre cas, ils avoient le loifir & la liberté de les ouvrir. Ils favoient pour cela plufieurs fecrets, dont quelques uns furent mis en pratique par le fameux prophête de Lucien. On peut les voir dans cet auteur même, fi l'on eft curieux d'apprendre comment l'on s'y prenoit pour decacheter les billets fans qu'il y parût."

Les prêtres qui n'ofoient fe hafarder à décacheter les billets, tâchoient de favoir adroitement ce qui amenoit les gens à l'oracle. D'ordinaire c'étoient des perfonnes confidérables méditant quelque deffein, & animées de quelque paffion affez connue. Les prêtres avoient tant de commerce avec eux, à l'occafion des facrifices, avant que l'oracle parlát, qu'il n'étoit pas trop difficile de tirer de leur bouche ou du moins de conjecturer quel étoit le fujet de leur voyage. On leur faifoit recommencer facrifices fur facrifices, jusqu'à-ce qu'on se fut éclairci. On les mettoit entre les mains de certains officiers du temple, qui, fous prétexte de leur en montrer les antiquités, les ftatues, les peintures, les offrandes, avoient l'art de les faire parler fur leurs affaires. Ces antiquaires, pareils à ceux qui vivent aujourd'hui de ce métier en Italie, fe trouvoient dans tous les temples un peu confidérables. Ils par cœur tous les miracles qui s'y étoient favoient faits; ils faifoient bien valoir la puiffance & les merveilles du dieu; ils contoient fort au long l'histoire de chaque préfent qu'on lui avoit confacié. Sur cela, Lucien dit affez plaifamment que tous ces gens-là ne vivoient & ne fubfiftoient que de fables; & que dans la Grèce, on eût été bien fâché d'apprendre des vérités qui n'euffent rien coûté. Si ceux qui venoient confulter l'oracls ne parloient point, leurs domestiques fe taifoient-ils ?

Il faut favoir que dans une ville à oracle, il n'y avoit prefque que des officiers de l'oracle. Les uns étoient prophêtes & prêtres; les autres poëtes, qui habilloient en vers les oracles rendus en profe; les autres fimples interprêtes; les autres petits facrificateurs, qui immoloient les victimes & en examinoient les entrailles; les autres vendeurs de parfums & d'encens, ou de bêtes pour les facrifices; les autres antiquaires; les autres, enfin n'étoient que des hôtelliers, que le grand abord des étrangers enrichiffoit. Tous ces gens étoient dans les intérêts de l'oracle & du dieu; & fi, par le moyen des domeftiques des étrangers, ils décou vroient quelque chofe qui fut bon à favoir, vous ne devez pas douter que les prêtres n'en fuffent avertis. Le nombre eft fort grand des oracles qui fe rendoient par fonges: cette manière n'étoit pas plus difficile que les autres dans la pratique'; mais comme le plus fameux de tous ces oracles étoit

celui de Trophonius dans la Béotie, voyez TRO

PHONIUS.

Nous obferverons feulement ici qu'entre les oracles qui fe rendoient par les fonges, il y en avoit auxquels il falloit fe préparer par des jeunes, comme celui d'Amphiaraüs dans l'Attique. Si les fonges ne pouvoient pas recevoir quelqu'interprétation apparente, on vous faifoit dormir dans le temple fur nouveaux frais; on ne manquoit jamais de vous remplir l'efprit d'idées propres à vous faire voir des fonges où il entrât des dieux & des chofes extraordinaires. Enfin, on vous faifoit dormir le plus fouvent fur des peaux de victimes, qui pouvoient avoir été frottées de quelque drogue propre

à étourdir le cerveau.

Quand c'étoit les prêtres qui, en dormant fur les billets cachetés, avoient eux-mêmes les fonges prophétiques, il eft clair que la chofe eft encore plus facile à expliquer. Dès qu'on étoit affez ftupide pour fe contenter de leurs fonges & pour y ajouter foi, il n'étoit pas befoin qu'ils laiffaffent aux autres la liberté d'en avoir. Ils pouvoient fe réserver ce droit à eux feuls, fans que perfonne y trouvât à redire.

