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Depuis que par fa brigue affurant ma disgrace,
Je l'ai vu dans nos Camps commander en ma place,
Et par l'injufte choix de Rome & du Senat,
Des honneurs qu'on me doit obtenir tout l'éclat ;
Que je ferois heureux de le pouvoir détruire!
Je gouteray du moins le plaifir de luy nuire,
Puis qu'enfin votre amour me permet aujourd'huy
D'attacher à fes jours un éternel ennuy.

Mais je n'aurois pas crû, quelque ardeur qui vous preffe,

Que le cœur d' Appiu's fit voir tant de foibleffe. Tout flatte vos defirs, tout fuccede à vos vœux, Vous n'avez qu'à vouloir, Seigneur, pour étre heu

reux :

Cependant un Rival que votre amour accable,
Vous gêne, & vous paroît encore redoutable.
Il vous le falloit craindre en cet inftant cruel
Que conduifant déja Virginie à l'Autel,
Par les liens facrez d'un heureux Hymenée
Il alloit à fon fort joindre fa deftinée;
Lors que tout etoit prêt, la coupe, le couteau,
La victime, l'encens, le Prêtre, le flambeau ;
Quand Plautie elle-même à fes defirs propice,
Pour l'Hymen de fa fille offroit un facrifice:
C'étoit alors, Seigneur, qu'on eût pu pardonner
Le trouble où votre cœur femble s'abandonner:
Mais j'ay mis à ces noeuds un invincible obstacle;
Et pour vous épargner ce funefte fpectacle,
Jay ravi la conquête à cet heureux Amant
Dans le Temple, à l'Autel, dans le même moment
Qu'il formoit ce lien à votre amour contraire;
Et malgré les foupirs & les pleurs d'une mere,
Malgré tous les efforts d'un amant furieux,
J'ay conduit, j'ay remis Virginie en ces lieux.
Votre repos enfin de vous feul va dépendre,
Il ne vous reste plus, Seigneur, qu'à faire entendre
Une fauffe équité qui foutiendra mes droits,

Et qui mettra le crime à l'ombre de nos loix.
Parlons, & publions enfin que Virginie
N'eft point du noble fang dont on la croit fortie;
Que chez moy d'un efclave elle a reçu le jour,
Qu'elle doit être auffi mon efclave à fon tour,
Et fuivant le deftin de ceux qui l'ont fait naître,
Heriter de leurs fers, & m'accepter pour maître.
APPIUS.

Differons un éclat mortel à fon honneur.
Seule encor de fon fort elle fçait la rigueur.
Peut-être le voyant au bord du précipice,
Son peril à mes vœux la rendra plus propice.
N'expofons point fa honte aux yeux de l'Univers;
Elle craint, il fuffit, de tomber dans les fers,
Elle fremit des maux d'un fort fi déplorable.
CLODIUS.

Profitez donc, Seigneur de ce temps favorable,
Et donnant un cours libre à vos fecrers foupirs,
Courez à Virginie expliquer vos defirs.

APPIUS.

Je me fuis tû long-temps, & yeux me taire encore.
Loin de faire éclatter ce feu qui me devore,
Je doy plus que jamais le cacher en ce jour,
Tout m'y contraint, l'honneur, mon devoir, mon {

amour.

Quel temps pour déclarer ma temeraire flame!
A quel trouble nouveau je livrerois fon ame!
Je ne ferois, belas qu'irriter fes douleurs,
Mes difcours groffiroient la fource de fes pleurs.
Cieft affez qu'avrachée à l'Amant qu'elle adore,
Captive dans ces lieux, elle ait appris encore
Qu'elle eft prête à tomber dans la honte des fers;
Ce feroit à la fois trop de malheurs divers.
Attendons, pour luy faire un aveu fi terrible,
Que le temps ait rendu fa douleur moins fenfible;
Epargnons les foupirs, & cherchons un moment
Où je trouve fon cœur moins plein de son Amant.

Mais cachons-luy fur-tout que c'eft moy qui l'op-. prime;

Et puisqu'enfin l'amour me coûte un fi grand cri

me,

Que j'en rougiffe feul, ou que ma honte au moins N'ait dans tous mes remords que tes yeux pour témoins.

