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DORIS.

Que pour l'autre, peu propre au lien conjugal,
S'il se joue à l'hymen, il s'en trouvera mal;
Et qu'il a sur le front une table d'attente
Qui de sa destinée est la preuve éclatante.
Voilà ce qu'à son père il faut faire savoir.

SCÈNE V.

UN LAQUAIS, ESOPE, EUPHROSINE, DORIS, LE MAITRE D'HOTEL.

LE LAQUAIS, à Ésope.

UNE dame est là-bas, qui demande à vous voir,

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C'est cette dame... Eh! là... plus savante qu'un homme, Dont l'esprit est si creux qu'on n'en voit point le fond, Et qui ne parle pas comme les autres font.

DORIS, à Euphrosine.

'Je sais qui c'est. Sortons, rendons-lui ce service : L'entretien d'une femme est pour elle un supplice. Elle veut du pompeux, jusqu'au moindre discours.

ÉSOPE.

Qu'elle entre.

(Le laquais sort.)

SCÈNE VI.

ESOPE, EUPHROSINE, DORIS, LE MAITRE

D'HOTEL.

EUPHROSINE, à Ésope:

MON espoir est dans votre secours :

Vous me l'avez promis, et je le vais attendre.

ÉSOPE.

Allez, je ferai plus que vous n'osez prétendre. (Euphrosine, Doris et le maître d'hótel sortent. }

SCÈNE VII.

HORTENSE, ÉSOPE.

HORTENSE.

La déesse aux cent voix, qui du sein d'Atropos,
Sauve les noms fameux et les faits des héros,
La renommée, enfin, vous met en parallèle...
ÉSOPE, bas.

Quel diantre de jargon celle-ci parle-t-elle ?
(Haut.)

Par charité, madame, ou daignez m'excuser,
Ou daignez vous résoudre à vous humaniser :
Votre style est si haut que j'ai peine à l'entendre.

HORTENSE.

Je ne crois pas, monsieur, que j'en puisse descendre;
Je l'ai plus de cent fois vainement éprouvé,
J'ai naturellement l'esprit trop élevé.

Votre peine à m'entendre est une raillerie,
Vous avez l'intellect d'une cathégorie....

ÉSOPE.

Madame, en vérité, ce jargon m'est suspect.
Je n'ai jamais appris ce que c'est qu'intellect,
Et je crois sottement, tant j'ai la tête dure,
Qu'une cathégorie est une grosse injure.
A quoi sert de parler que pour être entendu ?
Et si je vous entends, je veux être pendu!

HORTENSE.

Quoi! l'esprit le plus beau de tout notre hémisphère
Voit de l'opacité parmi tant de lumière !
Ce qui passe chez vous pour des obscurités
Chez le monde poli sont des aménités.
Descendre d'où je suis au langage vulgaire
Est un éboulement que je ne saurois faire :
Le chemin m'en paroît impraticable et long.
ÉSOPE.

Eh! de grâce, madame, à qui parlez-vous donc ?
Avant qu'un serviteur puisse vous être utile,
Il lui faut plus d'un an pour savoir votre style;
Et pour les étrangers, à parler franchement,

Nul ne peut vous entendre, à moins d'un truchement.
Êtes-vous mariée ?

Puis-je l'être ?

HORTENSE.

O ciel! quelle demande !

ÉSOPE.

Eh! oui-da: vous êtes assez grande.

HORTENSE.

Quand les gens comme moi veulent se marier,
Il leur faut même espèce à qui s'apparier.
Voulez-vous qu'un mari dans ses heures brutales,
Pour transmettre après lui ses vertus animales,

Introduise à la vie un nombre de marmots

Qui tiendront de leur père, et qui seront des sots ? ÉSOPE.

Mais qui voyez-vous donc? car c'est-là ma surprise!

HORTENSE.

Je me tiens dans ma chambre, où je me tranquillise. J'aime mieux être seule, et dans l'inaction,

Que de mésallier ma conversation.

Un discours sans figure est un mets que j'abhorre;
Je veux de l'antithèse, ou de la métaphore;

Des mots pleins d'énergie et d'érudition,
Comme inintelligible, inaffectation:

J'y trouve une beauté presque inimaginable.

ÉSOPE.

Voudriez-vous bien entendre une petite fable,

Madame ?

HORTENSE.

Volontiers. L'apologue me plaît,

Quant l'application en est juste.

ÉSOPE.

Elle l'est.

LE ROSSIGNOL.

FABLE.

Un rossignol, inquiet et volage,
Dont le gazouillement étoit touchant et beau,
Ennuyé du même ramage,

Voulut en apprendre un nouveau.

Il avoit pour voisine une jeune linotte,
Qui d'un flûteur expert recevoit des leçons;
Et qui du flageolet imitant tous les sons,
Sembloit avoir appris jusqu'à la moindre note.

Le rossignol persuadé、

Qu'à ses vastes clartés rien n'étoit difficile,
Apprit grossièrement un ramage guindé,
Et de tous les oiseaux se crut le plus habile.
Mais son sort fut si cruel,

Par son imprudence extrême

Que, dans ses plus beaux airs rien n'étant naturel,
Dès qu'il vouloit siffler on le siffloit lui-même.

Pour peu qu'à cette fable on ait d'attention,
On ne peut se méprendre à l'application.
Et comme j'aperçois de la mésalliance
Entre votre mérite et mon insuffisance,
Pour me faire un devoir de n'en pas abuser,
Je vous laisse un champ libre à vous tranquilliser.
(A part, en s'en allant. )

Chaque mot qu'elle dit m'étourdit et m'assomme.

SCÈNE VIII.

HORTENSE, seule.

En quoi! ce mirmidon passe pour un grand homme! Je ne puis revenir de ma perplexité :

Je l'aurois méconnu sans sa difformité.

Je ne sais quelle étoile, à mon heure première,
Sur le cours de ma vie influa sa lumière;
Mais je vois peu d'esprits, à les parcourir bien,
Qui soient de l'étendue et de l'ordre du mien.

FIN DU PREMIER ACTE.

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