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Leur pitié m'affaffine, & me devient funefte;
Je ne voy point d'objet que mon cœur ne detefte.
En public, en fecret, une égale douleur
Accable ma raifon,& dechire mon cœur.
Si je vais me cacher au sein de ma famille,
Tout m'y femble odieux, je n'y vois plus ma fille:
Sans elle mon Palais m'eft un defert affreux;
Et quand pour adoucir un fort fi rigoureux,
Pleine de defefpoir, je cours, je vole au Temple,
Helas! par un deftin qui n'eut jamais d'exemple,
Cet azile facré contre tous nos malheurs,
Qui toujours des humains foulage les douleurs,
La prefence des Dieux irrite ma difgrace,
Puifque mes triftes yeux y remarquent la place
Où ces Dieux ont permis que des monftres cruels
Enlevaffent ma fille au pied de leurs Autels.

Comment calmer les maux où mon malheur m'expofe?

Tout retrace à mes yeux la perte qui les cause;
Quoi que je faffe enfin pour charmer mes ennuis,
Je rencontre par-tout les horreurs que je fuis.
FULVIE.
Mais, Madame, fouffrez....

PLAUTIE.

J'ai tout perdu, Fulvie, Et ne puis que traîner une importune vie. Tandis que Virginie a lieu d'aprehender, Au fevere Appius jecours la demander; Non que j'ofe efperer qu'il daigne me la rendre, Je ne veux feulement que l'obliger d'attendre Que mon Epoux du Camp foit ici de retour; Helas! ce feul efpoir r'affure mon amour. Si je puis le revoir, mes douleurs & mes craintes Ne me donneront plus que de foibles atteintes. Courons donc effayer.... Mais que vois-je, grands Dieux!

Quel objet imprevû fe prefente à mes yeux e

C'eft Appius, que fuit mon ennemy perfide.
Ah!je ne fçais que trop le deffein qui le guide,
Il luy parle en fecret... J'en fremis...

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APPIUS, PLAUTIE, CLODIUS; FULVIE, FABIAN, PISON.

PLAUTIE.

AH! Seigneur,

Ecoutez-vous encor la voix d'un impofteur?
Que dit-il ?ofe-t'il, comblant fa perfidie,
Vous preffer d'opprimer la trifte Virginie ?
Ne previendrez-vous pas fon funefte deffein,
Prefterez-vous le bras pour me percer le sein ?
Me refuferez vous le fecours que j'implore,
Seigneur, entre nous deux balancez-vous encore?
Faudra-t'il qu'à mes pleurs on puiffe reprocher
Qu'ils n'ont pas eu la force, helas! de vous tou-
cher?

Dans le tems qu'à vos yeux je fuis presque mou

rante,

Mon extrême douleur fera-t'elle impuiffante ?
D'un barbare projet vous connoiffez l'Auteur,
Et mes triftes foupirs, mes tranfports, ma fureur,
Mon defefpoir mortel, mon ardente priere,
Tout vous prouve, Seigneur, l'amitié d'une Mere
Faut-il d'autres raifons, pour vous perfuader?
Il en eft mille encore à qui tout doit ceder:
Confiderez, Seigneur... Mais mon ame troublée
Succombe à tant de maux, dont elle eft accablée,

Ma parole fe perd... je cede à mes douleurs...
Helas... Je ne vous puis parler que par mes pleurs.
CLODIUS.

J'ofe encor me flater, malgré tant d'artifice,
Que vous fuivrez Seigneur, la fevere Justice,
Je ne vous dis plus rien pour foutenir mes droits,
Vingt temoins differens ont d'affez fortes voix.
Donnez-moy Virginie, & forcez au filence
Une femme en fureur dont la plainte m'offense,
Et qui s'autorifant de l'amour maternel,
Cache fous ce pretexte un deffein criminel.
Ne differez donc plus... venez...

PLAUTIE à Clodius.

Tay-toy, parjure:

N'ajoute point encor l'outrage à l'impofture.
tà Appius) Seigneur, fi mes foupirs peuvent vous
émouvoir,

Eloignez Clodius que je ne fçaurois voir.
Plus que tous mes malheurs, fa funefte prefence
De mes profonds ennuis aigrit la violence.
Vous me verrez fans doute expirer en ces lieux,
Si plus long-tems ce traître eft present à mes

yeux.

