Elle attend un pretexte à renoncer à luy ; Peut-être qu'en fecret fenfible à votre gloire, Son cœur deja charmé vous cede la victoire : Mais l'honneur, fier tyran de ses vœux les plus doux,
L'empêche seulement de s'unir avec vous. Epargnez-luy, Seigneur, la cruelle contrainte D'entendre d'un Amant la pitoyable plainte ; Perdez-le, & par fa mort affeurez-vous d'un cœur Déja prefque infenfible à fa premiere ardeur, Et qui pour le donner n'attend plus rien peut-être Que l'éclat d'un amour qui doit parler en maître. APPIUS.
Quelle honte pour moy, s'il faut que mon amour, Pour vaincre mon Rival, luy raviffe le jour Quel triomphe pour luy, quelle gloire immortelle, De n'avoir jamais veu Virginie infidelle, D'avoir gardé fon cœur, enfin d'avoir vaincu Ma grandeur & mes feux, tant qu'il aura vécu ! CLODIU S.
Et qu'importe, Seigneur? quel fcrupule yous pref
J'aime pour mon malheur, avec trop de tendreffe, Enfin de mon Rival je me vangeray mieux Si je puis époufer Virginie à fes yeux.
J'attens icy l'ingrate, & ne veux plus luy taire De nos deffeins fecrets le dangereux myftere; Je vais tout employer pour ébranler fá foy, Priere, foin, refpect, amour, menace, effroy, J'efpere que des fers l'épouvantable image, Et qu'Icile mourant, flechiront fon courage; Je vais luy faire voir son Amant enchaîné, Aux plus cruels tourmens, à la mort condamnés Il eft inftruit déja que pour fauver la vie, Il doit en ma faveur parler à Virginie, Qu'il ne peut qu'à ce prix échaper à la mort,
Peut-être mon Rival fera-t'il cet effort. Que je ferois heureux, fi par cette foibleffe, Il ne meritoit plus l'objet de fa tendreffe ; Qu'en la tenant de luy, j'euffe encor la douceur D'avoir flétry la gloire, & fait trembler fon cœurt Cependant cours, amy, t'informer dans la Ville Des difcours, des deffeins des Parti fans d'Icile; Examine avec foin, observe exactement
Les démarches qu'ils font, leur moindre mouye
Va, tu m'apprendras tout, comme témoin fidelle, Virginie entre, il faut m'expliquer avec elle.
APPIUS, VIRGINIE, CAMILLE.
Adame, il faut enfin vous decouvrir mon cœur,
Il faut de mon amour vous déclarer l'ardeur. En ce mon ent fatal je ne fçaurois plus feindre, Depuis affez long-tems je cherche à me contrain- dre:
Pour vous j'ay tout trahy, gloire, devoir, employ, Lamour fait tous mes foins, & mon unique loy, Je fuis les mouvemens d'une aveugle tendreffe; Et fi votre pitié pour moy ne s'intereffe,
gez que rien ne peut ébranler mon deffein, Qu je ne perdray pas toute ma gloire en vain, Songcz...
Vous m'aimez donc, Seigueur, & votre fâme
Par d'illuftres effets fe declare à mon ame? Barbare, de quel front m'ofez-vous prefenter Une main attachée à me perfecuter?
Je fremis à la voir, cette main violente, Qui m'arracha des bras d'une mere tremblante, Qui m'a déja caufé tant de malheurs divers, Et pour toucher mon cœur me prefente des fers. Comment avez-vous cru qu'au mépris de ma glois
Mon cœur lâche, & cedant une indigne victoire, D'un fi funefte Hymen voulût former les nœuds Et joindre l'innocence à vos crimes affreux ?
Ah cruelle: eft-ce à vous de parler de mes crimes Leur feule caufe, helas! les rend trop legitimes, Eft ce à vous de montrer à mon cœur abbatu, Qu'il a fouillé fa gloire, & trahi là vertų? M'ofez-vous reprocher mon ardeur criminelle, Vous qui rendez mon cœur à fon devoir rebelle; Vous qui feule caufez mes forfaits odieux ? Ah! je puis juftement en accufer vos yeux, Leur demander raifon des malheurs de ma flâme, De mon repos perdu, du trouble de mon ame, D'avoir de mon efprit, malgré mes foins prudens, Effacé les leçons de plus de quarante ans, Et d'avoir fait enfin, par un coup effroyable, D'un Souverain heureux un Amant miferable. Auffin'efperez pas de pouvoir m'abufer, Je connois la raifon qui vous fait m'accufer. Pour un heureux Rival votre ardeur empreffée Fait que de tous mes foins vous êtes offentée: Cer Icile, l'objet de vos ardens fouhaits, Me defend...
Oüy, je l'aime autant que je vous hais.
Vous me tyranni ez, il m'a toujours fervie; Il fait tout le bonheur, vous l'horreur de ma vie ;-
Et je voyois enfin dans cet illuftre Epoux Encor plus de vertus, que de crimes en vous, APPIUS
On conferve fans peine une entiere innocence Quand un bonheur conftant previent notre espee
Icile fatisfait dans fes vœux les plus doux Tranquille, glorieux, enfin aimé de vous, A-t'il pu jufqu'icy fe charger d'aucun crime? Mais fi de vos mepris deplorable victime, Accablé des tourmens que mon cœur a foufferts, Il avoit reffenti tout le poids de mes fers;
Si vous l'aviez contraint d'aimer fans efperance ¿ Qu'il eût eu comme moy la fuprême puiffance : Cet Icile à vos yeux digne de votre foy
Seroit peut-être encor plus coupable que moy, Ah! fon bonheur allume un courroux dans mon ame,
Qui pourroit... Mais songez à repondre à ma fla
Autrement malgré moy...
VIRGINIE.
Votre courroux me plaît bien plus que votre
Menacez, accablez l'impuiffante innocence,
Je crains moins les tourments, qu'un amour qui m'offence,
Je prefere mes maux à d'injuftes bienfaits, Armez votre fureur, j'en brave les effets. APPIUS.
It bien, pour me vanger de votre ingratitude, Vos malheurs ne font pas un fupplice affez rude, Et je veux deformais vous porter d'autres coups Moins funeftes pour moy, mais plus cruels pour
Je jure qu'il n'eft rien que ma fureur ne tente.
L'Amant me répondra des mépris de l'Amante; C'eft luy qui rend pour moy votre cœur fi cruel, Et puifque vous l'aimez, il eft trop criminel. Il faut par un feul coup accabler l'un & l'autre: Je perceray fon cœur qui me ravit le vôtre, Pour gouter à la fois le plaifir fans égal, De punir yos dedains, & de perdre un Rival
Pour vous la menace eft terrible, Je vous frappe à la fin par votre endroit fenfible: Mais ne m'accufez point, c'est vous qui l'ordonnez, Et c'eft par vos mépris que vous l'allaffinez.
Il mourra donc, Seigneur, & c'eft moy qui l'op prime ?
N'importe, je fuivray cette chere victime, Et par ce grand effet d'une immortelle foy, Je le vangeray bien fi vous brulez pour moy. Votre efprit libre alors de fa jaloufe envie, Verra qu'un même coup aura fini ma vie, Et j'auray ce plaifir, parmi tous mes malheurs, Que la mort d'un Rival vous coutera des pleurs. APPIUS.
Madame, prévenons un malheur fi funefte, Du tems que je vous donne employez mieux le
Icile en ce moment va paroître à vos yeux, J'ay moy-même ordonné qu'on l'ameine en ces
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