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velles de ses terribles parents du désert; soit enfin qu'il prenne courageusement parti pour la conjonctive car, en grand danger d'être proscrite1. Ce qui fait la grâce de ces plaisanteries, c'est qu'on voit qu'elles ne sont pas une affaire pour lui, mais un divertissement, et que son esprit est bien supérieur aux bagatelles dont il l'amuse.

La diplomatie fut une des distractions de Voiture: il y fit ses preuves d'adresse et de solidité; et lorsque, par aventure, cette plume badine a touché à des sujets sérieux, elle a passé sans effort de la familiarité à la noblesse. Favori de Gaston d'Orléans, Voiture ne tarda pas à comprendre que toutes les intrigues ourdies contre Richelieu étaient des services rendus à la maison d'Autriche. Il se décida à louer hautement la politique du ministre qui vengeait la France en abaissant l'Espagne. Il l'a jugé dès 1636, avant l'achèvement de ses grands desseins, comme a fait la postérité. Il expose les motifs de sa conversion dans une lettre qui devance l'histoire, et qui, écrite avec autant de force que de mesure, mérite d'être lue et méditée. Nous devons au moins en détacher une page qui justifie nos éloges : « Voyons, dit-il, s'il s'en est fallu beaucoup qu'il n'ait renversé ce grand arbre de la maison d'Autriche, et s'il n'a pas ébranlé jusques aux racines ce tronc qui de deux branches couvre le septentrion et le couchant, et qui donne de l'ombrage au reste de la terre. Il fut

1 OEuvres de Voiture, édit. Ubicini, 2 vol. in-18, Charpentier, 1855. T. I, lett. Ix, p. 40; lett. CLV, p. 401; lett. LIV, p. 167; lett. c, p. 293.

chercher jusque sous le pôle ce héros qui sembloit être destiné à y mettre le fer et à l'abattre. Il fut l'esprit mêlé à ce foudre, qui a rempli l'Allemagne de feu et d'éclairs, et dont le bruit a été entendu par tout le monde. Mais quand cet orage fut dissipé, et que la fortune en eut détourné le coup, s'arrêta-t-il pour cela? ne mit-il pas encore une fois l'Empire en plus de hazard qu'il n'avoit été par les pertes de la bataille de Leipsig, et celle de Lutzen? Son adresse et ses pratiques nous firent voir tout d'un coup une armée de quarante mille hommes, dans le cœur de l'Allemagne, avec un chef qui avoit toutes les qualités qu'il faut pour faire un changement dans un État. Que si le roi de Suède s'est jeté dans le péril plus avant que ne devoit un homme de ses desseins et de sa condition, et si le duc de Friedland, pour trop différer son entreprise, l'a laissé découvrir : pouvoit-il charmer la balle qui a tué celui-là au milieu de sa victoire, ou rendre celui-ci impénétrable aux coups de pertuisane? Que si ensuite de tout cela, pour achever de perdre toutes choses, les chefs qui commandoient l'armée de nos alliez devant Norlinghen donnèrent la bataille à contre-temps : étoit-il au pouvoir de monsieur le Cardinal, étant à deux cents lieues de là, de changer ce conseil, et d'arrêter la precipitation de ceux qui pour un empire (car c'étoit le prix de cette victoire) ne voulurent pas attendre trois jours? Vous voyez donc que pour sauver la maison d'Autriche, et pour détourner ses desseins, que l'on dit à cette heure avoir été si téméraires, il a fallu que la fortune ait fait depuis trois miracles; c'est

à-dire trois grands événements qui vraisemblablement ne devoient pas arriver: la mort du roi de Suède, celle du duc de Friedland, et la perte de la bataille de Norlinghen'. »

Voiture a encore su parler du duc d'Olivarès en termes dignes de celui qu'il appréciait, et jusque dans des vers dont le ton est familier, il atteint encore la noblesse en parlant des illusions de la gloire humaine, à propos du nom et des victoires du prince de Condé :

