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Mais du bonheur public je deviens la victime;
Et mon cœur accablé des efforts que je fais,
Donne à tous un repos qu'il ne goute jamais.
MEMNON.

Eh! pourquoy vous gêner d'une crainte importune?
Seigneur, tant de vertu foutient votre fortune,
Que perfonne n'ofant y pretendre aprés vous,
Ce rang que vous tenez ne fait point de jaloux.
Alcibiade feul pouvoit mieux qu'aucun autre
Egaler dans l'Etat fa puiffance à la vôtre,
Er partager du Roy l'eftime & la faveur ;
Mais l'éclat de ce rang n'a point flaté fon cœur
Et ce Heros cherchant un fejour plus tranquille
Dans les murs de Sardis a choifi fon azile,
Où depuis plus d'un an fon fort enfevely
Demeureroit peut-être en un profond oubly;
Si l'Univers entier occupé de fa gloire,
Pouvoit un feul moment en perdre la memoire.
PHARNA BAZE.

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Ah! que n'eft-il encor engagé prés du Roy!
Que ne partage-t'il fon cœur & mon employ
Ce fut par més avis que profcrit dans la Grece,
Fuyant d'un peuple ingrat la fureur vangereffe
Il vint vers Artaxerce, & fçut trouver en luy
Un Maître genereux, un falutaire appuy.
Bien que ce Grec luy feul auteur de nos alarmes,
Eût long-tems arrêté les progrés de nos armes,
Affoibli notre Empire, & dans mille combats
Émbrafé nos Vaiffeaux, immolé nos foldats;
Cependant peu de jours aprés fon arrivée,
Je vis au plus haut rang fa fortune élevée,
Jervis même le Roy fe confier à luy,
Artemife à la Cour devenir fon appuy,
Et Pálmis luy marquant une bonté fincere
Applaudir aux bienfaits dont le combloit fon pereg
D'abord voyant tomber cet honneur infini
Sur un Chef étranger qu'Athenes a banni,

J'en fentis, je l'avoue, une fecrette peine;
Mais bien-tôt la vertu triompha de ma haine :
Il m'aima, je l'aimay; chacun avec ardeur
De l'Etat par fes foins foutenoit la grandeur,
Quand on vit de la Cour partir Alcibiade:
On veut le retenir, rien ne le perfuade;
D'une étroite amitié j'attefte en vain les nœuds,
En vain le Roy s'empreffe à prevenir les vœux ;
Ny fes nouveaux bienfaits, ni les foins des Prin
ceffes,

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Ny d'une Cour en pleurs les preffantes careffes
Ne purent avec nous l'arrêter un moment
Il s'impofa luy-même un dur banniffement.
Vous qui depuis un mois le voyez à toute heure,
Dites-moy, que fait-il dans la trifte demeure
Quels font les fentimens ? que penfe-t'il?

MEMNON.

Seigneur

Puis-je vous informer de l'état de fon cœur ?
Tous mes efforts n'ont pu le découvrir encore.
Je ne vous diray point quel chagrin le devore a
Mais les dehors trompeurs de fa tranquillité
Nous cachent mille foins dont il eft agité.
Ce mépris de la Cour, cet exil volontaire
Fut trop precipité pour être fans myftere.
Il n'en faut point douter, Alcibiade feint,
Dans tous nos entretiens il m'a paru contraint,
Et dans les fentimens qu'il étale fans ceffe,

Son cœur a moins de part, Seigneur, que fon adreffe.

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PHARNABAZE.

Mais les yeux & fon cœur ne font-ils point trou

blez,

De l'afpect des foldats en ces lieux assemblez?
MEMNON.

Vous l'apprendrez, Seigneur, & dans votre entre

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Il vous découvrira foname toute nuë,
Son fecret avec vous ne peut long-tems durer.
PHARNABAZE.
Puiffe-je le contraindre à me le declarer !
Mais allons voir l'Armée, il eft tems d'y paroître
Et de la difpofer à recevoir fon Maître ;
Pour la derniere fois annonçons aux foldats,
Qu'il arrive aujourd'huy pour conduire leurs pas
Pour verfer dans leur fein l'ardeur qui le devore
Et chercher deformais au delà du Bofphore,
Confondant avec eux & fon rang & fon fort,
L'honneur de la victoire, ou celuy de la mort.
MEMNON.

