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Madame, pardonnez si j'ai l'âme interdite.
C'est un charme pour moi qu'une telle visite :
Et du langage humain les termes impuissants
Ne peuvent exprimer les transports que je sens.
Que je suis redevable à monsieur votre père!
CÉCILE.

Votre joie à nous voir me paroît si sincère,
Que je répondrois mal à cet accueil si doux,
Si je vous témoignois en avoir moins que vous.
Quelque estime pour vous que mon père ait conçue,
Je vois avec plaisir qu'elle vous est bien due;
Et comme son exemple a sur moi tout pouvoir,
Plus j'en montre à mon tour, mieux je fais mon devoir.

SCÈNE VII.

BONIFACE, ORONTE, M. DE BOISLUISANT, CÉCILE, LISETTE, MERLIN.

BONIFACE.

Qui de vous, s'il vous plaît, est l'auteur du Mercure?

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J'aime mieux différer ma visite,

Que d'avoir le malheur de vous être importun,
Et de ne prendre pas un moment opportun.

ORONTE, à M. de Boistuisant.

Monsieur, vous voulez bien me donner la licence....

M. DE BOISLUISANT.

Vous m'obligerez.

ORONTE, à Boniface.
Qu'est-ce?

BONIFACE.

Un avis d'importance,

Qui doit enjoliver votre Mercure.

ORONTE.

Eh bien!

Dites-moi ce que c'est..

BONIFACE.

Ce

que c'est ? c'est un bien,

Mais d'une utilité si grande, si féconde,

Qu'on vous en saura gré jusque dans l'autre monde.
C'est un bien, grâce au ciel, et grâce à mes efforts,
Honorable aux vivants, et plus encore aux morts.

ORONTE.

Ne perdons point de temps, monsieur. Que faut-il faire ?

Parlez.

BONIFACE.

Monsieur Blagear, dont je suis le confrère,

M'avoit promis, monsieur, de vous faire un récit

Du dessein qui m'amène.

ORONTE.

Il ne m'en a rien dit.

BONIFACE.

Qu'il doit être content d'avoir votre pratique!
On ne déserte point son heureuse boutique :
Du matin jusqu'au soir il ne voit qu'acheteurs.
Vous n'êtes point maudit, comme certains auteurs,
Qui feroient beaucoup mieux de jamais ne rien faire
Que de mettre à l'aumône un malheureux libraire.
Un livre in-folio m'a mis à l'hôpital.

ORONTE.

Pour vous dédommager d'un livre qui va mal,
Que puis-je ?

BONIFACE.

Vous savez qu'il faut que chacun meure; On le voit tous les jours; on l'éprouve à toute heure ; Et jusques à ce jour on n'a pu découvrir

D'infaillible moyen pour jamais ne mourir.

O'RONTE.

Et ce qu'on n'a point fait prétendez-vous le faire?

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Non, monsieur. Au contraire,

Je serois bien fâché que l'on ne mourût pas;
Je ne puis être heureux qu'à force de trépas:
Mais, monsieur, jusqu'ici les billets nécessaires
Pour inviter le monde aux convois mortuaires,
Ont été si mal faits qu'on souffroit à les voir;
Et pour le bien public j'ai tâché d'y pourvoir.
Théâtre, Com, en vers. 3.

4

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J'ai fait graver exprès, avec des soins extrêmes,
De petits ornements de devises, d'emblèmes,
Pour égayer la vue, et servir d'agréments
Aux billets destinés pour les enterrements.
Vous jugez bien, monsieur, qu'embellis de la sorte
Ils feront plus d'honneur à la personne morte;

Et que les curieux, amateurs des beaux arts,

Au convoi de son corps viendront de toutes parts,
A l'égard des vivants, dont l'orgueil est si vaste
Qu'en escortant le mort ils demandent du faste,
Tout le long d'une rue ils seront trop heureux
De traîner à leur suite un cortège nombreux.

Cet avis est fort beau.

CÉCILE.

ORONTE.

Mais, surtout, fort utile.

BONIFACE.

Je vendrai ces billets trois louis d'or le mille;
Et si l'année est bonne, et fertile en trépas,
Je crois gagner assez pour ne me plaindre pas.
La grâce que j'espère, et qui m'est importante,
C'est un peu de secours d'une plume savante;
Et la vôtre aujourd'hui par son invention
Met ce que bon lui semble en réputation.
Pour être dans le monde illustre à juste titre,
Il faut dans le Mercure occuper un chapitre.
Vous dispensez la gloire. Et si yotre bonté
Vouloit de mes billets montrer l'utilité,

Il vaudroit mieux, monsieur, dans le premier Mercure
Retrancher quelque fable ou bien quelque aventure,
Et dans un long article avertir les défunts
De ne plus se servir de billets si communs :

Leur bien représenter qu'il y va de leur gloire;
Qu'on revit dans les miens mieux que dans une histoire;
Le prouver par raisons; et leur faire espérer

Qu'ils auront du plaisir à se faire enterrer.

Vous voyez bien, monsieur, que rien n'est plus facile.

ORONTE.

Je vous l'ai déja dit, cet avis est utile.
Pour le faire valoir je n'épargnerai rien.

Dites-moi votre nom.

BONIFACE.

Boniface Chrétien,

Depuis plus de vingt ans imprimeur et libraire ;
Et je tiens ma boutique auprès de Saint-Hilaire.
Vous en souviendrez-vous, monsieur?

ORONTE.

Assurément.

BONIFACE.

Votre temps vous est cher jusqu'au moindre moment.
Le public est lésé quand on vous importune.
Adieu; ménagez-moi ma petite fortune

Je ne vous parle point de mon remercîment ;
Je ferai mon devoir, n'en doutez nullement.

(En montrant monsieur de Boisluisant. ) Si monsieur vous est joint de sang ou d'alliance, Il peut håter l'effet de ma reconnoissance.

Comment?

ORONTE.

BONIFACE.

Vous voyez bien qu'il ne peut aller loin;

Il va de mes billets avoir bientôt besoin:

Et j'aurois un plaisir que je puis dire extrême

De pouvoir pour monsieur les imprimer moi-même.

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