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EUPHROSINE.

Monsieur, ne craignez rien : les dieux me sont témoins
Que je n'y veux donner ni mes vœux, ni mes soins.
ÉSOPE.

J'entends. Ce n'est pas là ce qui vous inquiète.
Rarement à votre âge on est sans amourette.
Vous avez le cœur pris ?

EUPHROSINE.

Moi?

DORIS.

Ne déguisez rien.

Monsieur est honnête homme, il en usera bien :
Il peut, par le crédit qu'il a sur votre père,

Donner un croc-en-jambe à l'hymen qu'il veut faire... (A Ésope.)

Oui, monsieur, ma maîtresse aime depuis deux ans
Un gentilhomme aimable et des plus complaisants,
Jeune, galant, bien fait, s'il en est dans le monde,
Propre en linge, en habits, grande perruque blonde;
Enfin de la façon dont le ciel l'a formé,

Il n'est point de mortel plus digne d'être aimé.
Monsieur le gouverneur, que la grandeur entête,
Aux appas de sa fille offre une autre conquête,
Et veut, dès aujourd'hui, qu'elle applique, son soin
A donner de l'amour au plus vilain marsouin...
Voyez la pauvre enfant, elle s'en désespère;
Et vous êtes si bien avec monsieur son père
Qu'un mot que vous diriez le feroit consentir,
S'il veut qu'elle soit femme, à la mieux assortir,
A lui donner au moins un homme en bonne forme,
Et non, comme il veut faire, une figure énorme

Que dans sa belle humeur la nature, en jouant;
A faite moitié singe, et moitié chat-huant.
L'agréable bijou qu'un mari de la sorte!

É SOPE.

Et comment nomme-t-on ce chant-huant?

EUPHROSINE.

On vous en dit assez, disant qu'il me déplaît.

Mon père au premier mot devinera qui c'est.

Qu'importe ?

Ne vous informez point d'un nom qui me chagrine.
ÉSOPE.

Il ne faut pas toujours s'arrêter à la mine.

Par exemple ;

LE RENARD ET LA TÊTE PEINTE.

FABLE.

JADIS un renard affamé,

Rodant par-ci, par-là, pour faire bonne quête,
Entra dans la maison d'un peintre renommé,
Et trouva sous sa patte une fort belle tête;
Une perruque blonde, ainsi qu'à votre amant,
De l'éclat de son teint relevoit l'agrément :
« O ciel ! s'écria-t-il, qu'elle me semble belle!
« C'est grand dommage vraiment

« Qu'elle n'ait point de cervelle. >>

Combien devant nos yeux, qui ne s'en doutent pas,
Sous leur grande perruque étalent des appas
Qui de la tête peinte étant le vrai modèle,
Ont beaucoup d'apparence, et n'ont point de cervelle?
De votre sexe même, et vous le savez bien,
Pour paroître charmante on ne néglige rien;

Et quel malheur plus grand que celui d'être belle, Lorsqu'à beaucoup d'appas on joint peu de cervelle? Peut-être que l'amant épris de vos attraits

Est une belle tête à la cervelle près :

Il plaît, il touche, il charme, à n'en voir que l'écorce; Au fond, l'esprit et lui sont peut-être en divorce.

DORIS.

Je le connois, monsieur, et dedans et dehors:
Son esprit, j'en suis sûre, est mieux fait que son corps
Je puis, sans le flatter, dire à son avantage

Qu'il l'a beaucoup plus beau que tous ceux de son âge.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'en ai fait l'essai,

EUPHROSINE.

Ce qu'elle vous en dit est assurément vrai :
Je puis vous en parler de science certaine.
S'il faut nous séparer, figurez-vous ma peine!
Ce sera pour mon cœur le coup le plus tuant...
ÉSOPE.

Vous ne voulez donc point tâter du chat-huant?

DORIS.

Eh fi! monsieur, comment voulez-vous qu'elle en tåte?
Il n'est ragoût si bon qu'un tel morceau ne gâte.
C'est un mets dégoûtant qui fait bondir le cœur.

EUPHROSINE.

Direz-vous à mon père un mot en ma faveur ?

Puis-je l'espérer?

Que dès demain...

ÉSOPE.

Oui, je prétends faire en sorte

SCÈNE IV.

LE MAITRE D'HOTEL, ESOPE, EUPHROSINE, DORIS.

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Prenez-en avec moi, s'il vous plaît, autrement
Il pourroit à vos feux arriver du désordre;
Et par le chat-huant je vous laisserois mordre.

DORIS.

Rarement.

Eh! prenez-en, madame, au lieu d'une fois deux,
Et garantissez-vous d'un oiseau si hideux.

EUPHROSINE.

Le café me fait mal.

DORIS.

Je boirois de l'absynthe

Pour trouver à sortir d'un pareil labyrinthe.

EUPHROSINE.

Que l'on m'en donne donc, puisqu'il vous plaît ainsi, Monsieur.

ÉSOPE.

La confidente en prendra bien aussi? Je vois bien qu'à la joie elle n'est pas contraire.

DORIS.

Oh! pour moi volontiers, je suis fille à tout faire. ÉSOPE.

Allons à la santé de votre époux futur.

Yous me ferez raison que je crois ?

EUPHROSINE.

A coup sûr.

Vous touchez de mon cœur un endroit trop sensible
Pour vous rien refuser qui lui semble possible.
Quand vous verrez mon père, appuyez fortement
Sur les perfections de mon premier amant.
J'attends tout d'un secours aussi grand que le vôtre.

DORIS.

Et surtout pesez bien sur les défauts de l'autre.
Faites-en un portrait vilain au dernier point;
Quoi que vous en disiez, vous ne l'outrerez point.

EUPHROSINE.

Dites que le premier, digne de ma tendresse,
Est l'homme le mieux fait qu'ait vu naître la Grèce.

DORIS.

Dites que le second, bâti tout de travers,
Est le plus laid mâtin qu'ait produit l'univers.

EUPHROSINE.

Persuadez-lui bien qu'Agénor (je le nomme)
A toutes les vertus qui font un honnête homme.

DORIS.

Persuadez-lui bien qu'il n'est vice si bas
Que n'ait le godenot que je ne nomme pas.

EUPHROSINE.

Que pour l'un chaque jour renouvelant mon zèle, Jusqu'au dernier soupir je lui serai fidèle.

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