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re.

M. MICHAUT.

Bon! tous les jours vous en faites autant.
Tout vous devient possible, étant ce que vous êtes.
Vos Mercures sont pleins de nobles que vous faites;
De noms si biscornus, s'il faut dire cela,

Qu'on ne peut être noble et porter ces noms-là.
Ne me refusez pas ce que je vous demande,

De toutes les rigueurs ce seroit la plus grande;
Et mon hymen rompu me feroit

ORONTE.

enrager.

Je voudrois fort, monsieur, vous pouvoir obliger.
Je puis à la noblesse ajouter quelque lustre,

Et rappeler de loin une famille illustre :

Mais dans tous mes écrits jamais aucun appas
Ne'm'a fait anoblir ce qui ne l'étoit pas.
N'entrevoyez-vous point dans toute votre race
De gloire ou de valeur quelque légère trace?
Aucun de vos aïeux ne s'est-il signalé?

M. MICHAUT.

Ma foi, mon père est mort sans m'en avoir parlé :
Et de tous mes aïeux, puisqu'il ne faut rien taire,
Je n'en ai point connu par de-là mon grand-père.

ORONTE.

Qu'étoit-il? avoit-il quelque grade?

M. MICHAUT.

Entre nous,

Feu mon grand-père étoit mousquetaire à genoux.

Quelle charge est-ce là?

ORONTE.

M. MICH AUT.

C'est ce que le vulgaire

En langage commun appelle apothicaire.

ORONTE.

Fi!

M. MICHAUT.

Dépend-il de nous d'être de qualité ?
Quand on m'a voulu faire, ai-je été consulté ?
Sans savoir ce qu'il fait, le hasard nous fait naître,
Et ne demande point ce que nous voulons être.
Mon père fut d'un cran plus noble que le sien;
Il se fit médecin, gagna beaucoup de bien,

N'eut que moi seul d'enfant, et passant mon attente,
Me laissa par sa mort cinq mille écus de rente.
Comme Paris est grand, j'ai changé de quartier :
Je me fais par mes gens appeler chevalier;
La maison que j'occupe a beaucoup d'apparence;
Et personne à présent ne sait plus ma naissance.
Faites-moi gentilhomme, il n est rien plus aisé.

ORONTE.

Je voudrois le pouvoir, j'y serois disposé :
Mais le roi qui peut tout, auroit peine à le faire.
Le père médecin, l'aïeul apothicaire,
Le bisaïeul peut-être encor moins que cela,
Qui diable seroit noble à descendre de-là?
Pour remplir vos désirs il faut faire un prodige,
Je ne puis.

M. MICHAUT.

Greffez-moi sur quelque vieille tige. Cherchez quelque maison dont le nom soit péri; Ajoutez une branche à quelque arbre pourri: Enfin, pour m'obliger inventez quelque fable; Et ce qui n'est pas vrai rendez-le vraisemblable. Un homme comme vous doit-il être en défaut? ORONTE.

Et comment, s'il vous plaît, vous nommez-vous?

M. MICHAUT.

ORONTE.

Ce nom-là n'est point noble, assurément.

M. MICHAUT.

Michaut.

Qu'importe?

ORONTE.

Michaut? un gentilhomme avoir nom de la sorte?
Cela ne se peut pas, vous dis-je.

M. MICHAUT.

Pourquoi non?

Croyez-vous qu'à la cour chacun ait son vrai nom?
De tant de grands seigneurs dont le mérite brille,
Combien ont abjuré le nom de leur famille?
Si les morts revenoient ou d'en haut ou d'en bas,
Les pères et les fils ne se connoîtroient pas :
Le seigneur d'une terre un peu considérable
En préfère le nom à son nom véritable;
Ce nom de père en fils se perpétue à tort,
Et cinquante ans après on ne sait d'où l'on sort.
Je n'escroquerai point vos soins ni vos paroles;
J'ai certain diamant de quatre-vingts pistoles....

ORONTE.

Je vous l'ai déja dit, monsieur, aucun appas
Ne me fera jamais dire ce qui n'est pas.

M. MICH AUT.

Parbleu, tant pis pour vous d'être si formaliste.
Adieu. Je vais trouver un généalogiste,

Qui pour quelques louis que je lui donnerai
Me fera sur-le-champ venir d'où je voudrai.
ORONTE, seul.

Qui jamais de noblesse a vu source moins pure?

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SCÈNE III.

MADAME GUILLEMOT, ORONTE, JASMIN.

MADAME GUILLEMOT.

EST-CE vous qui faites le Mercure,

Monsieur ?

ORONTE.

Oui, madame.

MADAME GUILLEMOT.

Oui? l'aveu m'en semble bon

ORONTE.

En avez-vous besoin, madame?

MADAME GUILLEMOT.

Qui? moi? non.

A moins d'être d'un goût insipide et malade,
Seut-on s'accommoder d'une chose si fade?

ORONTE.

Ah, ah! voici d'un style un peu rude.

MADAME GUILLEMOT.

Pour vous,

Quelque rude qu'il soit, il est encor trop doux.

ORONTE.

Je crois qu'avec raison vous êtes en colère,

Mais je ne sais par où je vous ai

pu déplaire. Je m'examine en vain, et vous m'embarrassez.

MADAME GUILLEMOT.

Regardez mon habit, il vous en dit assez.

Ne l'entendez-vous pas ?

ORONTE.

Non, je vous le confesse

MADAME GUILLEMOT.

O ciel! que vous avez l'intelligence épaisse !
Puisqu'il faut avec vous ne rien dissimuler,
On dit

que c'est de moi que vous vouliez parler, Quand certaine bourgeoise, à qui la mode est douce, Pour être en cramoisi fit défaire une housse.

De vous ?

ORONTE.

MADAME GUILLEMOT.

J'en défis une, et ne m'en cache pas. J'avois un lit fort ample, et d'un beau taffetas; A force d'être large, il étoit incommode,

Et le tapissier Bon le remit à la mode.

Par les soins que je pris, j'eus de reste un rideau ;
Le cramoisi régnant, j'en fis faire un manteau.
Voilà la vérité, comme elle est dans sa source,
Et non que mon mari m'ait refusé sa bourse.
Pour le mot de bourgeoise, un peu trop répété,
Les bourgeois de ma sorte ont de la qualité:

Quand vous voudrez écrire, ajustez mieux vos contes,
Et sachez que je suis auditrice des comptes.

ORONTE.

Quand je fis cet article, il le faut avouer,
Mon unique dessein étoit de me jouer :
Je ne présumois pas, en contant cette fable,
Qu'elle dût par vos soins devenir véritable.
Loin de vous en blâmer, j'admire votre esprit
De trouver un manteau dans un rideau de lit ;
Et j'ai quelque chagrin de voir que cela vienne
De votre invention plutôt que de la mienne.
Jamais dans ses desseins on n'a mieux réussi :
Vous êtes à la mode, et votre lit aussi.

C'est un avantage...

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