APPIUS.

-Ouy, Madame, je vais foulager votre peine. (à Clodius.) Sortez. Retirez-vous dans la chambre prochaine,

Je fçauray prononcer lorfqu'il en fera tems.

CLODIUS.

Vous differez encor, Seigneur ; je vous entens.
Vous n'ofez de Plautie augmenter la mifere,
Mais un Chef des Romains doit être plus fevere:
Jufte à recompenfer, intrepide à punir,
Il doit voir le paffé fans craindre l'avenir,
Sans qu'aucun interêt le retienne ou l'anime,
Et la pitié d'un Juge eft fouvent un grand crime,
Puifque la vôtre icy combat votre devoir,

Seigneur, je vais d'un autre implorer le pouvoir;
Votre retardement me fervira d'excuse,
Si je demande ailleurs le bien qu'on me refuse.

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APPIUS, PLAUTIE, FULVIE,

FABIAN, PISON.

APPIUS.

Vous le voyez, Madame, il va chercher ail

leurs

L'inevitable arrêt qui comble vos malheurs.
J'ay craint de prononcer cet arrêt si funefte ;
Et dans vos deplaifirs, cette douceur me refte
Qu'une autre main au moins vous portera les

coups

Dont mon cœur allarmé fremit déja pour vous,
PLAUTIE.

Eh

quoy, Votre pitié fera-t'elle inutile Ne peut-elle à mon fang affurer un azile ? Ne peut-elle, Seigneur, détourner loin de moy Ces coups dont votre cœur a deja quelque effroy? Dans mes juftes defirs me feriez-vous contraire? Servirez-vous plutot l'ennemy que la Mere ? Il demande ma fille, & fur quoy? par quels droits Son efclave a parlé; mais il n'a point de voix. Un homme que le fort dans les fers a fait naître, N'a d'autre volonté que celle de fon maître : Plutôt mort que vivant, comblé d'un long ennuy Il ne peut ny parler ny vivre que pour luy. Seigneur, fans écouter ce fufpect témoignage, De l'amour d'un Epoux rendez-moy le faint gage

Ву

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Pour prononcer au moins attendez fon retour
Vous le verrez fans doute avant la fin du jour.
C'eft luy qui foutiendra les droits de fa famille
C'eft à luy de defendre & de fauver fa fille.
Brifera-t'on des noeuds qué le fang a formez,
Ces faints nœuds par l'amour, par le tems confir

mez ?

En condamnant la fille, on condamne le Pere;
Et peut-on luy ravir ce facré caractere
Que la forte nature a pris foin de graver,
Et dont même les Dieux ne fçauroient le priver?
APPIUS.

Moderez les terreurs de votre ame craintive.
Puifque vous le voulez, j'attendray qu'il arrive,
Madame; mais enfin que fera votre Epoux,
Que deja ma pitié n'ait pas tenté pour vous ?
Pour tâcher de vous rendre une fille fi chere,
Je n'ay pas attendu les larmes de fa mere.
J'avois formé tantôt un genereux deffein,
Et

que les Dieux fans doute avoient mis dans mon

fein.

J'allois avec éclat reparer fa mifere;
Mais elle a refufé ce confeil falutaire,
Et preferé les fers qui menacent fes jours,
A la neceffité d'accepter mon fecours.
PLAUTIE.

Que dites-vous, Seigneur? L'ingrate Virginie
Refufe le fecours qui la rend à Plautic;
Et fans égard pour vous, fans tendreffe pour moy,
Elle aime mieux fubir une fi dure loy?
Elle le livre entiere au deftin qui la jouë?
Seigneur, s'il eft ainfi, mon cœur la defavouë.
Mais ne puis-je fçavoir ce deffein glorieux,
En faveur de ma fille infpiré par les Dieux?

APPIUS.

Je la voy qui paroît, elle peut vous l'apprendre. Mais fongez que des fers rien ne la peut defendre,

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