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Ils verroient bien souvent, par leur esprit aride,
Qu'un noble sans science est un cheval sans bride,
Qui n'étant retenu ni par mords ni par frein,
S'abandonne sa fougue et prend un mauvais train.
Mais pour empoisonner un jeune gentilhomme,
Que divertit la chasse et que l'étude assomme,
On lui met dans l'esprit que rien n'est si galant
Que l'innocent plaisir de tirer en volant;
Que d'un noble effectif c'est la pente secrète,
Que c'est pour les pédants que la science est faite ;
Et pour toutes vertus, par la suite des ans,
Il chasse, il boit, il joue et bat des paysans.
Ce noble, enseveli dans un fond de province,
A charge à sa patrie, inutile à son prince,
Sans l'état malheureux où les flatteurs l'ont mis,
Feroit grâce aux perdreaux, et peur aux ennemis.
Par une indignité, qu'on peut nommer atroce,
Vous m'avez flatté, moi, jusqu'à louer ma bosse:
Il faut être corbeau pour donner là-dedans.

M. DOUCET.

J'ai cru que vous aviez la foiblesse des grands.
J'en sais de contrefaits, bien plus que vous ne l'êtes,
Que je vois applaudir sur leurs tailles bien faites.
Vingt petits près d'un grand sont vingt approbateurs.
ÉSOPE.

Moi qui ne flatte point et qui hais les flatteurs,
J'ai, pour vous obliger, un service à vous rendre.

Oh !...

M. DOUCET.

ÉSOPE.

Je vous avertis que vous vous ferez pendre.

Moi, monsieur?

M. DOUCET.

ÉSOPE.

Oui, vous-même, en propre original.

M. DOUCET.

J'oblige tout le monde, et ne fais point de mal.
É SOPE.

Ces blasons frauduleux, ajoutés à des vitres,
Contre les droits du roi sont autant de faux titres;
Et l'intervalle est bref de faussaire à pendu.

M. DOUCET.

Monsieur, peut-être ailleurs êtes-vous attendu :
Je ne vous retiens point c'est assez que j'obtienne...

ÉSOPE.

Non! mais vous craignez, vous, que je ne vous retienne.

M. DOUCET.

Si vous saviez, monsieur, jusqu'à quel point je suis...

ÉSOPE.

Allez, je fais du mal le plus tard que je puis.

Retirez-vous.

(M. Doucet sort.)

SCÈNE VI.

AMINTE, ESOPE.

AMINTE.

MONSIEUR, Vous voyez une mère

A qui l'on fait souffrir une douleur amère.
Je ne saurois parler, tant je suis hors de moi.
De grâce, vengez-moi, mon cher monsieur.

ÉSOPE.

Qu'est-ce qu'on vous a fait ? expliquez-vous.

De quoi?

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Le bien n'est pas d'un prix à causer ma douleur.

É SOPE.

A-t-on furtivement attaqué votre honneur ?

Répondez.

AMINTE.

Je ne puis, et cela doit suffire. C'est vous en dire trop que de n'oser rien dire,

ÉSOPE.

J'ai l'esprit un peu dur; parlez-moi sans façon.

AMINTE.

Lorsque l'on se marie, à quoi s'amuse-t-on ?
Je n'avois pour tout fruit de la foi conjugale
Qu'une fille mais belle à n'avoir point d'égale:
Elle étoit à quinze ans l'objet de mille vœux,
Que c'est pour une fille un âge dangereux!
La mienne d'un jeune homme éperdument aimée
A l'aimer à son tour s'étant accoutumée,
Quelques soins qu'on eût pris de la bien élever,
A consenti sans peine à se faire enlever.
Dépêchez un prévôt avec tout son cortège:
Déja le ravisseur a peut-être... Que sais-je ?
Ils s'aiment tendrement, ils sont seuls, sans témoins,
Je tremble...

ÉSOPE.

A dire vrai, l'on trembleroit à moins. Mais parlons de sang-froid. Votre fille enlevée,

Est-ce une vérité qu'on vous ait bien prouvée ?
Il me seroit fâcheux d'agir en étourdi.

AMINTE.

Je suis sûre, monsieur, de ce que je vous di.
Faut-il d'autres témoins que ma douleur extrême ?
ÉSOPE.

Il est bon, s'il vous plaît, que j'en sois sûr moi-même. Qui l'a vue enlever ? Où l'a-t-on prise? quand?

AMINTE.

Je n'en ai qu'un témoin; mais il est convaincant:
On ne peut contre lui donner aucun reproche.
Pour l'avoir toujours prêt, je le porte en ma poche.
Voyez par ce billet que je mets dans vos mains,
Si j'ai lieu de douter du malheur que je crains.
Lisez.

ÉSOPE, lit.

« Je suis aimée et j'aime ;

« C'est, je crois, vous en dire assez :

<< Personne mieux que vous ne connoît par soi-même « Ce que c'est que deux cœurs que l'amour a blessés. « Trois fois de vos amants épousant la fortune, « Vous les avez suivis en tous lieux à leur choix : « Et qui s'est, comme vous, fait enlever trois fois, Do t bien me le pardonner une, >>

Liantre !

AMINTE.

Eh bien! ce billet parle-t-il clairement ?

Etes-vous éclairci de la chose?

É SOPE.

Oui, vraiment.

Je trouve ce billet assez intelligible.

AMINTE.

A ma juste douleur soyez donc plus sensible.

ÉSOPE.

Vous, contre votre fille ayez moins de courroux:
Elle n'est point coupable.

AMINTE.

Elle?

ÉSOPE.

Non.

AMINTE.

Qui donc ?

ÉSOPE.

Vous

L'ÉCREVISSE ET SA FILLE.

FABLE.

L'écrevisse une fois s'étant mis dans la tête

Que sa fille avoit tort d'aller à reculons,
Elle en eut sur-le-champ cette réponse honnête :
«Ma mère, nous nous ressemblons.
« J'ai pris pour façon de vivre
<< La façon dont vous vivez:
« Allez droit, si vous pouvez;

« Je tâcherai de vous suivre. >>

Que pouvoit l'écrevisse opposer à cela?

Ce qui touche une fille est la mère qu'elle a.

Combien en voyons-nous de tous rangs, de tous âges,
Qui veulent, comme vous, que leurs filles soient sages,
Et qui dans les plaisirs donnant jusqu'à l'excès,
Semblent avoir fait vou de ne l'être jamais!
L'exemple d'une mère, en qui la vertu brille,
Est la grande leçon dont profițe une fille.

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