Eh, mon malheur ne vient que d'avoir obeï. Arminius courant de victoire en victoire,
En vain pour m'enflammer faifoit parler la gloire: Ses foins pour moy, fes feux, & fes heureux com-
bats Luy gagnoient mon eftime,& ne m'engageoient pas. Souvenez-vous, Seigneur, que vous vintes vousmême
Joindre à fes vœux ardens votre pouvoir fuprême,. Et par les juftes droits que vous avez fur moy, A ce jeune Heros vous promites ma foy: J'obeïs fans effort: cet ordre legitime
Fit alors fucceder la tendreffe à l'eftime: Mais pourray-je étouffer, Seigneur, fans defefpoir Des feux qu'ont allumé l'eftime & le devoir ? SEGESTE.
Recevez mieux des loix prefcrites par un Pere ; Et bien loin de fremir d'un effort neceffaire, Montrez...
C'én eft donc fait ; & vous ne pensez pluse Avos engagemens avec Arminius? Vous avez oublié qu'avec mon hymenée, A mon Frere, fa Soeur fut auffi deftinée. Des yeux de Polixene il a fenti les coups.. Elle vient en ces lieux le prendre pour Epoux. Verra-t-elle...
Je fçay que Sigifmond l'adore: Mais il faut qu'il immole un feu que Rome abhorre;
Et mon Fils par Cefar fait Chevalier Romain, Ne peut fans fon aveu difpofer de fa main. Mais ne pensons qu'à vous. Ce que je viens de dire N'eft pas la feule loy que je dois vous preferire, Et vous devez encore...
ISMENIE.
Eh, que dois-je, Seigneur
Quoy, ne fuffit-il pas de bannir de mon cœur... SEGEST E.
Non, il ne fuffit pas, & vous l'allez apprendre. C'est peu pour vous de rompre une union fi tendre, Il faut encor fentir en faveur de Varus
Tout ce que votre cœur fent pour Arminius. Ce Romain deformais ne fonge qu'à vous plaire,. Voila l'Epoux enfin que vous deftine un Pere. Fuyez Arminius; & pour mieux m'obeïr, Portez-vous, s'il le faut, jufques à le haïr. ISMENIE.
Je ne puis étouffer le trop jufte murmure Qui s'eleve en mon cœur contre une loy fi dure.. Quoy done? vous prétendez forcer des fentimens Qu'ont affure vos foins, l'habitude & le temps? Des que j'ouvris les yeux ; vos discours, votre zele M'infpirerent pour Rome une haine immortelle Et moy, pour fatisfaire à vos premiers deffeins, Aimant Arminius, j'ay haï les Romains. Seigneur, c'eft bien affez de contraindre mon-amę De s'attacher fans.ceffe à combattre ma flâme, De perdre pour jamais un legitime effoir Que j'avois trop conçu fur la foy du devoir :. Daignez vous contenter de cette obeïffance, Ne forcez point mon cœur à plus de violence, Et croyez que c'eft trop de vouloir en un jour Changer l'amour en haine, & la haine en amour. SEGESTE.
Pour vous faire obeïr à cette loy fi dure, D'un effort genereux votre vertu m'affure. Varus vient. Vous fçavez quel est votre devoir, Preparez-vous, ma Fille, à le bien recevoir,. ISMENIE
SCENE III.
VARUS, SEGESTE, ISMENIE.
E viens d'annoncer à ma Fille L'honneur dont votre amour veut combler ma fa
Seigneur, elle eft toûjours prête à fubir mes loix, Ses plus tendres defirs fe reglent par mon choix. Vous pouvez fans contrainte expliquer votre flâme,' Je vous laiffe, Seigneur.
Vous vous troublez, Madame.
J'en connois les raifons; on veut vous arracher Un Amant dés l'enfance à vos defirs si cher, Un Amant fi long-temps avoué par un Pere, Jeune, charmant, enfin trop digne de vous plaire Mais c'eft peu: l'on vous offre encor un autre Epoux Qu'un long âge a rendu moins aimable pour vous, Je leray le premier à me rendre juftice, Mes foupirs font pour vous un trifte facrifice:
Un Amant tel que moy ne doit point fe flatter. D'autres s'attacheroient à vous reprefenter, Traçant de leurs travaux une brillante hiftoire, Qu'un front ne vieillit point environné de gloire, Qu'un long amas d'honneurs,des exploits éclatans Reparent quelquefois les injures des ans ; Que c'eft même à vos yeux un plus grand avantage De charger de vos fers un captif de mon âge, Et d'embrafer un cœur que les ans, la raifon Sembloient devoir fauver de ce fatal poifon. Cependant aujourd'huy je ne veux point, Madame, Prêter auprés de vous ces fecours à ma flâme. Jefçay que dans un cœur plein de fa paffion De femblables difcours font peu d'impreffion: Mais je crois qu'à mes vœux votre ame inacceffible Au bonheur des Germains le montrera fenfible; Que le jufte defir d'affurer pour jamais
A votre Pere, aux fiens, l'abondance & la Paix, A l'offre de ma main vous rendra moins contraire: C'est par là feulement que je pretens vous plaire. Faites pour la Patrie, en donnant votre foy, Ce que je n'ole encor vous demander pour moy. ISMENIE.
Helas! puis-je Seigneur...?
Non, arrêtez, Madame,
Et fufpendez encor le deftin de ma flâme.
Avant que me l'apprendre, attendez pour le moins Que mes profonds refpects, que le temps, que mes
Que mes finceres vœux, meşardens facrifices Puiffent de mon Rival balancer les fervices. Sur-tout ne craignez point que j'aille contre vous Solliciter un Pere, allumer fon courroux. Je ne veux employer fa puiffance abfolue Qu'à me faire accorder l'honneur de votre vue; Et je vais deformais borner tous mes plaifirs
e prévenir vos vœux & vos moindres defirs. Des graces de Cefar j'ay comblé votre Pere, Et des bienfaits nouveaux vont chercher votre Frere :
Tout vous retracera mon amour, mes transports, Vous pourrez fur mon fort vous expliquer alors. Adieu, Madame.
Mon Pere-me condamne, il m'ôte Arminius, Barfine, c'est vouloir que je ne vive plus. Pere injufte pourquoy tyrannifer ma vie? Puis-je aimer ou haïr au gré de votre envie ? Ne concevez-vous point, en m'impofant ces loix, Qu'un cœur comme le mien ne fe rend qu'une fois ? Déplorables effets de l'amitié Romaine! Periffe Rome, objet trop digne de ma haine. Toy, cher Arminius, qu'on arrache à ma foy, Tu fçais que je ne vis qu'autant que je te voy. Reçoi de mon amour mes jours que je t'immole: Mais fuy loin de ces lieux, écarte-toy, cours, vole.. Si toujours à te voir j'ay borné mes fouhaits, Maintenant je les borne à ne te voir jamais.
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