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& on lui confia plufieurs ouvrages importans. De ce nombre font les deux ftatues en marbre de treize pieds de haut, de S. Sébastien, & du bienheureux Alexandre Saoli, placées dans des niches fous la coupole de Notre-Dame de Ca-、 rignan. Le plus bel éloge qu'on puisse en faire, c'est de dire que le fujet feul empêche de les prendre pour des antiques.

Après ces figures, notre artifte s'occupa d'un grouppe pour l'églife du grand hôpital. Il avoit déjà fait le modèle d'une troisième ftatue repréfentant fainte Madeleine pénitente pour Notre Dame de Carignan, & il fe difpofoit à l'exécuter, lorsqu'un foir il fut rencontré par la garde, l'épée au côté; il étoit défendu d'en porter deux heures après le coucher du foleil. Arrêté & mis en prison, il en informa le fignor Saoli, qui différa jufqu'au lendemain fon élargiffement. Puget piqué de ce délai, vouloit partir fur le champ, & s'en retourner dans fa patrie. Les nobles firent leurs efforts pour le retenir; ils n'obtintent de lui la prolongation de fon féjour, que jufqu'à ce qu'il eut terminé des ouvrages commencés à Gênes.

Enfuite il entreprit un bas-relief de l'Affomption pour le duc de Mantone, & le lui envoya.

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Le cavalier Bernin qui venoit en France en entendit parler; il fe rendit exprès à Mantoue pour le voir, & convint que c'étoit un ouvrage d'une très grande beauté. Le duc fouhaitoit depuis long-temps d'attirer Puget dans fes états; il envoya à Gênes deux de fes gentilshommes qui lui promirent une récompenfe digne de lui. Mais fa prompte mort rompit tous fes projets.

Il paroît que notre artiste étoit un peu ferme & entier dans fes réfolutions. Son aventure avec un noble génois marque un caractère qui n'aimoit guère à plier. Ce gentilhomme lui avoit commandé une ftatue de marbre, fans convenir de prix. Lorfqu'elle fut achevée, le Sculpteur la fit conduire dans une barque fur le bord de la mer, au bout du fauxbourg de Saint-Pierre d'Arêne où il demeuroit. Le noble s'y rendit. On tire la figure de la barque, il l'admire, & en paroît très-fatisfait; mais il refuse au Sculpteur le prix qu'il en demande. Celui-ci fait fur le champ replacer la ftatue dans la barque, fous prétexte d'y retoucher quelque chofe, s'embarque avec elle, & à vingt pas du noble génois la met en pièces, & lui crie de toute fa force : quelque noble que vous foyeż, je le fuis encore plus que vous, puifque le prix de mon tra

vail me touche fi peu ; & vous, vous n'avez pas affez de noblesse pour acquérir une belle chofe avec votre argent.

Cependant Colbert, fur le récit que le Bernin lui fit du rare mérite de Puget, le rappela en France par un ordre du roi qui le gratifioit d'une penfion de douze cents écus, en qualité de Sculpteur & de directeur des ouvrages concernant les ornemens des vaiffeaux. Il se disposa donc à partir, malgré les avantages confidérables qu'il trouvoit à Gênes, après y avoir travaillé huir ou neuf ans de fuite. Il arriva à Toulon en 1669, & y fit un grand nombre de deffins de marines fur vélin, lavés, & d'un extrême fini, fupérieurs à ceux qu'on avoit inventés jufqu'à lui; ils font recherchés des curieux avec beaucoup d'empreffement.

Malgré ces occupations, Puget commença pour le roi un bas-relief de dix pieds de haut, qu'il n'acheva qu'à la fin de fes jours; fon fujet eft Alexandre vifitant Diogène. Il termina pour Gênes deux ouvrages; l'un eft le modèle, de treize à quatorze pieds de haut, de l'église de l'Annonciade, qui n'a point eu d'exécution. On le voit dans l'arrière-facriftie de ce temple. L'autre eft un baldaquin pour le maître autel

le

de l'églife de Carignan; cet ouvrage, confervé à Marseille, eft une preuve, ainfi que premier, de fes connoiffances en architecture. Il a dit plufieurs fois qu'il lui feroit facile d'ajouter un cinquième ordre à cet art, & que s'il avoit eu le bonheur d'être architecte du ́roi, il auroit égalé tout ce que l'antiquité a produit de plus beau.

Dans ce temps-là, plufieurs blocs de marbre de Gênes qu'on devoit embarquer pour le Havrede-Grace arrivèrent à Toulon. Puget pria Colbert de lui en laisser trois, ce qui lui fut accordé• D'une de ces pièces il fit le Milon, le premier de fes ouvrages qui parut à Verfailles : cette figure eft haute de huit à neuf pieds. Ses envieux la firent d'abord placer dans un endroit des plus détournés du parc; mais le roi qui en connoiffoit tout le mérite, ordonna qu'on la posât à l'entrée de l'allée royale. L'effroi, la rage & le défefpoir font admirablement exprimés fur le vifage de cet athlète; tous les muscles de fon corps marquent fes efforts pour dégager fa main prise dans le tronc d'un arbre qu'il avoit voulu fendre, tandis que de l'autre il arrache la langue à un lion qui le mordoit par derrière. On dit qu'occupé de cette figure,

dont toute l'action eft violente, il fit différentes études tendantes à exprimer dans le pied de Milon, & l'impreffion de la douleur, & les efforts de ce malheureux athlète pour fe dégager. Peu fatisfait de ces études, il tendit fon pied à un de fes élèves dans un mouvement de dépit, fe le fit modeler, & trouva ainfi dans lui-même ce qu'il avoit inutilement cherché dans les autres.

Cette figure de Milon plut généralement à la cour. Le furintendant des finances fit écrire à l'auteur que le roi fouhaitoit qu'il s'occupât d'un autre grouppe pour l'accompagner. Puget acheva 'donc l'Enlèvement d'Andromède par Perfée auquel il avoit travaillé cinq années en divers remps, & son fils le présenta au roi en 1685. Sa majefté dit en le voyant : Puget n'eft pas feulement un grand Sculpteur, mais il eft inimitable.

Quelques années après, Tournefort(4) paflant à Marseille, dit à notre favant Sculpteur qu'on trouvoit la figure d'Andromède trop petite, & que Perfée paroiffoit un peu vieux pour un un jeune héros. Puget répondit qu'un de fes élèves nommé

(4) Tournefort, Voyag. du Levant T. I, p. 9 & fuiv.

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