Pour prévenir ce qu'il redoute, il compte sur la force, et il l'invoque, car c'est l'unique moyen de goûter les douceurs du repos : Tu nous rendras alors nos douces destinées; La moisson de nos champs lassera les faucilles Quelle poésie! André Chénier affirme que nous n'avons pas de plus beaux vers dans notre langue. Ce n'est pas tout: Malherbe a devancé et surpassé Jean-Baptiste Rousseau par quelques strophes imitées du psaume CXLV: la poésie du roi - prophète, desséchée par Marot, amollie par Desportes, que Godeau devait délayer et Racan noyer dans leurs languissantes paraphrases, va paraître ici avec l'éclat de ses images et dans toute la profondeur du sentiment religieux : N'esperons plus, mon ame, aux promesses du monde En vain, pour satisfaire à nos lasches envies, 1 Poésies de Malherbe, liv. II, p. 71. Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont ce que nous sommes, Veritablement hommes, Et meurent comme nous. Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussiere Que cette majesté si pompeuse et si fiere Dont l'esclat orgueilleux eblouit l'univers Et dans ces grands tombeaux, où leurs ames hautaines Ils sont mangés des vers. Là, se perdent ces noms de maistres de la terre, Tous ceux que la fortune Fesoit leurs serviteurs 1. Ces idées du néant de nos grandeurs et de la vanité de nos plaisirs se retrouvent encore dans des vers de Malherbe, qui, cette fois, s'inspire d'Horace et, dans cette lutte nouvelle, sait toujours être original : L'Orne comme autrefois nous reverroit encore, Et couchés sur les fleurs, comme estoiles semées, Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes ! C'est un point arresté que tout ce que nous sommes, Issus de peres rois et de peres bergers, Poésies de Malherbe, 1. IV, p. 287. 1 La Parque egalement sous la tombe nous serre, Tout ce que la grandeur a de vains equipages, On a bien souvent, avant et depuis Malherbe, essayé de reproduire le charme attendrissant de la strophe d'Horace Linquenda tellus et cette harmonie gémissante du poëte latin; mais personne n'en a plus approché que ne l'a fait dans ces admirables stances le père de notre poésie. Après de pareilles inspirations, on comprend que Malherbe, en se comparant à ceux qui l'entouraient, ait eu quelques transports d'orgueil et qu'il ait promis l'immortalité à ses vers et à ceux qu'ils célébraient. Qui donc lui ferait un crime d'avoir prophétisé en beaux vers, lorsqu'il disait : Les ouvrages communs vivent quelques années, Ou encore: Apollon, à portes ouvertes, Laisse indifferemment cueillir 1 Poésies de Malherbe, liv. I, p. 56 et 57. 2 Id., ibid., 1. III, p. 250. Mais l'art d'en faire des couronnes Qui demeure eternellement 1. Malherbe fut chef d'école. Il en eut les avantages et les inconvénients, c'est-à-dire de fervents admirateurs et des adversaires déclarés. Il accepta les louanges, qui jamais ne lui parurent exagérées, et il ne s'émut pas des critiques. En vain mademoiselle de Gournay réclama pour Ronsard; en vain Regnier, prenant en main la même cause, osa-t-il accuser le sévère réformateur d'être de ceux de qui Le savoir ne s'estend nullement Qu'à regratter un mot douteux au jugement'. et de ne faire autre chose Que proser de la rime et rimer de la prose, Malherbe laissa dire et ne crut qu'à sa gloire et à la nécessité de la réforme qu'il avait accomplie. Pour en assurer la durée, il fut même pédagogue; il forma directement par des leçons orales plusieurs disciples auxquels ils n'épargnait ni les conseils sévères ni les réprimandes. Il tenait sa classe dans une petite 1 Poésies de Malherbe, liv. III, p. 171. Regnier, sat. ix, v. 55. • Id., ibid., v. 74. chambre de l'hôtel du duc de Bellegarde où il demeurait, vrai logis de poëte, à peine meublé ; c'est là qu'on passait à l'étamine les œuvres des illustres dont la gloire était importune, qu'on biffait tout Ronsard, que l'on commentait outrageusement Desportes et Bertaut, que « le grammairien en lunettes, >> comme a dit Balzac, « dogmatisait de l'usage et de la vertu des particules, » qu'il « traitait l'affaire des gérondifs et des participes comme si c'était celle de deux peuples voisins l'un de l'autre, jaloux de leurs frontières; » c'est là sans doute « que la mort l'attrapa sur l'arrondissement d'une période. » Les plus dociles et les plus distingués de ces écoliers étaient le marquis de Racan et le président Maynard. Racan surtout mérite qu'on s'arrête à ses œuvres; sa réputation se fonde sur des titres légitimes, son nom n'est point destiné à périr, et bon nombre de ses vers ornent encore la mémoire des connaisseurs. Boileau s'est permis, contre son habitude, une hyperbole de louange en faveur de Racan, lorsqu'il a dit : Racan pourrait chanter au défaut d'un Homère1. Si La Fontaine ne le rapproche pas d'Homère, il ne le sépare point de Malherbe et il n'y met aucune différence: Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre, Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire2 1 Boileau, sat. ix, v. 44. 2 La Fontaine, liv. III, fab, I, v. 9 |