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Il ne s'enfuit pas de cette regle qu'on ne doive pas parler des petites chofes, puifque l'Enigme eft en poffeffion de parler magnifiquement d'un petit fujet, & c'est peut-être un des plus beaux fecrets de la Poëfie de faire de beaux vers fur un fujet qui n'offre rien de grand de lui-même. Ainfi c'eft fe conformer à la regle qu'on vient d'expliquer, que de fauver la petiteffe du fujet par des vers qui le décrivent noblement, & exactement tout ensemble: en un mot il ne faut pas confondre ce qui eft vil & bas avec ce qui eft petit.

Mais me dira-t-on d'où vient que malgré votre regle vous avez rapportés deux Enigmes fur une ordure que vous n'avés pas ofés nommer en François ? Je réponds que l'une de ces Enigmes eft affés ingé nieufe, & tout paffe à la faveur de l'efprit, & l'autre ne montre le fujet que par des endroits qui le déguifent fi bien que la délicateffe n'eft précisément bleffée que lorfqu'elle devine le mot. Ainfi l'on n'eft point choqué par la defcription, mais par la chofe décrite. Il faut porter le même jugement fur deux autres Enigmes dont dont l'une commence par ce vers. Je fuis un invifible corps,

Et l'autre commence ainfi.

Je meurs au même inftant que je commence à naître.

D'ailleurs on a cru qu'on pouvoit facri fier ces quatre Enigmes à la plaifanterie. Sixièmement, on a dit dans la définition de l'Enigme, que le fujet doit être connu. Il ne faut donc pas aller chercher des fujets inconnus je ne dis pas au vulgaire, mais à bien des gens éclairés. Un Auteur qui feroit une Enigme fur lé Lichias, ou fur le Loungans qui font des plantes de la Chine, fe rendroit ridicule; qui pourroit deviner le mot ?

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A toutes ces regles j'ajouterai que l'Enigme doit être en vers. Une tragédie en profe feroit un monftre; une Enigme en profe ne fçauroit plaire aux connoiffeurs. La poëfie eft affectée à certains ouvrages d'efprit.

On a voulu impofer le joux aux Enigmatiftes modernes de ne point choifir pour le fujet de l'Enigme des fujets moraux comme la valeur, la fineffe, la prudence. Un Auteur défend de faire des Enigmes fur des privations d'être, comme fur la mort, les ténébres; mais ce font des caprices d'Auteur qui ne font pas fuivis. Si l'on s'y conformoit on profcriroit bien des Enigmes ingénieufes; pourquoi par exemple ne feroit-on pas une Enigme fur la mort que tout le monde perfonifie dans le difcours ordinaire ? Sans vouloir faire ici le petit Légiflateur, je dirai qu'on ne doit

choifir

pas pour objet d'une Enigme les vérités de la Religion; elles font trop graves pour entrer dans un amusement d'efprit d'ailleurs qui pourroit fouffrir qu'on répandît de nouvelles ténébres fur celles dont la foi enveloppe nos Myfteres? Je me conformerois volontiers à une regle qui veut que l'Enigme que l'on fait parler ait le même genre que le mot, cependant les maîtres de l'art n'ont pas reçu cette loi. Il faut obferver que l'Enigme eft herma phrodite ; car elle a les deux genres mafculin & féminin. Le mafculin étoit autrefois plus ufité, à prefent c'eft le féminin. Cette bizarrerie de l'ufage donneroit lieu de faire une jolie Enigme fur l'Enigme même.

:

J'ai encore une dette à payer je dois rendre compte de ce recueil, je n'ai garde de décliner fur cet article la jurifdiction du public; que mes Juges s'affeyent dans le Tribunal, me voilà debout devant eux. Je leur dirai d'abord que l'Abbé Cotin, celuilà même que Defpreaux prétend avoir illuftré dans fes Satyres & François Colle tet fils du Poëte Claude Colletet donnerent chacun prefque en même-tems un recueil d'Enigmes. Dans ces recueils il faut franchir cent buiffons avant que de rencontrer une rofe. A péine ai-je trouvé dans l'ouvrage de Colletet deux ou trois Enigmes qui puiffent paroître; & encore fans

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vouloir faire un reproche à la mémoire de cet auteur, leur ai-je donné bien des coups de lime.

On a vû plufieurs éditions de l'ouvrage de l'Abbé Cotin fous le titre de Recueil des Enigmes de ce tems. Quand j'ai voulu mettre ce livre à profit, j'ai commencé par faire main basse fur un grand nombre d'Enigmes, l'on appelle cela s'exécuter foimême car j'ai ufé de ce recueil comme de mon propre bien. J'y ai autant de droit que l'Abbé Cotin en avoit, puifque les Enigmes n'étoient pas de lui & qu'il les avoit quêtées dans le cabinet de plusieurs Poëtes. J'ai retouché celles que j'ai confervées; il y en a plufieurs que j'ai refondues entierement, parce que l'expreffion en étoit embaraffée.

J'ai tâché d'ouvrir par tout un paffage à cette raifon épurée qui doit guider un auteur dans un ouvrage d'efprit. Comme je me fuis propofé le deffein de donner un recueil d'Enigmes qui pût plaire, je me suis imaginé que le public les examinoit avec moi; dès qu'il m'a femblé que mes Juges fe ridoient le front & fronçoient le fourcil; j'ai facrifié les pensées, les expreffions qui leur rendoient la phifionomie fombre. Dans cette feconde édition j'ai encore fait. de nouvelles corrections, j'ai ôté quelques Enigmes. Avec tout cela on pourra encore.

trouver quelques endroits qui méritent d'être immolés à la févérité de la cenfure. Quoique j'aie fait bien des changemens, que j'aie retranché des licences dans les vers, j'ai cru que je devois laiffer dans deux ou trois endroits un entrelaffement irrégulier de rimes malculines ou féminines qui fe joignent, bien qu'elles foient differentes. J'ai refpecté cet ancien ufage de notre Poëfie, que néanmoins je me garderois bien d'imiter.

Depuis que Defpreaux dans fa Satyre à Moliere a condamné ces expreffions Nompareil, à nul autre feconde, elles passent pour des chevilles dans le vers, je les ai retranchées presque par tout & ne les ai laiffées que dans deux ou trois endroits où elles m'ont paru avoir leur place naturelle. Après tout l'autorité de Defpreaux, quelque célébre qu'elle foit, ne peut pas abolir entiérement des expreffions françoi fes confacrées par Malherbe & par Racan, J'ai encore refpecté quelques expreffions de l'ancienne Poëfie que nos Poëtes femblent à prefent éviter comme des écuëils, quoiqu'elles caracterifent parfaitement le vers en le diftinguant de la profe.

J'ai bien un autre grief contre quelquesuns de nos Poëtes. Il faut me foulager, je fouffrirois trop de me contraindre. Ils s'éloignent de cette belle nature que les

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