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SCÈNE IV.

DEUX COMÉDIENS, ÉSOPE.

LE PREMIER COMÉDIEN.

MONSIEUR (car par la ville on dit publiquement
Que vous ne voulez pas qu'on vous traite autrement),
Choisis par notre corps, nous faisons nos délices
De venir vous offrir ses très humbles services.
Le soin de vos plaisirs conduit ici nos pas.

ÉSOPE.

Étranger en ce lieu, je ne vous connois pas.
Qu'êtes-vous, s'il vous plaît ? Votre mine est si haute,
Que peut-être en parlant ferois-je quelque faute.
LE SECOND COMÉDIEN.

Comédiens. Bientôt nous vous serons connus.

ÉSOPE.

Comédiens! Oh! oh! soyez les bien-venus:
Vous donnez des plaisirs dont je suis idolâtre.
Eh bien! qu'est-ce, messieurs? comment va le théâtre?
Combien dans votre troupe êtes-vous d'acteurs?

LE PREMIER COMÉDIEN.

Lorsque moins on y pense, il en vient au galop.

ÉSOPE.

Trop.

Tant mieux : à bien jouer le grand nombre s'excite.
LE SECOND COMÉDIEN.

Tant pis; car plus on est, plus la part est petite.

É SOPE.

La scène est plus remplie, et chacun prend des soins... LE PREMIER COMÉDIEN.

La scène est plus remplie, et la bourse l'est moins.

Pour peu qu'en ce métier on ait le vent en poupe, Duinze acteurs, bien choisis, font une bonne troupe; Suivant leur caractère ils ont tous de l'emploi : E Pour bien jouer son rôle on ne s'attend qu'à soi; Mais quand on est beaucoup du même caractère, Un auteur en suspens ne sait ce qu'il doit faire; # Sur qui que ce puisse être où s'arrête son choix,

Pour en contenter un il en chagrine trois ;

Et s'il faut m'expliquer à dessein qu'on m'entende,
C'est un petit chaos qu'une troupe si grande.

ÉSOPE.

Avez-vous des auteurs dans cette ville-ci ?

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Malheur à qui s'en mêle, et n'en est pas capable!
S'il n'a l'art de charmer, il n'est point excusable :
Le sévère auditeur pour un mot de travers
Ne fait miséricorde à pas un de ses vers:

Il est si délicat que pour le satisfaire

Il faut du merveilleux ou bien du nécessaire.

Qu'on n'ait point de pain blanc, on en mange du bis,
De velours ou de serge on se fait des habits,
Parce qu'en quelque état que le destin nous range,
Il faut absolument qu'on s'habille et qu'on mange;
Mais, du consentement de cent peuples divers,
Rien n'est moins nécessaire au monde que des vers,

Et par cette raison, qui me semble équitable,
Les passablement bons ne valent pas le diable.
LE SECOND COMÉDIEN.

Nous représenterons, quand vous nous viendrez voir,
L'ouvrage le plus beau que nous puissions avoir.
A vous bien divertir toute la troupe aspire.

Quel jour choisissez-vous?....

ÉSOPE.

Je ne puis vous le dire.

De grâce....

LE SECOND COMÉDIEN.

ÉSOPE.

Je ne sais quand j'aurai le loisir.
LE PREMIER COMÉDIEN.

Un jour dans la semaine est facile à choisir:
Il nous est important d'avoir votre réponse.

Pourquoi?

ÉSOPE.

LE PREMIER COMÉDIEN.

Par la raison qu'il faut qu'on vous annonce. Quand vous nous viendrez voir, plus de monde y viendra Que tout vaste qu'il est notre hôtel n'en tiendra; Et comme un vrai phénix unique en votre espèce, Ce sera pour vous voir plus que pour voir la pièce. J'en suis sûr.

ÉSOPE.

C'est-à-dire, à parler nettement,

Que c'est moi qui serai le divertissement;
Et pour aller au but où votre troupe aspire,
Vous tirerez l'argent, et moi je ferai rire.
Je veux de m'annoncer vous épargner le soin;
C'est un honneur trop grand et dont je suis trop loin;

1 n'est que pour les gens du plus sublime étage,
Et qui n'est rien du tout, doit au moins être sage.
Nous avons en passant déchiffré les auteurs,
Parlons un peu de vous. Êtes-vous bons acteurs?
Je dis, en général, sans désigner personne.
LE SECOND COMÉDIEN.

Oui, monsieur, notre troupe est vraiment assez bonne. Non qu'on soit tous égaux, ne croyez pas cela;

Les uns sont merveilleux, et les autres...

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Je vous entends. La troupe en public étalée,
Est, à dire entre nous, marchandise mêlée.
Ne vous figurez point qu'en ne faisant pas bien,
Vous soyez épargnés, vous qui n'épargnez rien :
Pour reprendre avec fruit les sotiises des autres,
Il faut avoir le soin de bien cacher les vôtres,
Et ne pas follement s'exposer à l'ennui
De montrer ses défauts en jouant ceux d'autrui.
Donnez-vous au public force pièces nouvelles?
LE PREMIER COMÉDIEN.

Tous les mois.

ÉSOPE.

Ou du moins qu'on fait passer pour telles. Depuis neuf ou dix ans, et cela n'est pas beau, Vos nouveautés, dit-on, n'ont plus rien de nouveau. Qu'on annonce une pièce, on promet des merveilles, Qui de chaque auditeur charmeront les oreilles Et quand pendant un mois on l'a prônée ainsi, On rencontre souvent ce qu'on va voir ici.

LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE.

FABLE.

Le bruit courut un jour qu'une haute montagne
Dans une heure accoucheroit:

Chacun se mit en campagne,

Pour voir l'enfant qu'elle auroit.

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Mais ce colosse affreux, dont l'orgueilleuse tête
Alloit jusques au ciel défier la tempête,

Et de tous les passants rendoit les yeux surpris,
Trompant des spectateurs l'ardeur impatiente,
Après une longue attente,
Accoucha d'une souris.

Vous ne pouvez nier, tous acteurs que vous êtes,
Que ce que je dis là ne soit ce que vous faites.
Qui de vous, je vous prie, est le complimenteur?
LE PREMIER COMÉDIEN.

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Celui qui fait l'annonce, et qui taille et qui coupe,
Est ordinairement le menteur de la troupe.

Il vaut mieux louer moins, et ne pas tant mentir.
A vous voir, toutefois, je veux bien consentir:
Mais quand j'irai chez vous, jouez, s'il est possible,
Ce que dans votre troupe on a de plus risible,
Pour me laisser douter, fait comme je me voi,
Si l'on rit de la pièce ou si l'on rit de moi.

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