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Au remords éternel d'avoir mal combattu.

MARTIAN.

Que je vous plains, Seigneur que votre destinée Par ce funefte amour devient infortunée !

Sans luy, toujours content, reveré, glorieux,
En naiffant affuré du rang de vos ayeux,
Votre cœur eût gouté dans une paix profonde
L'heureux fort que le Ciel donne aux maîtres du
monde.

ANDRONIC.

Que dis tu? je fuis né pour être malheureux.
L'amour ne fait point feul mon deftin rigoureux.
Eh
quoy, pour penetrer l'excés de ma mifere,
Ne te fuffit-il pas de connoître mon Pere?
L'Empereur foupçonneux, efclave de fon rang,
Ne m'a jamais fait voir les tendreffes du fang;
Les plus faints mouvemens que la nature imprime,
Dans fon auftere cœur pafferoient pour un crime;
Et pour être né Prince, il ne m'eft pas permis
D'éprouver tout l'amour d'un Pere pour fon fils.
MARTIAN.

Quoy, Seigneur...

ANDRONIC.

Dans ces lieux mon courage murmure, Et mon cœur n'eft point fait pour une vie obscure. Dés l'enfance charmé des Heros de mon fang, Je trouve leurs vertus au deffus de leur rang: Sur-tout, de mon ayeul & l'exemple & la gloire M'enflame à tous momens, & remplit ma memoire. Sur ce fameux Guerrier mon efprit attaché, Par aucun autre objet n'en peut être arraché; Je regarde fon fort avec un œil d'envie, A fes jours fortunez je compare ma vie : Rien ne s'offre à mes yeux, dans le cours de fes ans, Que de nobles travaux, des fuccez éclatans, Que des murs embrafez, que des Villes furprises,

Des Peuples affervis, des Provinces conquifes,
Des Rebelles punis, des Rois humiliez,
Le repos maintenu chez tous fes Alliez ;
Ou fi jamais le fort démentant fon courage,
A fes profperitez à mêlé quelque outrage,
Il me paroît plus grand dans fon adverfité;
Je le voy triompher du deftin irrité,
Et tirant de fa cheute une nouvelle gloire,
A force de vertu rapeller la Victoire.

Moy, toûjours renfermé dans ces murs malheu

reux,

Occupé jufqu'icy par de frivoles jeux,

Je ne fçay ny l'employ ny l'ordre d'une armée,
Que par des traits confus, ou par la renommée.
Ah ce feul fouvenir, plus que tous mes malheurs,
M'irrite, me devore, & m'arrache des pleurs.
Allons, obeïffons au tranfport qui me guide,
Et prenons vers la gloire un effor fi rapide,
Que dans leur nombre un jour mes exploits con
fondus,

Suffisent à remplir les jours que j'ay perdus.
Cependant cherche Eudoxe, elle connoît ma peine,
Et m'a cent fois preffé de fuir les yeux d'Irene.
Du deffein que j'ay pris, il la faut avertir;
Va la trouver, dy- luy qu'avant que de partir,
Je demande fur-tout à voir l'Imperatrice,
Et qu'elle doit encor me rendre cet office;
Que j'ofe m'en flatter; adieu, cours, hafte-toy,
J'attendray ton retour pour difpofer de moy.

Fin du premier Acte.

ge

ACTE II.

SCENE PREMIERE.

IRENE, EUDOXE.

IRENE.

Ene le verray point, non, j'y fuis re foluë,

M'ofez-vous confeiller cette fatale

veuë,

Eudoxe, ignorez-vous fon deftin & le

mien ?

EUDOXE.

Pourquoy luy refufer un moment d'entretien?
Voulez-vous qu'irrité de votre refistance,
Il ne fe preffe plus de fortir de Bifance ?
Croyez-moy, gardez-vous d'aigrir fon desespoir;
Et puifque pour jamais il renonce à vous voir,
Madame, accordez-luy la faveur qu'il demande.