Du bruit de vostre nom l'Armée eft prévenue,
Seigneur, & chaque jour attend voftre venue.
PHARNABAZE.

Courons donc vers le Camp. Mais il faut m'arrefter,
Alcibiade vient, je le dois écouter.

SCENE II.

ALCIBIADE, PHARNABAZE, AMINTAS, MEMNON.

ALCIBIADE.

Race aux bontez du Ciel, je puis enfin vous

Grace rendre,

Seigneur, tous les devoirs que vous pouvez atten

dre

D'un cœur reconnoiffant, d'un amy genereux,
Perfecuté du fort, & toutefois heureux,
Si le tems, & les Grecs dont je suis la victime,

N'ont point détruit pour moy votre premiere efti

meb

PHARNABAZE.

Le croiriez-vous, Seigneur, que les Grecs, on le

tems

Euffent changé pour vous mes juftes fentimens ? C'eft moy qui vous dois tout; fans ceffe ma mes

moire

Me rappelle ce jour pour vous fi plein de gloire, Où m'arrachant au fer des Grecs victorieux, Vous previnftes la mort prefentée à mes yeux. Votre amitié toujours m'eft également chere: Mais pour moy votre cœur eft-il encor fincere ? Quand je vous vois icy foigneux de vous cacher, Vous montrant à regret à qui vient vous chercher, Et me celant encore avec un foin extrême

Vos maux que je voudrois fentir comme vous-mê

me:

Car ne pretendez plus par de foibles raifons,
Satisfaire mon cœur, & calmer mes foupçons;
Un Heros tel que vous, nourry dans les allarmes,
Dans les foins de la paix, dans la gloire des armess
Qui reglant des Etats confiez en fes mains,
Pouvoit encor fuffire à de nouveaux defleins;
Dont l'ame à la grandeur dés l'enfance enchaînée,
Par de moindres objets ne peut être bornée ;
Un cœur que l'Univers eût eu peine à remplir,
Dans un defert affreux peut-il s'enfevelir?
Abandonner un Roy qui l'eftime, qui l'aime ?
Si quelque coup du fort ne l'arrache à luy-même,
Ou fi quelque autre foin plus fort que fes defirs,
A de grands interêts n'immole fes plaifirs?
Au nom d'une amitié fi rare & fi parfaite,
Quel chagrin dans ces lieux caufe votre retraite ?
Qui vous rend infenfible aux faveurs d'un grand
Roy?

Parlez, Seigneur, parlez, fiez-vous à ma foy.

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ALCIBIADE.

Pouvez-vous l'ignorer? la fureur de la Grece,
La colere d'Agis qui me pourfuit fans ceffe,
Du peuple Athenien l'injufte cruauté,
Enfin tous mes malheurs n'ont que trop éclaté.
Mais
pourquoy rappeller la douloureuse hiftoire
Des maux dont Artaxerce efface la memoire ?
Ce genereux Monarque à mes foupirs rendu,
M'a beaucoup plus donné que je n'avois perdu :
Par fon heureux fecours j'ay pû braver l'envie,
Rétablir ma fortune, & conferver ma vie,

C'en eft affez pour moy. Si j'ay quitté la Cour,
Dans le cœur des humains chaque chofe à fon tour:
Tantôt l'ambition y regne en fouveraine,
Et dans un autre tems trop de grandeur le gêne,
Selon que le deftin reglant nos paffions,
Par un fecret pouvoir conduit nos actions.
Je l'éprouve, Seigneur; & mon ame changée,
De fes premiers defirs fe trouve dégagée.
Loin de l'éclat pompeux que j'ay tant recherché,
Jene demande plus qu'un azile caché;

J'y jouis d'un repos qu'aucun foin ne traverse,
Les Dieux me l'ont donné par la main d'Artaxerce;
Puiffent ces mêmes Dieux prevenant fes souhaits
Au fuccés attendu conduire les projets,
Au comble du bonheur porter fes destinées,
Et prolonger fes jours au prix de mes années!
PHARNA BAZE..

Je le voy bien, Seigneur, je deviens indifcret
Je ne vous preffe plus, gardez votre fecret:
Mais ne m'abufez point par une indigne feinte,
ALCIBIADE.

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L

Eh bien, Seigneur, s'il faut m'expliquer fans con
trainte,

J'ay crû que je devois être éloigné du Roy,
Tandis que dans la Grece il va porter l'effroy:
Peut-être le fuccés trompant fon efperance,

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