Ces deux syllabes glorieuses

Qui font ensemble votre nom
Seront de tout votre renom
Les héritières glorieuses:

Ces trois faits d'armes triomphants,
Ces trois victoires immortelles,
Les plus grandes et les plus belles
Qu'on trouve en la suite des ans ;
Tant d'exploits et tant de combats,
Tant de murs renversés à bas,
Dont parlera toute la terre,
Seront pour elles seulement

Et pour les figures de pierre
Qui feront votre monument

Dans ce passage, Voiture fait un emprunt à Montaigne, qui avait dit : « ces trois victoires sœurs, Salamine, Platée, Mycale, les plus belles que le soleil ait vues de ses yeux, » et comme une avance à Bossuet

1 Euvres de Voiture, t. I, lett xc, p. 274.

2 Ibid., t. II, p. 271.

3 Ibid., Épître à monseigneur le prince sur son retour d'Allemagne, t. II, p. 595.

qui dira plus tard dans l'oraison funèbre du même héros : « des figures qui semblent pleurer autour d'un tombeau, et des fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste. » La même épître a fourni à Voltaire un trait souvent cité. C'est en effet d'après ces deux vers de Voiture:

Et qu'un peu de plomb sait casser

La plus belle tête du monde1,

qu'il a écrit ce distique :

Et qu'un plomb dans un tube entassé par des sots
Peut casser d'un seul coup la tête d'un héros 2.

A côté de Voiture, il convient de donner au moins un souvenir à Malleville, dont la Belle Matineuse, opposée à celle de notre poëte, partagea en deux camps égaux l'hôtel de Rambouillet, comme firent plus tard Uranie et Job. C'étaient les grandes guerres de la société polie. Voiture eut encore un rival dans ce cercle de beaux esprits, ce fut le nain de Julie, Godeau, qui devait renoncer à la galauterie, même épurée, pour les dignités de l'Eglise. Godeau fut un poëte de mérite et un excellent prosateur. Il est poëte en parlant de cette aride Provence,

Où les guérets fendus sollicitent en vain,

Pour éteindre leur soif, un ciel toujours d'airain.

<< Godeau, dit M. Demogeot, a de l'imagination, de

1 Œuvres de Voiture, t. II, p. 394.

2 Voltaire, édit. Beuchot. Épitre au roi de Prusse, t. XIII, p. 149.

l'harmonie ; il a surtout de l'âme. S'il savait choisir et concentrer, s'il connaissait le mérite de la précision, ses vers seraient encore aujourd'hui une lecture agréable1. »

Au reste, le vrai rival de Voiture, c'est Sarrasin. qui n'a pas moins de portée sous les mêmes dehors de badinage. Sarrasin fut moins goûté que Voiture à l'hôtel de Rambouillet, parce qu'il avait pris au petit archevêché, dans l'intimité du coadjuteur, et auprès du prince de Conti, qui n'avait pas encore tourné à la dévotion et dont il fut le secrétaire, l'habitude de ne pas modérer sa langue. Il blessait par la liberté, quelquefois même par la licence de ses propos, les oreilles pudiques. Mais ce bel esprit fécond en plaisanteries, et qui a dû payer comme les autres son tribut au goût équivoque des salons qu'il fréquentait, n'en a pas moins écrit avec fermeté de belles pages d'histoire dans le Siége de Dunkerque et la Conspiration de Walstein qu'il n'a pas achevée. Sarrasin prit parti dans plusieurs querelles littéraires dont l'importance est un trait des mœurs de cette époque de transition où les petites choses devenaient facilement des affaires considérables. Dans celle des deux sonnets, l'Uranie de Voiture et le Job de Benserade, il se rangea parmi les uranistes par une glose où il amène avec une adresse infinie, à la fin de quatorze stances satiriques et dans leur ordre. les quatorze vers de la pièce qu'il critique; il fut pour Ménage dans la croisade que celui-ci suscita

1 Tableau de la Littérature française au dix-septième siècle, avant Corneille et Descartes, 1 vol. in-8°, 1859. P. 275.

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