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l'épouserai la mort plus volontiers que vous. Vous m'épouvantez plus qu'elle ne m'épouvante.

Adieu.

(Elle sort.)

SCÈNE IV.

ESOPE, seul.

Qui le croiroit? une fille constante!

Quel prodige!

SCÈNE V.

M. DOUCET, ÉSOPE.

M. DOUCET.

MONSIEUR, sur un avis certain

Que vous devez ici vous marier demain,
Je viens vous supplier de m'accorder la grâce
D'empêcher de mourir votre future race,
Et de ressusciter vos aïeux qui sont morts.

ÉSOPE.

Quoi! vous faites rentrer les âmes dans les corps? Il faut qu'apparemment vous sachiez la magie.

M. DOUCET.

Non, monsieur; mais j'excelle en généalogie.
J'anoblis, en payant, d'opulents roturiers,
Comme de bons marchands et de gros financiers.
Je leur fais des aïeux de quinze ou seize races,
Dont le diable auroit peine à démêler les traces.
L'or, la gueule, l'argent, le sinople et l'azur
Me font mettre en éclat l'homme le plus obscur.

L'un sur son écusson porte un casque sans grille,
Dont le père autrefois a porté la mandille;
L'autre prend un lambel, en cadet important,
Dont on a vu l'aïeul gentilhomme exploitant.
Enfin ma renommée exposée aux satires,
Par tant de roturiers dont j'ai fait des messires,
Pour tenir désormais des chemins différents,
Je consacre mon art aux véritables grands,
A la vertu guerrière, à la haute naissance,
Et c'est avec plaisir par vous que je commence.
Le sang dont vous sortez trouve si peu d'égal...
ÉSOPE.

Monsieur le blasonneur, vous me connoissez mal.
Je ne sais d'où je sors, ni quel étoit mon père.

M. DOUCET.

A qui manque d'aïeux j'ai le secret d'en faire;
Et pour deux mille écus pour le prix de mon soin,
Je vous ferai venir des aïeux de si loin,

Aux grandes actions toujours l'âme occupée,

Que la vérité même y seroit attrapée.

Jugez de mon savoir par les soins que j'ai pris :
Le fils d'un maréchal est devenu marquis.

Vous avez,

ÉSOPE.

je l'avoue, un talent admirable;

Mais rien n'est beau pour moi qui ne soit véritable: Quand on me croiroit noble à faire du fracas, Pourrois-je me cacher que je ne le suis pas,

Dites?

M. DOUCET.

Si l'on avoit cette délicatesse,

Adieu plus des trois quarts de ce qu'on croit noblesse.

Il n'en est presque point, à vous parler sans fard,
Qui n'ait pour faire preuve eu besoin de mon art.
Je sais de gros seigneurs qui seroient dans la crasse
Sans la révision que je fis de leur race,

Où je substituai, tant mon art est divin,

Trois maréchaux de camp pour trois marchands de vin
Si pour votre noblesse il vous manque des titres,

Il faudra recourir à quelques vieilles vitres,
Où nous ferons entrer, d'une adroite façon
Une devise antique avec votre écusson.

Vingt douteuses maisons qui sont dans la province,
Pour se mettre à l'abri des recherches du prince,
Avec cette industrie ont trouvé le moyen
De prouver leur noblesse admirablement bien.
Vous serez noble assez, si vous paroissez l'être.
ÉSOPE.

Et comment, s'il vous plaît, le pourrai-je paroître ?
Ai-je un extérieur qui puisse faire voir...

M. DOUCET.

Je vous trouve l'air noble autant qu'on peut l'avoir.

ÉSOPE.

A moi?

M. DOUCET.

Sur votre front certain éclat qui brille Montre que vous venez d'une illustre famille.

ÉSOPE.

Ì est vrai, j'ai l'air grand, l'aspect noble.

M DOUCET.

Beaucoup.

ÉSOPE.

Et ma taille ? Tenez, voyez-moi plus d'un coup:
Comment la trouvez-vous? Parlez avec franchise.

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Pour tant de flatterie être bien effronté !

Je sais certaine fable où le bon sens abonde,
Qui vient sur vous et moi le plus juste du monde.

LE CORBEAU ET LE RENARD.

FABLE.

Un oiseau laid (c'est moi') qu'on nomme le corbeau, Tenant en son bec un fromage,

Un renard fin (c'est vous), pour lui tendre un panneau
Le salue humblement, et lui tient ce langage:

«Que vous êtes un bel oiseau !
« Mon Dieu, l'agréable plumage!
« Je crois que votre ramage

<< Est pour le moins aussi beau,

« Et qu'on ne sauroit voir un plus parfait ouvrage.
« Si l'on vous entendoit fredonner quelques airs,
« On enverroit l'aigle paître,

« Et les habitants des airs

« Vous accepteroient pour maître. »

Le crédule corbeau, qui se laisse entêter,
A la tentation facilement succombe:

Il ouvre le bec pour chanter,

Et d'abord le fromage tombe.

Pendant qu'il en soupire et de rage et d'ennui,
L'autre gobe la proie et se moque de lui.

Voilà comme à peu près, en marchant sur sa piste,
Feroit à mon égard le généalogiste,

Si de sa flatterie il m'avoit infecté,

Et que de son venin mon cœur fût empesté.
Je dis ce mot exprès, car il n'est point de peste
Qui soit plus dangereuse et qui soit plus funeste
Que l'appât décevant, le poison séducteur
Que répand chaque jour la bouche d'un flatteur.

M. DOUCET.

́Il est vrai qu'un flatteur est un monstre effroyable.
ÉSOPE.

Eh! pourquoi l'es-tu donc, adulateur au diable?

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Je le suis à mon corps défendant:

Si je ne l'étois pas, je serois imprudent.

C'est par ce seul endroit que les grands s'amadouent:
Ils ne souffrent près d'eux que des gens qui les louent;
Ils veulent qu'on appelle, et n'en sont point confus,
Leurs défauts qualités, et leurs vices vertus.

A qui veut s'avancer c'est la plus sûre route.
Puisque c'est leur plaisir, qu'est-ce que cela coûte?
Et quand ils ont des mets suivant leurs appétits,
Qui doit-on en blâmer, des grands ou des petits?
ÉSOPE.

S'il n'étoit des flatteurs que le diable fait naître,
Les grands qui sont flattés se passeroient de l'être ;
Et faute d'encenseurs pour les défauts qu'ils ont,
Ils s'accoutumeroient à se voir tels qu'ils sont.

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