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prévint l'achèvement de ce dessein. On gémit en son< geant au petit nombre de ces jours si bien employés; le cœur se serre au souvenir des souffrances de Pascal, épiant les intermittences du mal qui dévorait sa vie, pour jeter avec une ardeur fiévreuse, sur des feuilles éparses, les idées et les émotions qui fermentaient dans son âme. De là nous sont venus ces fragments, débris anticipés, pieusement réunis par des amis fidèles, par des confidents éclairés, dont le zèle avait su disposer avec prudence, sans déloyauté et non sans adresse, ces précieux matériaux, de manière à en former un livre qui étonne au moins l'incrédulité quand il ne réussit pas à la vaincre. Mais avant d'aborder cette œuvre, objet de tant d'admiration et sujet de tant de controverses, nous devons au moins faire connaître quelques-uns de ces chrétiens austères et militants qui ont jeté tant d'éclat sur l'école de Port-Royal.

A leur tête figure Antoine Arnauld, docteur en Sorbonne, le vingtième, mais aussi le dernier, des enfants du célèbre avocat qui légua à sa famille, outre le talent de bien dire, le rare courage de ne pas déguiser sa pensée. Ce fils, non moins ardent, non moins loyal que son père, était également trempé pour la controverse, et sa longue vie fut un combat dont il ne s'est reposé que dans l'éternité. Disciple de Jansenius, qui avait développé et sans doute exagéré la doctrine de saint Augustin sur la grâce, il représente plus énergiquement qu'aucun docteur de la même école la pensée religieuse de Port-Royal. Avant tout il veut être orthodoxe; s'il agite l'Eglise,

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e'est dans le dessein de la réformer avec la ferme intention de ne jamais s'en séparer. Il sera l'infatigable adversaire de l'hérésie des protestants et le champion quelquefois incommode, mais toujours fidèle, du catholicisme. Rome, qu'il inquiète et qui ne l'aime point, est forcée de l'admirer dans les combats qu'il livre pour l'intégrité de la foi. Ennemi irréconciliable des jésuites et tout meurtri des coups qu'il a reçus en échange de ceux qu'il a portés, il écrit avec Nicole le solide et volumineux traité de la Perpétuité de la foi, et dans un autre livre non moins important, il attaque la théologie et la morale des calvinistes l'exil semble ajouter à son zèle dans ses dernières années, à tel point que les protestants, forcés comme lui de quitter la France, n'ont pas rencontré sur la terre étrangère de lutteur plus acharné et plus redoutable. Son Apologie des catholiques contre le ministre protestant Jurieu a toute la véhémence des invectives de la tribune antique. Personne n'a contesté l'austérité de ses mœurs conforme à celle de ses principes, ni la loyauté de son caractère; son siècle, témoin de tant de vertus et d'un si grand courage, entraîné d'ailleurs par son impétueuse éloquence, lui a décerné le surnom de Grand. Mais, comme il lui a manqué le pouvoir de maîtriser sa passion, de resserrer ses pensées dans de justes limites, et de les graver en traits précis par le langage, la postérité ne voit plus guère qu'un improvisateur diffus dans le controversiste intrépide et véhément qui avait tant d'empire sur ses contemporains.

Nicole, associé aux travaux et aux épreuves du grand Arnauld, fut comme le Mélanchthon de ce Luther orthodoxe. Sa patience érudite amassait les matériaux qui devenaient des armes dans les mains de son chef. Né pour la paix, il lui arriva quelquefois de demander un peu de relâche qui lui était toujours refusé. Enfin, il se dégagea de cette, alliance, et, rendu à ses goûts naturels, il écrivit ses Essais de Morale qui tendent tous à pacifier les âmes en maitrisant les passions et en affermissant les croyances religieuses. Il oppose l'Évangile non-seulement à l'indifférence sceptique de Montaigne, mais aux excès du zèle religieux; s'il ne veut pas de cette paix trompeuse que procure « l'incuriosité» sur les mystères de la vie humaine, il combat également la foi tyrannique qui s'impose avec violence. Nicole nous apaise sans nous affaiblir; il donne à l'âme de la sérénité, une douce chaleur, une assurance tout ensemble calme et courageuse; il adoucit et il fortifie, et c'est en ce sens que madame de Sévigné, dont l'imagination si vive est souvent si judicieuse, dit à sa fille qu'elle voudrait faire de tel des Essais de Nicole << un bouillon pour l'avaler. »

