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Dont je veux que par moi tu sois d'abord instruit, C'est que le bruit qui court ici n'est qu'un faux bruit : Ces noces, ce festin, véritables chimères,

Dont les préparatifs ne sont qu'imaginaires.

SOSIE.

Pourquoi donc ?... Excusez ma curiosité.

SIMON.

Suis-moi, tu perceras dans cette obscurité.
Quand je t'aurai fait voir mon dessein, ma conduite,
En quoi tu me seras utile, dans la suite,

D'un stratagème adroit tu connoîtras le fruit:
Tu connoîtras mon fils, ses mœurs ; et ce qui suit
Te va donner du fait entière connoissance.

Mais surtout ne perds pas la moindre circonstance.
Mon fils donc, qui pour lors avoit près de vingt ans,
Plus libre, commençoit à voir les jeunes gens.
Je passe son enfance, où retenu, peut-être,
Par le respect d'un père et la crainte d'un maître,
L'on n'a pu discerner ses inclinations.

C'est bien dit.

SOSIE.

SIMON.

Je bannis toutes préventions.
Ce temps où ses pareils ont pour l'académie,
Pour la chasse, le jeu, les bals, la comédie,
De ces empressements qu'on ne peut exprimer,
Ne fit rien voir en lui que l'on dût réprimer.
Il prenoit ces plaisirs avec poids et mesure,
Je m'en applaudissois.

SOSIE,

Non à tort, je vous jure,

Ce proverbe, monsieur, sera de tous les temps:

<< Rien de trop. » Il instruit les petits et les grands.

SIMON.

De la sorte il passoit cet age difficile,
Ne préférant jamais l'agréable à l'utile.

A servir ses amis il s'offroit de grand cœur,
Pourvu qu'il crût pouvoir le faire avec honneur.
Il avoit à leur plaire une douce habitude:

Aussi de ses désirs ils faisoient leur étude.
Ainsi donc, sans envie, il attiroit à lui
La jeunesse sensée, et si rare aujourd'hui,

SOSIE.

On appelle cela marcher avec sagesse.
A son âge savoir que la vérité blesse,
Et que la complaisance attire des amis,
C'est d'un excellent père être le digne fils.

SIMON.

Environ vers ce temps une femme andrienne
Vint prendre une maison assez près de la mienne.
Sans parents, sans amis, peu riche; c'est ainsi
Qu'elle partit d'Andros pour s'établir ici.
Elle étoit encor jeune et passablement belle.

SOSIE.

L'Andrienne commence à me mettre en cervelle.

SIMON.

Vivant pour lors sans bien et sans ambition,
Coudre et filer faisoit son occupation.

Le travail de ses mains, de son fil, de sa laine,
A ses besoins pressants ne suffisoit qu'à peine.
On publioit partout sa vertu, sa pudeur :

Tout ce qu'on m'en disoit mé perçoit jusqu'au cœur;

Et je cherchois déja comment je pourrois faire
Pour soulager, sous main, l'excès de sa misère.
Mais sitôt qu'à ses yeux brillèrent les amants,
Elle ne garda plus tant de ménagements.
Comme l'esprit, toujours ennemi de la peine,
Se porte du travail où le plaisir le mène,
Elle donna chez elle à jouer nuit et jour.
Parmi les jeunes gens qui lui faisoient la cour,
Ceux qui pour la servir montroient le plus de zèle
Obligèrent mon fils à l'aller voir chez elle.
Sitôt que je le sus, en moi-même je dis :

Pour le coup, c'en est fait; on le tient : il est pris.
J'attendois le matin leurs valets au passage,
Qui, tour-à-tour, rodoient dans tout le voisinage.
J'en appelois quelqu'un. Je lui disois : Mon fils,
Nomme-moi tous les gens qui sont avec Chrysis.
Chrysis est proprement le nom de l'héroïne.

SOSIE.

Ah! je n'entends que trop! je fais plus; je devine.

SIMON.

Je ne me souviens pius, moi-même, où j'en étois.

SOSIE.

Vous appeliez....

SIMON, l'interrompant.

J'y suis. Je priois, promettois.

Phèdre, me disoit l'un, Nicérate, Clinie,

Ces jeunes gens, tous trois, l'aimoient plus que leur vie. Et Pamphile? Pamphile, assis près d'un grand feu,

Par complaisance attend qu'on ait fini le jeu.

Je m'en réjouissois. Les jours suivants sans cesse
Je revenois vers eux et leur faisois largesse,

Pour savoir comme en tout mon fils se conduisoit.
Je n'eusse osé penser le bien qu'on m'en disoit.
Plusieurs fois, éprouvé de la même manière,
Je crus pouvoir en lui prendre assurance entière;
Car celui qui s'expose et qui revient vainqueur
Gagne la confiance et s'attire le cœur.
D'ailleurs, de tous côtés, je dis le plus farouche,
N'osoit sans le louer même en ouvrir la bouche:
D'une commune voix j'entendois mes amis

Qui me félicitoient d'avoir un si bon fils.

Que te dirois-je, enfin ? Chrémès, rempli de zèle,
Me vient offrir sa fille et son bien avec elle;
Pour épouser mon fils, au moins, cela s'entend..
J'approuve, je promets, et ce jour-ci se prend.

SOSIE.

A leur bonheur commun quel obstacle s'oppose?

SIMON.

Patience un moment t'instruira de la chose.

Lorsque Chrémès et moi nous mettions tout d'accord, De Chrysis, tout à coup, nous apprenons la mort.

SOSIE.

Où qu'elle soit, monsieur, pour dieu, qu'elle s'y tienne! Je n'ai jamais rien craint tant que cette Andrienne.

SIMON.

Mon fils, qui la plaignoit dans son malheureux sort,
Ne l'abandonnoit pas, même depuis sa mort;
Et tout se disposoit pour la cérémonie

De ces tristes devoirs qu'on rend après la vie.
Plus attentif alors, je l'examinois mieux.
J'aperçus qu'il tomboit des larmes de ses yeux.
Je trouvois cela bon, et disois en mon âme :
Il pleure, et ne connoît qu'à peine cette femme,

S'il l'aimoit, qu'eût-il fait en un pareil malheur?
Et si je mourois, moi, que feroit sa douleur ?
Je prenois tout cela pour la marque infaillible
De la bonté d'un coeur délicat et sensible,
Mais, pour trancher enfin d'inutiles discours,
On emporte le corps : il y vole; j'y cours.
Je me mets dans la foule; et le tout pour lui plaire.
Je ne soupçonnois rien encor dans cette affaire.

SOSIE.

Comment! que dites-vous ?

SIMON.

Attends; tu le sauras.

Nous allions, nous suivions, nous marchions pas à pas. Plusieurs femmes pleuroient, mais surtout une blonde

Me parut....

SOSIE, l'interrompant.

Belle?... Hein?

SIMON.

La plus belle du monde,

Mais dont la modestie égaloit la beauté;
Et tant de grâce jointe à tant d'honnêteté,
La mettoit au-dessus de tout ce qu'on admire.
Poussé par un motif que j'aurois peine à dire,
Soit qu'elle m'eut touché par son affliction,

Ou qu'elle eût sur mon cœur fait quelque impression,
Je voulus la connoître; et dans l'instant j'appelle
Doucement le valet qui marchoit après elle:
Quelle est cette beauté, mon ami, que tu suis?
Lui dis-je. Il me répond : c'est la sœur de Chrysis.
L'esprit frappé, surpris, et le cœur en alarmes :
« Ah! ah! dis-je, voici la source de ses larmes...
« Voilà donc le sujet de sa compassion! »

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