IRENE.

Quels foupirs, quels regrets voulez-vous que j'en tende

Vous qui me dérobant à nos heureux climats
Dans ces funeftes lieux conduisites mes pasi
Vous de qui les confeils, le zele & la prudence
Devroient à tous momens raffurer ma conftance,
Qui peut-eftre fuccombe à mes mortels ennuis,
Voulez vous m'expofer au períl que je fuís?
EUDOXE.

Madame, le peril eft-il moins redoutable
A ne pas écouter ce Prince déplorable?
Refolu de vous faire entendre ses adieux,
Il vous fuivra peut-eftre à toute heure, en tous lieux,
Et voudra pour le moins devoir à la fortune
Le plaifir de vous faire une plainte importune.
Que dis-je croyez-vous que plein de fon amour
Il puiffe fe refoudre à partir de la Cour?

On fe propofe en vain de quitter ce qu'on aime.
En fin dans ce deffein confirmez-le vous-même,
Montrez-luy le danger que vous courez tous deux ;
Qu'on verroit toft ou tard quelque éclat de fes feux;
Que l'Empereur, fuivant fon penchant crdinaire,
Oublieroit les faints noms & d'époux & de Pere,
Et vous perdroit tous deux fur un fimple regard
Où peut-eftre l'amour auroit eu peu de part.
Redoublez d'Andronic la fierté naturelle,
Montrez-luy les chemins où la gloire l'appelle ;
Sur-tout commandez-luy de ne vous voir jamais
Qu'il ne s'approche plus des murs de ce Palais;
Qu'il penfe à tous momens que fon fort & le vôtre
Vous doit jufqu'au tombeau (eparer l'un de l'autre.
O Ciel! que feriez-vous fi trompant votre espoir,
Andronic en ces lieux revenu pour vous voir,
Renouvelloit un jour par fa trifte prefence
Le fouvenir qu'auroit affoibly fon abfence?
Que de nouveaux combats! que de fecrets foupirs!
Helas épargnez-vous ces mortels déplaifirs,

Si le Prince une fois vous a promis, Madame,
De ne plus traverser le repos de votre ame,
D'aller loin de vos yeux, fans espoir de retour,
Etouffer ou nourrir un malheureux amour;
Quelque brulant defir, quelque ardeur qui le preffe,
Madame,j'en répons, il tiendra fa promeffe.
Voyez-le, & fans fremir de fon deftin cruel,
Prononcez-luy l'arreft d'un exil éternel.
IR ENE.

Luy pourray-je impofer une loy fi funefte 2
Ah! laiffez le-moy fuir fans me charger du refte,
J'ay caufe fes malheurs, en caufant fon amour,
Le prefferay-je encor de fortir de la Cour,
Et d'aller effuyer chez un peuple barbare,
Du deftin ennemy le caprice bizarre ?

Que dis-je ? Penfez-vous que dans mon trifte cœur,
Ma vertu devant luy refifte à ma douleur ?

Au bruit de fes foupirs...à l'afpect de fes larmes...
Non, ce feul fouvenir me donne trop d'allarmes,
Ie ne puis m'expofer à ce trifte entretien,

C'est trop de mon tourment, fans y joindre le fien ;
C'est trop, pour triompher de toute ma conftance,
Helas! d'avoir quitté les lieux de ma naissance;
Ces lieux, où tout fembloit prévenir mes defirs,
Où mon cœur n'a jamais connu que les plaifirs.
O bienheureux fejour! aimable Trebifonde!
Omurs, où je vivois dans une paix profonde !
Que n'ay-je,en vous perdant,de mes funeftes jours,
Par une prompte mort, vû terminer le cours !
Je m'eloignay de vous, en ces lieux entrainée
Par le trompeur efpoir d'un heureux hymenée;
Je croyois qu'Andronic à mon deftin lié,
Pour jamais avec moy feroit affocié ;

Nos Peres l'ordonnoient; Trebifonde & Bifance

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