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manda une tête de grandeur naturelle. Le duc avoit procuré cet ouvrage à Donatelle. Lorfqu'il fut fini, le marchand en offrit un prix bien inférieur à celui que demandoit le Sculpteur. Tous deux convinrent de s'en renir à la décifion du duc. La tête fut donc apportée dans la cour de fon palais, & placée fur le balcon d'une fenêtre du côté de la rue; Côme, après avoir écouté les deux parties, jugea trop modique l'offre du marchand. Celui-ci lui représenta que la tête étoit au plus l'ouvrage d'un mois, & que d'après cette fuppofition le Sculpteur auroit gagné par jour plus d'un demi-florin. Dans la centième partie d'une heure, répondit Donatelle j'ai autant travaillé qu'un autre dans une année. Cet homme entend mieux à marchander des haricots que des ftatues, il n'aura pas ma tête, & à l'inftant il la jette à terre, & la brife en moz

ceaux.

Des talens auffi diftingués parloient fortement en fa faveur. Le fénat de Venife qui les connut, lui commanda une ftatue équestre de bronze, qu'il avoit décerné d'élever dans la ville de Padoue, en l'honneur d'Erafine Narni, général des troupes de la république. Notre artifte s'y rendit, & exécuta ce monument dans la

place de Saint Antoine. La fierté & la grandeur d'ame font très-bien exprimées dans la figure du cavalier; le cheval qu'il monte semble hannir. La beauté de fes proportions rappelle celles des ftatues antiques, & fait le fujet de l'admiration des fpectateurs. Les Padouans, par reconnoiffance, délibérèrent de le faire citoyen de leur ville. Pour l'y fixer, ils lui demandèrent l'hiftoire de faint Antoine en bas - reliefs, qui décorent l'églife de ce faint, bas-reliefs dont les plus habiles gens admirèrent la compofition.

Les careffes & les éloges lui furent prodigués à Padoue; il en craignit l'ivreffe. Il fe détermina donc à retourner à Florence. A Padoue, difoit-il, j'aurois bientôt oublié tout ce que je fais; dans ma patrie, au contraire, je jouirai du plaifir d'être en bute à la critique. Que j'aime cette façon de penser dans un habile artiste ! Les gens fans mérite font un crime de la critique, comme fi les productions des grands maîtres étoient fans imperfection. Seroit-ce un paradoxe d'avancer qu'ils doivent peut-être autant à leurs censeurs qu'à leurs talens?

Au Cid perfécuté Cinna doit fa naissance,

Et peut-être Racine aux cenfeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont il peignit Burrhus (7).

Donatelle parti de Padoue, s'arrêta à Venise, où il fit préfent à la nation florentine, d'un faint Jean Baptifte en bois très-artistement travaillé. Il laiffa à Faenza un faint Jean & un faint Jérôme en bois non moins eftimés que fes autres ouvrages. De retour en Tofcane, il fculpta dans l'églife de Monte Pulciano, un tombeau de marbre avec un beau bas-relief, & à Florence, dans la facriftie de faint Laurent, un lavoir auquel travailla auffi André Verrochio.

Florence fut le terme de fes courfes. Le duc Côme de Médicis voulut qu'il repréfentât bas-reliefs de stuc, l'hiftoire des quatre évangélistes dans cette même sacristie, & qu'il ornât deux (8) petites portes de bronze, des figures de faint Laurent, de faint Etienne, de faint Côme, de faint Damien, & de différens martyrs, apôtres & confeffeurs. Il exécuta aufli fur

(7) Boileau.

(8) Baldinucci prétend que le Donatelle ne fit point ces portes; j'ai vérifié, dit-il, que celle de la facriftie des meffes eft l'ouvrage de Luc della Robbia, & que la facriftie des chanoines eft reftée avec les anciennes portes de bois.

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les deux chaires du prédicateur, des fujets en bronze de la paffion de N. S. que la vieilleffe l'empêcha de terminer, & que Bertolde fon élève acheva.

Le duc Côme connoiffant de plus en plus les talens de Donatelle, le chargea de reftaurer les antiques qu'il avoit fait venir à Florence à fa follicitation. Parvenu à une heureuse vieilleffe, & ne pouvant plus travailler, il reffentit plus que jamais l'effet des bontés de fon Mécène. Pierre de Médicis, après la mort de fon père, ne fut pas moins jaloux que lui de participer à la gloire des talens en les protégeant. Il donna à notre artifte un bien de campagne dont le revenu fuffifoit pour le faire vivre à fon aife. L'année révolue, celui-ci le pria de le reprendre. Les foins de ce bien, difoit-il, troubloient fon repos, il préféroit de mourir de faim, à être fans ceffe expofé à mille accidens que la prudence humaine ne peut ni prévoir ni parer.

Le duc ne put s'empêcher de rire des inquiétudes de fon protégé, reprit fon bien, & lui affigna une penfion équivalente qu'on lui payoit par femaine , arrangement qui ne lui donnoit que la jouiffance. Ce trait rappelle

d'autre foin

celui d'Anacréon, que le tyran Polycrate força

d'accepter un présent de trois talens. Ce poëte les lui rapporta deux jours après, & lui dit qu'il ne vouloit point de biens qui l'empêchaffent de dormir. Donatelle, à l'âge de 83 ans, devint paralytique, & mourut en 1466. Son corps fur porté à faint Laurent, & placé à côté du tombeau du duc Côme, fuivant le defir qu'il avoit marqué d'être près de lui après fa mort, comme il l'avoit été de fon vivant par la pensée.

Quelques-uns de fes parens vinrent le voir fur la fin de ses jours, & le prièrent instamment de leur laiffer une ferme qu'il avoit dans un lieu dit Prato, quoiqu'elle fût d'un modique revenu. Je ne puis vous l'accorder, répondit Donatelle, il me paroît plus jufte de la donner au laboureur qui l'a fait valoir à la fueur de fon front, qu'à vous qui n'avez point contribué à fon amélioration.

Donatelle étoit bon ami, prévenant & libétal, fi peu attaché à l'argent, qu'il le mettoit dans un panier fufpendu à fon plancher, afin

que

fes ouvriers & fes amis en fiffent librement ufage. Il deffinoit facilement, & d'une manière auffi hardie que fière. Peu de Sculpteurs ont autant travaillé que lui, & peu l'ont furpaffé dans la figure & les animaux. C'est un de ceux qui

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