Au nombre des solitaires, et le plus détaché du siècle, se trouvait Antoine Lemaître, fils de l'une des sœurs du grand Arnauld. Ses succès au barreau devaient le porter aux plus hautes dignités de la magistrature, lorsque frappé d'un coup irrésistible de la grâce il renonça irrévocablement au monde pour se consacrer sans partage aux pratiques de la piété la plus austère. Il avait montré le premier ce que pou

vait devenir la langue du barreau, et quoiqu'il n'ait pas échappé à tous les défauts de la plaidoirie contemporaine, « on trouve, a dit d'Aguesseau, dans ses discours des traits qui font regretter que l'éloquence de l'auteur n'ait pas eu la hardiesse de marcher seule et sans ce nombreux cortège d'orateurs, d'historiens et de Pères de l'Église qu'elle mène à sa suite. » Antoine Lemaître trouvait à Port-Royal son frère Lemaître de Saci, traducteur de la Bible et du poème de la Gráce de saint Prosper, voué dès lors à l'éducation des enfants avec Claude Lancelot qui donna des leçons à Racine. On remarquait encore dans cette pieuse solitude, que visitait souvent Arnauld d'Andilly par lequel elle communiquait avec le monde, les De Pontis, les Du Fossé, les Fontaine, qui ont laissé des mémoires si intéressants où le moderne historien de Port-Royal' a trouvé de précieux matériaux.

La plus solide gloire de Port-Royal n'est pas dans les controverses qu'il a soutenues avec courage et talent, mais dans les ouvrages que ses maîtres ont composés pour l'instruction de la jeunesse. La Grammaire générale, qui appartient pour la partie philosophique à Antoine Arnauld, les Méthodes grecque et latine, écrites selon les principes de la Grammaire générale, et surtout l'Art de penser ou la Logique, sont des titres qui ne périront point. Le plus sûr moyen de relever les études et de les rendre profitables serait de s'attacher à ces livres, fruits du sa

1 Port-Royal, par M. Sainte-Beuve. 5 vol. in-8, 2e édition Hachette. 1860.

voir, de la méditation et de l'expérience : ils ne sont au-dessus de l'enfance que parce qu'on néglige d'élever jusqu'à eux l'esprit de l'enfance. Cela est vrai de toutes ces œuvres consciencieuses, et on gagnerait surtout beaucoup à mettre aux mains des jeunes gens Ja Logique, qui, bien comprise, armerait si puissamment les intelligences et les cœurs contre tous les sophismes qui pervertissent la raison et les mœurs. Les bons livres ne nous manquent pas, mais la connaissance approfondie de ce que nos devanciers ont écrit sainement et judicieusement.

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Après avoir payé, bien incomplétement sans doute, notre dette de reconnaissance à ces maîtres habiles et vertueux qui ont formé Racine et inspiré Rollin, nous pouvons revenir à Pascal. La nouvelle œuvre religieuse conçue par ce grand homme avait surtout pour but de faire passer la foi qui l'animait dans le cœur des incrédules et des sceptiques; il ne s'adressait pas aux chrétiens qu'il aurait troublés plutôt qu'édifiés. Il ne faut pas oublier que Pascal avait rencontré dans le monde quelques-uns de ces athées alors si nombreux dont parle le père Mersenne; il avait conversé avec les Miton, les Desbarreaux, qui se targuaient de leur incrédulité. Combien il en avait souffert, on le voit par cette plainte ironique : « Prẻtendent-ils nous avoir bien réjouis, de nous dire qu'ils tiennent que notre âme n'est qu'un peu de vent et de fumée, et encore de nous le dire d'un ton de voix fier et content? Est-ce donc une chose à dire gaiement? Et n'est-ce pas une chose à dire tristement, au contraire, comme la chose du monde la

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