CLODIUS.

Prenez garde, Seigneur, qu'une injufte contrainte
Ne renverfe à la fin tout le fruit de ma feinte.
Vous nourriffez un feu prêt à vous confumer,
Vous languireż toûjours...

APPIUS.

Ceffe de t'allärmer,
J'ai mes raifons; je veux qu'une action fi noire,
Loin de ternir ma vie, en releve la gloire.
Deguifons ce forfait, couvrons-en la noirceur
Et faisons admirer ce qui feroit horreur.
Si la vertu fouvent paffe pour impofture,
Le crime imite auffi la vertu la plus pute;
Et mon coupable amour fera mieux écouté
Sous un pretexte adroit de generofité.
Je vais donc annoncer moy-même à Virginie
Qu'à la tirer des fers la gloire me convie,

Et

que rien deformais ne la peut fecourir, Que la main & la foy que je luy viens offrir ; Sous ces dehors flatteurs je cacheray mon crime, Par-là je gagneray fon cœur ou fon eftime, Et l'on imputera, par ce fubtil détour,

A la feule pitié des effets de l'amour.

CLODIUS.

Je me rends au deffein que l'amour vous fuggere,
De notre intelligence il couvre le myftere:
Mais il faudroit auffi, pour ne rien negliger,
Eloigner un Rival qui cherche à fe vanger.
Prevenez les tranfports d'un Amant en furie,
Prêt à tout hazarder pour fauver Virginie,

APPIUS.

Eh, c'eft où je j'attens. J'ai fçu déja prevoir
Les effets de fa rage & de fon defefpoir:
Mais à notre deffein fa colere eft utile.
Auffi, loin de bannir ce redoutable Icile,
Bien loin de luy cacher l'objet de fon amour,
Je pretens qu'il la voye & même dés ce jour.
Ouy, je veux qu'il joüiffe icy de fa prefence,
Afin de le porter à plus de violence.

Cet objet douloureux aigrira fa fureur,
Il voudra la vanger & finir fon malheur ;
Ce Rival odieux, pour fervir ce qu'il aime,
A mes tranfports jaloux viendra s'offrir luy-mêmes
Et dés le moindre effort qu'il ofera tenter,

Sans bruit dans ce Palais je le fais arrêter.

Ah! je prevois...

CLODIUS.

**:******

SCENE II.

APPIUS, CLODIUS, FABIAN,

PISON.

FABIAN.

PLautie, aux pleurs abandonnée,

Seigneur, à vous attendre eft toûjours obstinée.
Elle veut vous parler ; & fes frequens foûpirs...
APPIUS à Fabian.

Qu'elle entre, Cependant, pour flatter fes defirs,
Dans cet appartement conduifez Virginie,
Allez, & dites-luy qu'elle y verra Plautie.
(à Clodius. Vous, d'une Mere en pleurs évitez les
tranfports;

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Seigneur, c'eft mon deffein. Je fors

Ma prefence fans doute aigriroit la colère.

SCENE III.

APPIUS, PLAUTIE, FULVIE PISON.

PLAUTIE.

H, Seigneur, écoutez les douleurs d'une Mere;
Et puifqu'après deux jours d'un mortel deses-
poir,

Vous avez bien voulu consentir à me voir,
Pourray-je me flatter...?

AP PIUS.

Ne doutez point, Madame,
Que je ne fois frappé du trouble de votre ame.
Jay craint avec raifon de vous voir en ces lieux,
Et que votre douleur n'eclatât à mes yeux.
Fay fait plus, j'ay tâché long-temps de me defendre
De caufer tant de pleurs que je vous vois repandre:
Mais mon cruel devoir, le plus fort dans mon cœur,
D'une pitié craintive eft demeuré vainqueur;
J'ay cedé, j'ay fuivi la fevere Juftice:
Enfin que voulicz-vous, Madame, que je fiffe?
Charge par tout l'Etat du pouvoir fouverain.
PLAUTIE

Ofez-vous vous parer d'un pretexte fi vain
Quoy, vous ordonne til, ce devoir temeraire
D'enlever fans pitié Virginie à fa Mere?"
Dans le temps que fon Pere à la guerre occupé

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