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Trouvent un assuré refuge;

Et ne sera point irrité

Que vous tarissiez le deluge

Des maux où vous m'avez jeté 1.

Voilà, pour un poëte accusé d'athéisme, des sentiments bien relevés! On croit, au début, entendre gronder la voix imposante d'un Bossuet. Et de plus, pour un rimeur qui n'aime pas à se contraindre, ces vers ne paraissent-ils pas d'une facture bien savante? Mais Théophile était en prison, il était opprimé, et dès lors son âme s'élève avec confiance vers la source de toute justice, et, de plus, les loisirs ne lui manquant pas pour penser sa parole et pour parler sa pensée, il a médité, et la méditation fait de l'improvisateur un poëte véritable. C'est la leçon que nous voulions dégager de cette rapide étude sur Théophile, dont la brillante et trop souvent déplorable facilité a séduit parmi ses contemporains des esprits de même trempe. Ainsi Scudery, qui l'appelle avec emphase le grand divin Théophile, a cédé, comme lui, à la fougue d'un talent naturel que la méditation pouvait féconder, que la règle aurait discipliné, et qui, faute de nourriture et de méthode, s'est dissipé follement. Théophile balança par ses succès éphémères en poésie la gloire de Malherbe : comme prosateur, il aurait pu accomplir avec plus de mesure l'œuvre de Balzac; mais sa vie mal conduite et son talent mal employé n'ont laissé dans l'histoire des mœurs et des lettres qu'un souvenir

1 Théophile, 1re partie, p. 141.

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equivoque. Malherbe, dont il a dédaigne les leçons, l'efface complétement; et Balzac, dont il a raillé le talent et décrié le caractère, fut pour son siècle un personnage considérable et un écrivain supérieur.

Théophile par les déréglements de sa vie, les témérités de sa pensée et les caprices de son esprit, représente assez bien la période d'agitation et de licence où il vécut et qui sépare la mort de Henri IV de l'avènement de Richelieu. La régence de Marie de Médicis et les premières années de la majorité de Louis XIII furent fécondes en troubles et en scandales. Le respect de l'autorité, la discipline que Henri IV et Malherbe avaient pu maintenir, chacun dans son domaine, firent place au relâchement et à la turbulence. Les régences sont toujours de périlleuses épreuves. Cette fois encore l'influence des étrangers fut fatale aux lettres, aux mœurs, à l'administration. Pour revenir à l'ordre dans les lettres comme dans l'État, aux grands desseins qui affermissent les empires, aux grandes œuvres qui honorent l'esprit humain, il faudra qu'un homme de génie renoue la chaîne interrompue. A des ministres tels que les premiers favoris de Louis XIII suffisent des poëtes tels que Théophile; à côté de Richelieu nous verrons le grand Corneille.

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Nous venons de voir comment la poésie s'est constituée par l'heureux génie de Regnier et par la sévère discipline de Malherbe. Son heure est venue avant celle de la prose, qui ne tardera guère, grâce à Balzac, dont elle recevra les qualités qui lui manquent encore. Balzac, comme Malherbe, a eu des précurseurs dont il convient de ne pas oublier les services. Nous avons déjà vu ce que la prose française doit à Calvin, à Rabelais, à Amyot et à Montaigne, qui l'ont dotée et enrichie sans songer à gêner le libre cours de ses destinées ultérieures. Ni les auteurs de la Menippée dans leur admirable pamphlet, ni Henri IV dans ses lettres d'une allure si dégagée et si héroïquement cavalière, ni Marguerite de Valois dans ses Mémoires, qui ont toutes les grâces de son esprit et qui sont plus chastes que sa vie, n'avaient entrepris « de la reduire, » comme avait fait Malherbe pour les vers, << aux regles du devoir. » Duperron et d'Ossat, en lui communiquant la gravité qui leur est propre, ne l'ont pas asservie; saint François de Sales, au delà de nos frontières, lui donne l'onction et la douceur

de son âme. l'aimable coloris des fleurs de ses montagnes, le gazouillement des oiseaux de ses bois, il en fait le charme des cœurs, des yeux et des oreilles; il l'assouplit et il ne la régente pas '. Enfin, si le talent d'écrire abonde, on ne cultive pas encore l'art d'écrire, chacun suit sa pente, il n'y a pas de route tracée ni de courant général. Le premier maître d'éloquence, le premier pédagogue de la prose, fut Guillaume du Vair, qui donne enfin des préceptes dans son Traité de l'Eloquence françoise. Avec lui la France commence sérieusement sa rhétorique.

Du Vair fut garde des sceaux sous Louis XIII, comme plus tard d'Aguesseau sous Louis XV. Les deux magistrats ont laissé les mêmes souvenirs de probité et de faiblesse dans l'exercice de leur charge. Comme écrivains, ils restent l'un et l'autre, avec un talent et un zèle qu'on ne conteste pas, bien en deçà du génie. Nous n'avons pas à nous occuper de la vie politique de du Vair, nous voulons seulement le mettre à son rang dans les lettres et constater les services qu'il leur a rendus. Nous nous contenterons, pour prouver qu'aux leçons de beau langage il a ajouté des exemples, de citer ce qu'il a écrit sur l'efficacité de la prière : « La priere est le souverain et parfaict usage de la parole. Nous, hommes, vers de terre, poussiere agitée du vent, bouillons flottants sur l'eau, venons en conference, entrons en colloque avec non un prince, non un roy, non un empereur, mais avec

1 Pour saint François de Sales, je renvoie mes lecteurs au Port-Royal de M. Sainte-Beuve (t. I, ch. x), et à M. Sayous, Littérature française à l'étranger.

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le Roy des roys, le Roy du ciel et de la terre. Nous sommes receus, non à l'entrée de sa porte, non er son antichambre, mais au plus magnifique et superbe endroict de son throsne. Nous sommes faicts compagnons de ses anges; et bien plus, nous avons ses anges pour ministres, qui nous ouvrent les tentes de ses pavillons et nous introduisent dans les thresors de sa gloire. Avec quel accueil nous y sommes receus, jugez-le, puisque nous y demeurons tant qu'il nous plaist! avec quelle faveur, jugez-le, puisque nous ne sommes jamais esconduits sinon par nostre faute, et quand nous demandons chose injuste et indigne d'estre demandée! tellement que nous pouvons dire qu'en la priere nous avons tout; car Celuy qui n'est point menteur et ne se repent jamais de sa promesse nous dit que nous demandions et nous obtiendrons; et pour ce, vie, santé, richesses, esprit, sont en la priere comme en leur source, d'où nous. les tirons à mesure que nous le voulons, pourveu que nous le voulions à la mesure que nous le devons, c'est à dire de nostre salut et de la gloire de Celuy qui nous les donne1. » Voilà bien l'ébauche de cette prose savante, balancée et rhythmique, qui craint surtout d'offenser l'oreille, et plus soucieuse de l'harmonie que de la pensée. Nous arrivons à Balzac, qui l'achèvera.

De nos jours on néglige trop Malherbe et on ne lit

1 J'emprunte ce passage à M. C.-A. Sapey, qui a remis en lumière les titres littéraires de du Vair dans un fort bon livre qui a pour titre : Études biographiques pour servir à l'histoire de l'ancienne magistrature française, 1 vol. in-8°.

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