l'effence de la juftice eft commune à tous ceux qui nient la Providence, & elle fuit néceffairement de leurs principes.Le fameux Hobbes qui entreprit de rétablir la Morale d'Epicure, comme Gaffendi en avoit rétabli la Physique, nous en donnera l'explication en peu de

mots.

Il diftingue dans l'homme deux fortes d'états, l'état de nature, qui convient auffi aux bêtes, ftatus belluinus; & l'état de fociété, qui ne convient qu'à un animal raifonnable, ftatus civilis.

Dans l'état de nature, on voit l'homme libre, fans loi, fans maître, ayant un droit fans bornes, à tout & fur tout, jus in omnia.

Mais tout homme ayant en particulier le même droit, il s'enfuit qu'à égale volonté de jouir, c'eft le combat feul qui peut décider entre deux contendans ; & que

la force feule l'emporte. Malheur aux vaincus ! C'est par cet état qu'il femble à Epicure que le genre

humain a commencé.

Cependant, les vaincus eurent une reffource : ce fut de former une confpiration fecrete, pour rompre leurs chaînes, & lier à leur tour, le bras qui les avoit mis aux fers. Alors commença l'état de fociété, dans lequel l'oppreffeur même fut opprimé par les forces réunies de plufieurs.

De-là il fuit, que dans l'état de fociété il y a deux forces contraires, dont l'une eft le poids de la loi fociale, qui pefe fur le droit naturel du particulier, & qui le tient en refpect; l'autre, eft le reffort de la liberté du particulier opprimé, qui fe tend contre la loi ou conf piration de la fociété.

Avant l'union de plufieurs contre l'ennemi commun, tout étoit

à tous ; & par conféquent, rien n'étoit injufte. Mais depuis l'union, il y a eu pour l'un droit à ceci, & pour l'autre droit à cela, c'est-à-dire, le tien & le mien : fans quoi l'union eût été impoffible : le droit à tout étant un état de guerre.

Il a donc fallu pour condition préliminaire du pact, ou de la paix entre plufieurs, que chaque particulier renonçât à fon droit à tout, & fe reftraignît au droit à une partie, pour en jouir fans trouble, fous la protection & la garantie de la fociété.

C'eft de-là, felon Hobbes, & felon les Epicuriens, qu'eft née la notion du jufte, lequel n'eft autre chofe que la poffeffion légitime du droit restraint; & de l'injufte, qui eft la répétition violente du droit cédé.

D'où il fuit, 1°. que le droit de

la fociété, compofé des droits qué les particuliers avoient à tout, eft comme le dépôt de tous ces droits, & qu'elle peut en jouir dans toute leur étendue : c'eft même ce qui la conftitue effentiellement.

Par conféquent, rien pour elle n'eft jufte, ni injufte, vis-à-vis d'une autre fociété, avec qui elle n'aura point fait de pact ou de traité.

Il fuit 2°. que les particuliers de cette même fociété ont le même droit qu'elle, contre tous ceux qui ne font pas de leur fociété, & qu'ils ne peuvent jamais, par quelque excès que ce foit, devenir coupables à leur égard; parce que ce n'eft qu'en faveur de leur fociété, & des membres qui la compofent, qu'ils ont renoncé à leur droit à tout.

: Donc tout ce qu'il y a de juftice fur la terre dépend des engagemens qu'une fociété a pris avec

fes membres, ou avec une autre fociété, & de ceux que les membres ont pris avec leur fociété, ou entre eux. Telle eft la nature, l'effence & l'origine du juste & de l'injufte.

Que fera le fage, quand, remontant à la premiere origine des loix, il aura vû qu'elles ne font que l'ouvrage de la confpiration de plufieurs, contre un feul qui feroit plus fort que chacun d'eux féparément; qu'une entreprise, heureuse de l'intérêt commun fur l'intérêt naturel du particulier? quand il aura vû que fon droit à tout n'a été restraint à une partie, que par la violence du grand nombre qui s'eft trouvé le plus fort?

S'il ne confent pas â être duppe, il tâchera de rentrer fourdement dans fes droits ufurpez, de fe fouf traire à la loi, toutes les fois qu'il pourra reprendre fur elle la pof