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CXVIII.

TE fuis un Antidote, & je fuis un poifon,
J'avance le trépas & prolonge la vie ;
Je réveille les fens, & j'endors la raison,
Et je feme la guerre où la paix me convie.

Je fuis plein de franchise, & plein de trahison, Et des pleurs & des ris ma puiffance eft suivie: Je méprife celui qui me tient en prifon, J'excite la pitié, je fais naître l'envie.,

Je broüille les amis, & je les entretiens,
Jaccrois les revenus, & diffipe les biens,
Je marque en ma couleur & la neige & la flâme.

J'augmente le courage & la témerité,
Je meurs dedans le corps où je conferve l'ame,
Et les plus diffolus aiment ma pureté.

JE

CXIX.

E fuis eau fans être liquide,
Je fuis une pouffiere humide
Qui fe forme chez Jupiter.
Ma froideur échauffe la terre:
Et quand je te viens vifiter,
Elle ne craint point le tonnerre.

NGNG NG NG NG NG NX X X X X

CXX.

JE quitte ma blancheur, & prends le teint d'un

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Par l'ardeur qui mon fein cruellement dévore:

:

On me cherche furtout dans l'affreuse saison,
Je ne poffede rien qu'une terre infertile :
Mais on verroit toûjours, fans ma faveur utile,
Tous les hommes gémir en leur triste maison.

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MA

CXXI.

A charge eft de grand poids, quoique je
fois légere,

Je fais part des tréfors de la terre & des Cieux;
J'évente les fecrets des hommes & des Dieux,
Et du faux & du vray je fuis la messagere.

J'ouvre à cent Beaux Esprits une vaste carriere,
Qui chatouille l'orgueil de leurs cœurs ambitieux,
J'ai le mouvement prompt, le vol audacieux;
Par mòn art je fçais plaire ou vraye ou menson-
gere.

On peut même louer la beauté de mon corps,
Je l'ai net & poli dedans comme dehors,
Je l'ai de la couleur & du luftre d'yvoire.

La beauté d'un oifeau de la mienne dépend ;
Mais j'ai le bec tranchant & la falive noire,
Je jette quelquefois le venin d'un ferpent.

JE

CXXII.

E fuis un bien auteur de plufieurs maux;
Si j'aveugle, pourquoi fe plaît-on à ma vûë?
Ne me confervez point avec tant de travaux
Puifqu'avant vôtre mort la vieilleffe me tuë.

>

Malgré mes vains efforts fa haine me pourfuit, J'ai la blancheur des lys, & l'incarnat des roses, On diroit que ces fleurs font fraîchement écloses; J'aime à paroître au jour, & l'on m'aime la nuit.

A mon aspect charmant l'éloquence est muette, Souvent l'on me poffede, encor qu'on ne m'ait pas;

Les traits les plus vivans du Peintre & du Poëte, Ne font bien animez que par mes doux apas.

CXXIII.

E nais d'une mere étrangere,

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Qui me met au monde fans douleur ;
Bien que de plufieurs coups mon pere
D'un poignard lui perce le cœur.

Mon corps compofé de fes larmes
Devroit-il être précieux ?

L'homme prétend que j'ai des charmes
Qui peuvent appaifer les Dieux.

Trifte & malheureuse victime,
Sans avoir commis aucun crime.
L'on me confume à petit feu.

Je fais les honneurs d'une fête,
En mourant je monte à la tête
C'est ainsi que je dis adieu.

CXXIV.

E touche de plus près la plus cruelle Dame, Qui me découvre à nud fes plus rares beautez;

Elle

Elle approuve toûjours ces grandes privautez,
Et j'ole l'embrafler fans craindre qu'on m'en

blâme.

Avec un zele égal je fers l'homme & la femme, Et le jour & la nuit je fuis à leurs côtez: Mais ils me font fouffrit d'étranges cruautez, Pendant que dans mes bras ils éteingnent leur fà

me.

Le deftin ne veut pas qu'on fe paffe de moi, Je loge étroitement même le plus grand Roi; Je céle les faveurs qu'une maîtreffe accorde.

On me trempe, on me bat, on me tord, on mé pend,

On me frotte on me laiffe en l'air fur une corde, Dans un preffant besoin mon Possesseur me vend.

N

CXXV.

Ous portons en tous lieux la joye & la trif teffe,

Les taches au-dedans, la blancheur au-dehors; Et quand nôtre fervice a fait fouiller nos corps, Ou l'on nous jette au feu, ou l'on nous met em piece.

Nous fréquentons la Cour, nous fervons au vulgaire ;

On nous bat nuit & jour, même en toutes faifons, On nous voit renverfer les meilleures maifons : Mais tout nôtre pouvoir fouvent ne dure guére.

Nous avons divers Rois dont l'air eft pitoyable, Les gens les plus hupez recherchent leur faveur;

D

Vous voyez que l'un d'eux montre qu'il a du cœur ; Que l'autre fait paroître une arme épouvantable,

Celui-ci par des croix prétend fe diftinguer; 'Celui-là nous étale le brique en fon enseigne : Mais de quelques couleurs que chacun les dépei

gne,

Pour les craindre ou chérir il faut extravaguer.

Sans cœur & fans efprit ils agitent vôtre ame, Souvent ils font régner le départ qui l'enflâmé : Ils brillent dans le monde avecque leurs valets, Leurs habits font-ils vieux, ils hantent les laquais.

CXXVI.

E fuis à toute heure en danger;

Et chacun fonge à m'outrager,
Contre les loix de la narure:
Avez-vous jamais entendu
Que l'on condamne à la torture
Celui que l'on a vû pendu ?

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JA

CXXVII.

'Ar des peres fouvent de contraire nature, Je puis trouver ma vie au beau milieu des feux : Je la puis rencontrer auffi dans la froidure, Ou d'un acier tranchant, ou d'un rocher affreux.

La mort finit mon fort d'une vitesse extrême Car un même moment me voit naître & périr:

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Si je brille en naiffant, ma mort brille de même, L'air eft ma fépulture, adieu, je vais mourir.

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