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Un des plus grands fecrets des oracles, & une des chofes qui marquent clairement que les hommes les rendoient, c'eft l'ambigu té des réponfes, T'art qu'on avoit de les accommoder à tous les évènemens qu'on pouvoit prévoir. On en trouve un exemple dans Arrian, liv. VII, fur la maladie d'Alexandre à Babylone. Macrobe en cite un autre fur Trajan, quand il forma le deffein d'aller attaquer les parthes. On porta pour réponse à cet empereur, une vigne mile en morceaux. Trajan mourut à cette guerre, & fes os, reportés à Rome (fur quoi l'on fit tomber l'explication de l'oracle), étoient affurément la feule chofe à quoi l'oracle n'avoit point penfé. Ceux qui recevoient ces oracles ambigus, prenoient volontiers la peine d'y ajufter l'évènement, & fe chargeoient eux-mêmes de les juftifier. Souvent ce qui n'avoit eu qu'un fens dans 'intention de celui qui avoit rendu l'oracle, le trouvoit en avcir deux après l'évènement; & le fourbe pouvoit fe repofer far ceux qu'il. dupoit, du foin de fauver fon honneur.

Il n'eft plus queftion de deviner les fineffes des prêtres, par les moyens qui pourroient eux-mêmes paroitre trop fins. Un tems a été qu'on les a découverts de toutes parts aux yeux de toute la terre; ce fut quand la religion chetienne triompha hautement du paganisme, fous les empereurs chrétiens.

Théodorer dit que Théophile, évêque d'Alexandrie, fit voir à ceux de cette ville les ftatues creufes, où les prêtres entroient par des chemins cachés pour y rendre les oracles. Lorfque, par l'ordre de Conftantin, on abattit le temple d'Esculape à

Eges en Cilicie, on en chaffa, dit Eufebe dans la vie de cet empereur, non pas un dieu, ni un démon, mais le fourbe qui avoit fi long-temps impofé à la crédulité des peuples. A cela, il ajoute en général que dans les fimulacres des dieux abattus, on n'y trouvoit rien moins que des dieux ou des démons , non pas même quelques malheureux fpectres obfcurs & ténébreux, mais feulement du foin, de la paille, ou des os de morts.

Le paganisme enveloppa néceffairement les oracles dans fa ruine, lorfqu'il fut aboli par le chriftianifme. D'ailleurs, il eft certain que le chriftianifme, avant même qu'il fut encore la religion dominante, fit extrêmement tort aux oracles, parce que les chrétiens s'étudièrent à en défabufer les peuples, & à en découvrir l'impofture. Mais indépendamment du chriftianifme, les oracles ne laiffoient pas de décheoir beaucoup par d'autres causes, & à la fin ils euffent entièrement tombé.

On commença à s'appercevoir qu'ils dégénérèrent dès qu'ils ne fe rendirent plus en vers. Plutarque a fait un traité exprès pour rechercher la caufe de ce changement ; &, à la manière des grecs, il dit fur ce fujet tout ce qu'on peut dire de vrai & de faux. Entr'autres raisons vraisemblables, il prétend que les vers poétiques fe décrièrent par l'ufage qu'en faifoient de certains charlatans, que le menu peuple confultoit le plus fouvent dans les carrefours. Les prêtres des temples ne vouloient avoir rien de commun avec eux, parce qu'ils étoient des charlatans plus nobles & plus férieux, ce qui fait une grande différence dans ce métier. Mais ce qui contribua le plus à ruiner les oracles, fut la foumiffion des grecs fous la domination des Romains, qui, calmant toutes les divifions qui agitoient auparavant la Grèce, l'efclavage produfant la paix, ne fournit plus de matière aux oracles.

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Si les romains nuifirent beaucoup aux oracles par la paix qu'ils établirent dans la Grèce, ils leur nuifirent encore plus par le peu d'eftime qu ils en faifoient. Ce n'étoit point là leur folie; ils ne s'attachoient qu'à leurs livres fybillins & à leurs divinations étrufques; c'eft-à-dire, aux arufpices & aux augures. Les maximes & les fentimens d'un peuple qui domine, paffent aisément dans les autres peuples, & il n'eft pas furprenant que les oracles, étant une invention grecque aient fuivi la deftinée de la Grèce, qu'ils aient été floriffans avec elle, & qu'ils aient perdu avec elle leur premier éclat.

La fourberie des oracles étoit trop groffiere pour n'être pas enfin découverte par différentes aventures, & même par quelques aventures fcandaleufes, qui défilièrent les yeux. Les dieux devenoient quelquefois amoureux des belles femines,

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