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Eh! monsieur, rappelez votre tendresse extrême,

Et laissez-moi...

LÉARQUE.

Demeure, et laisse-moi, toi-même.

(A Euphrosine.)

Quelqu'insolent discours que j'en aie essuyé,
Je vous la rends. Tantôt vous m'en avez prié;
Mais à condition, c'est moi qui vous l'impose,
Que pour l'amour de moi vous ferez quelque chose.
Ésope, qui demain doit être votre époux,

N'est qu'à demi content s'il ne vous tient de vous:
Il vous doit venir voir, assuré par moi-même
Que vous serez sensible à cet honneur extrême,
Et qu'en fille bien née, et qui sait son devoir,
Vous aurez du plaisir à le bien recevoir.
Faites-moi dire vrai : le voilà qui s'avance.

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Monsieur. Suis-moi, Doris, et laissons-les tous deux Exprimer leur tendresse, et parler de leurs feux.

(Léarque et Doris sortent.)

SCÈNE III.

ÉSOPE, EUPHROSINE

(Ils font une petite scène muette, et sont quelque temps sans se parler.)

ÉSOPE.

BEAUTÉ qui dans mon cœur lancez plus d'une flèche,
La conversation me paroît un peu sèche.

On dit que les amants, pour ne se rien celer,
Au défaut de la voix ont les yeux pour parler,
Et nous, pour éviter le chemin ordinaire,
Nous nous faisons entendre à force de nous taire.
Honorez, s'il se peut, objet charmant et doux,
D'un regard plus benin votre futur époux.

Tel que vous me voyez, trente beautés me briguent;
Elles n'ont point d'attraits qu'elles ne me prodiguent:
Pour toute autre que vous j'ai le cœur engourdi,
Et vous me préférez un petit étourdi!

EUPHROSINE.

S'il étoit devant vous, ce que son air inspire
Sans doute suffiroit pour vous faire dédire.

ÉSOPE.

Un petit fat!

EUPHROSINE.

Monsieur....

ÉSOPE.

Un petit freluquet,

De qui tout le mérite est un peu de caquet!

EUPHROSINE.

Je vais, pour repousser l'affront que vous lui faites,
Le peindre tel qu'il est, et vous tel que vous êtes.
Vous me direz après qui doit plaire à mes yeux.

ÉSOPE.

Non, naturellement je suis peu curieux.

Ne bougez. Sans orgueil on ne se fait point peindre.

EUPHROSINE.

Ce n'est pas un malheur que vous ayez à craindre.
Si l'on vous avoit peint, vous verriez, d'un coup-d'œil,
Que vous auriez grand tort d'en avoir de l'orgueil.
ÉSOPE, bas.

La petite friponne a des raisons piquantes,

Qui pourtant dans le fond ne sont pas trop méchantes: Voyons si de son sexe on aime constamment.

(Haut.)

Vous me préférez donc votre insipide amant,
Votre colifichet, plein de fard et de gomme,
Qui pour toutes vertus est un beau petit homme,
Et qui, bornant ses soins à s'orner le dehors,
A l'esprit mal bâti, plus que je n'ai le corps?

EUPHROSINE.

Pour la dernière fois, épargnez ce que j'aime,:
Ce que vous offensez m'est plus cher

Si vous continuez ces mots injurieux,

que

moi-même.

J'en sais de plus piquants qui vous conviendront mieux: Un si juste courroux n'aura point de limites.

ÉSOPE.

Parlons net. L'aimez-vous autant que vous le dites?

Si je l'aime!

EUPHROSINE.

ÉSOPE.

Écoutez; l'hymen dure long-temps: Quand il fait un heureux, il fait vingt mécontents. Vous êtes dans un âge où le cœur foible et tendre, Far un objet qui plaît est facile à surprendre;

Mais quand c'est pour toujours qu'on se doit engager L'exemple que voici doit y faire songer.

L'ALOUETTE ET LE PAPILLON.

FABLE.

Autrefois une alouette,

Qu'aimoit un riche coucou,
Épousa, par amourette,

Un fort beau papillon, qui n'avoit pas un sou.
Outre beaucoup d'indigence,

Il avoit tant d'inconstance,

Qu'il muguettoit les fleurs et les poussoit à bout.
Kien ne pouvoit fixer ni ses vœux uj sa flamme;
Cependant sa pauvre femme

Avoit disette de tout.

Elle connat bientôt, quoique trop tard pour elle, Que lorsqu'on veut s'unir pour jusques au tombeau. Un époux inconstant et beau

N'en vaut pas un laid et fidèle.

Dans l'âge où me voilà, je ne suis pas si fou
Que je ne sache bien que je suis le coucou :
Je suis laid, mais enfin je fais une figure
Qui me venge du tort que m'a fait la nature;
Et quoi que mon rival vous promette aujourd'hui,
Vous serez plus heureuse avec moi qu'avec lui.
Pesez ce que je dis, sans aigreur ni rancune.

EUPHROSINE.

Il est vrai qu'avec vous j'aurois plus de fortune;
Mais lorsqu'à l'amour seul un cœur est destiné,
Quand il a ce qu'il aime, est-il infortuné?

Ne désunissez point deux cours faits l'un pour l'autre :
Il est d'autres objets bien plus dignes du vôtre;

Théâtre. Com. en vers. 3.

13

La grandeur que je fuis sera plus de leur goût,
Et mon cher Agénor me tiendra lieu de tout.
Je mourrois de douleur s'il m'étoit infidèle;
Mais pour le devenir, il a l'âme trop belle:

Le plus grand des chagrins que nous puissions avoir,
C'est d'être l'un et l'autre un moment sans nous voir.
Vous donnez des leçons que tout le monde admire ;
Pratiquez le premier ce qu'on vous entend dire:
De deux jeunes amants ne troublez point la paix,
Et ne vous signalez qu'à force de bienfaits.
Quel plaisir aurez-vous de me voir malheureuse?
É SOPE.

Qu'une fille a d'esprit quand elle est amoureuse!
On ne peut s'exprimer en des termes plus doux.
Vous n'avez pas eu peur de me rendre jaloux.
En parlant d'Agénor vous aviez des extases,
Et l'amour vous aidoit à bien tourner vos phrases.
Monsieur le gouverneur, que je vais bientôt voir,
Ne balancera point à faire son devoir.

Je vous ai près de lui déja rendu service;
Je vous promets encore un aussi bon office.
Vous verrez quel amant vous sera réservé.

EUPHROSINE.

Et moi qui vous connois pour un fourbe achevé,
Moi qui de votre fraude ai sujet de me plaindre,
Moi qui ne sais qu'aimer et qui ne sais point feindre,
Je vous déclare ici qu'Agénor a ma foi,

Que je suis toute à lui, comme il est tout à moi ;
Que toute la grandeur où le roi vous appelle
N'aura pas le pouvoir de me rendre infidèle;
Et que si de mon père on aigrit le courroux,

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