l'épouserai la mort plus volontiers que vous. Vous m'épouvantez plus qu'elle ne m'épouvante. Adieu. (Elle sort.) SCÈNE IV. ESOPE, seul. Qui le croiroit? une fille constante! Quel prodige! SCÈNE V. M. DOUCET, ÉSOPE. M. DOUCET. MONSIEUR, sur un avis certain Que vous devez ici vous marier demain, ÉSOPE. Quoi! vous faites rentrer les âmes dans les corps? Il faut qu'apparemment vous sachiez la magie. M. DOUCET. Non, monsieur; mais j'excelle en généalogie. L'un sur son écusson porte un casque sans grille, Monsieur le blasonneur, vous me connoissez mal. M. DOUCET. A qui manque d'aïeux j'ai le secret d'en faire; Aux grandes actions toujours l'âme occupée, Que la vérité même y seroit attrapée. Jugez de mon savoir par les soins que j'ai pris : Vous avez, ÉSOPE. je l'avoue, un talent admirable; Mais rien n'est beau pour moi qui ne soit véritable: Quand on me croiroit noble à faire du fracas, Pourrois-je me cacher que je ne le suis pas, Dites? M. DOUCET. Si l'on avoit cette délicatesse, Adieu plus des trois quarts de ce qu'on croit noblesse. Il n'en est presque point, à vous parler sans fard, Où je substituai, tant mon art est divin, Trois maréchaux de camp pour trois marchands de vin Il faudra recourir à quelques vieilles vitres, Vingt douteuses maisons qui sont dans la province, Et comment, s'il vous plaît, le pourrai-je paroître ? M. DOUCET. Je vous trouve l'air noble autant qu'on peut l'avoir. ÉSOPE. A moi? M. DOUCET. Sur votre front certain éclat qui brille Montre que vous venez d'une illustre famille. ÉSOPE. Ì est vrai, j'ai l'air grand, l'aspect noble. M DOUCET. Beaucoup. ÉSOPE. Et ma taille ? Tenez, voyez-moi plus d'un coup: Pour tant de flatterie être bien effronté ! Je sais certaine fable où le bon sens abonde, LE CORBEAU ET LE RENARD. FABLE. Un oiseau laid (c'est moi') qu'on nomme le corbeau, Tenant en son bec un fromage, Un renard fin (c'est vous), pour lui tendre un panneau «Que vous êtes un bel oiseau ! << Est pour le moins aussi beau, « Et qu'on ne sauroit voir un plus parfait ouvrage. « Et les habitants des airs « Vous accepteroient pour maître. » Le crédule corbeau, qui se laisse entêter, Il ouvre le bec pour chanter, Et d'abord le fromage tombe. Pendant qu'il en soupire et de rage et d'ennui, Voilà comme à peu près, en marchant sur sa piste, Si de sa flatterie il m'avoit infecté, Et que de son venin mon cœur fût empesté. M. DOUCET. ́Il est vrai qu'un flatteur est un monstre effroyable. Eh! pourquoi l'es-tu donc, adulateur au diable? Je le suis à mon corps défendant: Si je ne l'étois pas, je serois imprudent. C'est par ce seul endroit que les grands s'amadouent: A qui veut s'avancer c'est la plus sûre route. S'il n'étoit des flatteurs que le diable fait naître, |