messieurs ! mais n'y revenez pas. » Malherbe adressa le même compliment aux mots étrangers qui avaient fait invasion sous les auspices de Ronsard. Malherbe organisa la langue sur le plan que Henri IV avait adopté pour l'État. Il s'adjugea la souveraineté de cet empire, ne craignant pas d'être appelé le tyran des mots et des syllabes. Le premier soin du maître, dans son empire, fut de repousser les intrus et d'organiser une noblesse. Il fit avec un admirable discernement le départ de la langue noble et de la langue vulgaire, sans toutefois établir de barrière insurmontable. Il savait que les mots sont comme les pièces de monnaie, dont l'empreinte et le relief s'usent et s'effacent par l'usage et la circulation: il ne fit donc pas de castes comme dans les États despotiques, mais des classes; de telle sorte que la classe supérieure pût se recruter dans les classes inférieures. Puisqu'il y a des mots qui doivent déchoir, il faut qu'il y en ait qui puissent parvenir. Sans ce perpétuel mouvement, la langue d'élite ne tarderait pas à dépérir, et, si ce mal survenait, il serait réparé par un autre mal, c'est-à-dire par une irruption confuse et désordonnée, par une ascension tumultueuse des couches inférieures. Le génie de Malherbe semblait prédestiné à l'accomplissement de cette œuvre. Plus étendu, il aurait eu moins d'énergie: plus passionné et plus riche d'idées, il aurait dédaigné un travail qui demandait plutôt un grammairien qu'un poëte inspiré. Ses pensées, concentrées presque exclusivement sur la grammaire et la prosodie, façonnèrent l'instrument et le moule de la poésie; d'autres viendront ensuite qui pourront, grâce à lui en tirer des accords plus hardis et y jeter des pensées plus profondes. On ne saurait nier que Malherbe ait eu peu d'idées et une verve peu abondante; mais il sut la ménager et ne la répandre que lorsqu'elle s'était amassée et condensée au point de produire quelque œuvre virile. Ses produits sont rares, mais vigoureux. Moins sobre de son génie, il l'eût rapidement épuisé aux dépens de sa gloire. On peut dire de lui, Qu'il pensait de régime et rimait à ses heures 1; mais ce régime convenait à son tempérament poétique, et il l'a si bien conservé que, dans l'âge de la caducité, son génie a su produire l'ode à Louis XIII, où la vieillesse ne se montre que par l'aveu qu'il en fait : Je suis vaincu du temps, je cede à ses outrages; A de quoi temoigner en ses derniers ouvrages Malherbe ne s'est pas borné à épurer, à assainir la langue, il en a su faire un emploi poétique. Certes, ce ne serait pas une gloire médiocre que d'avoir connu et déterminé le génie de notre idiome, introduit dans Il vivoit de régime et mangeoit à ses heures. (LA FONTAINE, liv. VII, fab. iv, v. 11.) • Poésies de François Malherbe, commentées par André Ché nier, éd. de MM. de La Tour, 1 vol. in-18; Charpentier, 1842', liv. III, p. 261. , nos vers une harmonie régulière, une dignité soute- O soleil! ô grand luminaire ! D'une eternelle obscurité 1? Où trouver plus d'énergie que dans cette invective contre le maréchal d'Ancre : 1 Poésies de Malherbe, liv. II, p. 76. L C'est assez que cinq ans ton audace effrontée, La fortune t'appelle au rang de ses victimes, Il est vrai qu'ici Malherbe imite Claudien, mais il imite en maître. Voici maintenant une strophe tout ensemble noble et piquante, dont le tour et la pensée n'appartiennent qu'à lui : dirigée contre les mignons de Henri III, elle fait sentir, par un exemple frappant, la secrète analogie déjà remarquée entre la strophe ailée et l'épigramme empennée : Les peuples pipés de leur mine, Jugeoient qu'ils parloient de s'armer L'ode à Marie de Médicis sur les heureux succès de sa régence est peut-être la pièce la plus achevée de Malherbe il faudrait la transcrire tout entière; contentons-nous de cette admirable opposition entre les maux de la guerre et les avantages de la paix : Poésies de Malherbe, 1. III, p. 225 La Discorde aux crins de couleuvres, Ne finit ses tragiques œuvres C'est en la paix que toutes choses Comme au printemps naissent les roses, En la paix naissent les plaisirs; Elle met les pompes aux villes, Donne aux champs les moissons fertiles, Appuyant les pouvoirs supremes, Fait demeurer les diademes Fermes sur la teste des rois'. Nous voyons dans ces traits, avec le génie de Malherbe, sa pensée d'homme et de citoyen. Le souvenir des guerres civiles lui pèse : cette image ne s'efface pas de sa mémoire ; il craint de revoir ce qu'il a déjà trop vu d'une fois. C'est ce qui lui fait dire: Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, 1 Poésies de François Malherbe, liv. III, p. 168 et 169 2 Ibid., liv. II, p. 68. |