: prit avait placé Théophile à la tête d'une ligue de jeunes seigneurs dont les mœurs et les propos alarmaient les directeurs de la conscience royale. La cour se partageait entre ces épicuriens, qui se permettaient beaucoup, et les censeurs, qui voulaient les ranger à l'ordre le roi Louis XIII, encore adolescent, pouvait céder aux entraînements de l'âge et donner gain de cause aux brillants disciples et protecteurs du poëte, les Liancourt, les Montmorency. Il y avait rivalité d'influence, et c'est ce qui explique l'ardeur des poursuites dont Théophile fut l'objet, et qui amenèrent au moins son effigie en place de Grève, pour y être brûlée. On avait, en effet, à son intention, Bandé les ressorts De la noire et forte machine Estend ses bras jusqu'à la Chine1. Théophile avait contre lui le père Voisin pour l'intrigue, le père Garasse pour l'injure; et comme il a été perfidement enlacé, et injurié à outrance, on se prend à le plaindre, on est même tenté de l'absoudre. Sans doute Théophile a été surtout coupable du prestige de son esprit et du crédit qu'il lui donnait à la cour; mais, malgré l'habileté de sa défense, qui renversa le bûcher où il devait monter, qui lui rendit même la liberté, il n'a pour nous qu'une innocence légale. Ses persécuteurs sont odieux, parce qu'ils ont passé toutes les bornes et dans leurs imputations et 1 Les Œuvres de Théophile, divisées en trois parties. Paris, 1636. 5e partie, Requête au Roy, p. 171. dans le châtiment qu'ils réclamaient; et toutefois il est clair que ce n'est pas à titre purement gratuit qu'il a été mis en cause. Nous n'avons pas à entrer dans les détails de ce procès, qui montre au moins à quel point Théophile paraissait dangereux, et combien il importait à ses adversaires de se débarrasser de sa présence. Était-il le coryphée des incrédules qui s'étaient étrangement multipliés à la suite des guerres de religion? Il s'en est défendu à grands renforts d'arguments; il a même abjuré publiquement le protestantisme; il a traduit le Phédon en témoignage de croyance à l'immortalité de l'âme; il est encore vrai qu'il n'a pas personnellement publié le Parnasse satirique, mis à sa charge; mais ces démarches et cette abstention ne seraient-elles pas des ruses de guerre ? Quoi qu'il en soit, la nécessité de se défendre donna l'essor au talent de Théophile, qui écrivit du fond de sa prison, comme apologie, divers mémoires où il se montre habile dialecticien et prosateur excellent. Il enseigne aux avocats de son temps comment il faut discuter; et, dans une cause personnelle et pleine de difficultés, il devance Beaumarchais par la netteté du langage, par la force des arguments, par le mélange adroit des raisons sérieuses et de la piquante raillerie. En sortant de prison, il lance à Balzac, qui devait au moins se taire quand il y allait de la vie et de l'honneur d'un ancien ami, une lettre cruelle, d'un style nerveux et dont les traits acérés blessent jusqu'au sang; jamais l'amitié trahie et indignée ne s'est vengée avec plus d'amertume et d'éloquence. Ces divers. morceaux, écrits avant la mort de Malherbe et au temps même des débuts de Balzac, assignent à Théophile un rang élevé parmi nos prosateurs. Comme poëte, Théophile s'est trop pressé de produire pour n'avoir pas avorté. Sa tragédie de Pyrame et Thisbé serait complétement oubliée, si Boileau n'en eût tiré malicieusement l'apostrophe de l'héroïne au poignard de Pyrame : Ah! voicy le poignard qui du sang de son maistre A laquelle il convient d'ajouter celle-ci pour prouver que la première n'est pas unique : Conseillers inhumains, peres sans amitié, On ne pouvait pas faire plus mal à propos de plus mauvaises pointes. Cette tragédie, à tirades et à monologues, faite sur le modèle de celles qu'improvisait alors Alexandre Hardy, continuateur de Jodelle et de Garnier, est mauvaise de tout point, et fournirait bien d'autres exemples de mauvais goût; l'hyperbole espagnole et le concetti de l'Italie qui s'y détachent sur un fond trivial ne la gardent pas d'être insipide. Théophile subissait à regret la contrainte que lui imposait une œuvre de longue haleine : Autrefois quand mes vers ont animé la scène, L'ordre où j'étois contrainct m'a fait bien de la peine; 1 Œuvres de Théophile, 2° partie; Pyrame et Thisbé, acte V, sc. II, p. 164. 2 Ibid., act. 11, sc. 1, D. 126. Ce travail importun m'a longtemps martyré Mais enfin, grâce aux dieux, je m'en suis retiré1. Il disait encore : La reigle me desplaist, j'escris confusement Nous avons l'aveu du coupable et le secret de sa fécondité trop souvent stérile. Ces poëtes qui méprisent l'art et qui dédaignent le travail dissipent souvent en œuvres éphémères de riches facultés. Théophile n'a pas essayé, à la suite de Ronsard, de contrefaire l'antiquité : en cela, on ne saurait le blâmer; mais il a eu tort de ne pas se laisser guider par Malherbe, puisqu'il reconnaissait que ce réformateur de la poésie « nous avait appris le français, » et qu'il lisait dans ses vers « l'immortalité de sa vie ». Il disait encore: 3 J'aime sa renommée et non pas sa leçon 3; et il ne comprit pas qu'il aurait fallu écouter la leçon pour avoir part à la renommée. Théophile s'est gâté par nonchalance et par indépendance. On le regrette, parce que la nature, qu'il ne seconda pas, l'avait doué merveilleusement. Il est facile de le reconnaître au tour aisé de ses poésies légères, à la clarté de son langage, au relief et à la netteté de quelques expressions. Ce qui manque, c'est le choix, c'est la connaissance du « pouvoir d'un mot mis en sa place 1 Œuvres de Théophile, 1re partie, p. 241 8 Ibid. 3 Ibid., p. 258. enseigné par Malherbe. Et cependant cette muse négligée qui refuse de se réduire « aux règles du devoir » a souvent encore d'heureuses rencontres. Ne reconnaît-on pas le poëte dans cette peinture des rochers qui bordent l'Océan? Ici des rochers blanchissants, Et presentent leurs testes nues Et Malherbe lui-même n'aurait-il pas avoué ces deux strophes qui commencent une ode adressée à Louis XIII? Celui qui lance le tonnerre, Dieu qui vous mit le sceptre en main, Lui qui vous preste sa lumiere Et qui, malgré vos fleurs de lys, Ce grand Dieu qui fit les abymes A l'ombre de ses bras puissants ▲ Théophile, 1re partie, p. 196. |