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ÉSOPE.

Jamais ne vous querellez-vous?

COLINETTE.

Non, monsieur, dieu marci, Pierrot est assez doux.
Il est, quand il s'y boute, un tantinet ivrogne;
Mais tenez, pour le reste il va droit en besogne :
Il n'a dans tout son corps pas un endroit malin.
ÉSOPE.

Et vous nourrissez donc ce petit orphelin?

Oui, monsieur.

COLINETTE.

ÉSOPE.

Vos enfants l'aiment-ils ?

COLINETTE.

Pour les nôtres,

Ils sont devenus morts; mais j'en referons d'autres :

Pierrot est jeune.

(A Pierrot.)

ÉSOPE.

Eh bien! à quoi yous suis-je bon?

Qui te fait revenir? est-ce ta charge?

PIERROT.

Oh! non.

Si je venons vous voir, c'est pour ce petit drille,
Qui, s'il pouvoit parler, vous diroit qu'on le pille.
Comme il est mon neveu, j'sommes un peu parents.
Il avoit de bon bien, pour huit ou neuf cents francs;
Mais j'avons pour seigneur certain grand escogriffe,
Qui de tous les seigneurs a la meilleure griffe,
Et qui d'un petit pré voulant en faire un grand,
Enchâssit dans le sien le bien de cet enfant.

(4 Colinette.)

Tu sais cela par coeur, jase un peu, Colinette:

Dis ce que c'est.

COLINETTE.

Monsieur, l'orphelin qui me tette
Est un petit marmot que j'avons par emprunt :
Avant qu'il fût venu, son père étoit défunt.
Dès qu'on l'eut débardé, ce fut une vipère :
Sa mère le fesit, lui défesit sa mère;
Et son trépassement lui laissit quelque bien,
Que ce vilain monsieur a bouté dans le sien.
Il dit, bredi breda (mais on ne le croit guère),
Qu'il prêtit de l'argent à défunt son grand-père;
Et quand je lui montrons que cela ne se peut,
Pour nous farmer la bouche, il nous dit qu'il le veu
Nos meilleures raisons sont pour lui des vétilles :
Plus je trouvons de trous, plus il a de chevilles;
Et, comme il est le maître et qu'il a du crédit,
D'une seule menace il nous abasourdit.

Un bichon contre un dogue a peine à se défendre.
Si vous n'y boutez ordre, il est homme à tout prendre.
Quand je l'allis prier d'un peu mieux en agir,

Il me disit des mots qui me firent rougir;

Et comme je suis douce, et qu'il a bonne gueule.... (A Pierrot.)

Tiens, Pierrot, de mes jours, je n'y vas toute seule. Un loup dans un troupiau n'est pas plus mal-faisant.

PIERROT.

Rien n'est, mordié! pour lui, trop chaud, ni trop pesant.
Comme il est le seigneur, quelque chose qu'il prenne,
Il dit pour ses raisons que c'est un droit d'aubaine.

Tous les jours de sa poche il tire un droit nouviau:
Qu'on prenne une écrevisse, ou qu'on tue un moiniau,
Il fait, tout sur-le-champ, dans sa furie extrême,
Un biau procès de dieu, fût-ce à son père même.
Il prend à toutes mains, et de toutes façons :
Il vendroit, s'il pouvoit, l'air dont je jouissons.
Il nous dîme nos choux, nos poiriaux, nos citrouilles.

COLINETTE.

Les fossés du châtiau sont tout pleins de grenouilles,
Qui, par méchanceté, lui font un si grand bruit,
Qu'il ne dort pas un brin tant que dure la nuit:
Par un papier qu'il a, griffonné d'un notaire,
Il veut, bon gré, malgré, que je les faisions taire,
Et faute jusqu'ici d'empêcher leur cancan
Chaque maison du bourg paye un écu par an.
C'est un dogue affamé, qui toujours mord ou ronge.
Empêcher des crapauds de crier ! le pouvons-je ?

Dites-moi.

ÉSOPE.

De tout temps le foible eut toujours tort. Le plus cruel des droits est le droit du plus fort. Il faut que le plus foible ait dans son infortune, Pour fléchir le plus fort, trente raisons contre une; Encore, assez souvent, celles qu'il peut avoir, Servent-elles de peu, comme vous allez voir.

LE LOUP ET L'AGNEAU.

FABLE.

Un loup se trouvant à boire
Où buvoit un jeune agneau,
Eut d'abord l'âme assez noire

Pour lui vouloir faire accroire

Qu'il avoit troublé son eau :

« Qui te rend si téméraire ? »

Lui dit ce traître, en courroux.

L'agneau, qui justement craint sa dent sanguinaire,
Prenant, pour le toucher, un ton flatteur et doux :
«Eh! comment, monseigneur, cela se peut-il faire ?
« Je me suis, par respect, mis au-dessous de vous. »
« J'ai toujours sur le cœur une vieille querelle, »
Répondit la bête cruelle,

« Où tu te déclaras mon mortel ennemi :

<< Depuis six mois entiers j'en cherche la vengeance. » « Je n'ai, répond l'agneau, que deux mois et demi : << Comment pouvois-je alors vous faire quelque offense?»> « Ta mère, qui me hait, et qui ne sait pourquoi,

<< Hier, par deux mâtins, me fit long-temps poursuivre.» << Ma mère cessa de vivre,

<< Quand elle accoucha de moi, »
« C'est donc ton père? Mon père

« Du boucher inhumain a senti la fureur. >>>

« C'est donc ta sœur, ou ton frère. »

« Je n'ai ni frère, ni sœur. »>

<< Oh bien ! qui que ce soit, il faut que je me venge :
« Je suis las d'écouter tout ce que tu me dis. »
Lors, sans plus de raison, il l'égorge et le mange.

Force grands font de même à l'égard des petits;
N'est-il pas vrai?

COLINETTE, à Pierrot.

Piarrot, le joli petit conte!

PIERROT.

Eh! fi! mordié! le loup devroit mourir de honte :

L'agneau buvoit à part, et ne lui disoit mot.

ÉSOPE.

a pauvre Colinette, et mon pauvre Pierrot, oilà comme, peu près, par le commun usage, înt envers leurs vassaux les seigneurs de village. uand d'un bois ou d'un champ il leur plaît un morceau, es agneaux malheureux troublent toujours leur eau; t pour peu qu'on résiste aux raisons qu'ils se forgent,' ion contents de les tondre, on voit qu'ils les égorgent. I sera bientôt nuit, et vous êtes de loin;

dieu. De cet enfant ayez beaucoup de soin. e ne partirai point sans lui rendre justice.

PIERROT.

Ecoutez, je savons comme on paie un sarvice : i vous en usez bien, à biau jeu biau retour.

COLINETTE.

Fallez point nous bailler d'eau bénite de cour.
On dit qu'en ce lieu-là l'on fait semblant qu'on s'aime,
Et que promettre et rien, c'est quasiment de même.

É SOPE.

Allez, je suis sincère, et le suis en tout lieu.

PIERROT.

Adieu; je vous quittons: voici du monde.

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Mordié! plus je le vois, moins je devine comme
On a mis tant d'esprit dans un si vilain homme.
(Pierrot et Colinette sortent avec l'enfant.)

Théâtre. Com. en vers. 3.

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