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tifs, prefque toujours offufquez par le goût & l'habitude des chofes fenfibles. Ils n'étoient pas même d'accord entre eux fur les développemens de plufieurs de ces points effentiels. Et comme l'efprit humain a toujours eu le fecret, quand il l'a voulu, d'embrouiller, à force de réflexions, les chofes les plus claires, & de rendre douteuses les plus certaines; il s'eft trouvé que dans le choc des raifonnemens & des idées contraires, dont aucunes ne reconnoiffoient un tribunal fans appel, la verité a souvent eu moins de crédit & de pouvoir que le menfonge; parce qu'elle eft ordinairement fans faction, & que le nombre des fages n'eft jamais le plus grand.

Dans cet état des pensées & des opinions des Philofophes fur le bonheur del'homme, & fur les

:

moyens d'y parvenir, Epicure s'imagina que la queftion feroit bientôt décidée, fi quelqu'un, fans s'arrêter aux vaines difputes des Écoles, reprenoit le fil de la nature, & le fuivoit jufqu'au bout fans le rompre. Il crut que ce chefd'œuvre lui étoit réservé; & qu'il étoit heureusement arrivé au terme, en prénant le hazard pour principe, & la volupté pour guide l'un pour délivrer l'homme des craintes fauffes, & l'autre pour le délivrer des fottes cupidités, qui font les deux grandes, & les feules maladies du genre humain. Il a prétendu avoir guéri la premiere, en tirant le voile miftérieux qui nous déroboit les opé rations fécretes de la Nature; & la feconde, en plaçant le reffort de toute vertu dans l'amour du bien être de cette vie : c'eft toute fa Philofophie.

ARTICLE III.

Idée d'Epicure fur la nature
des Dieux.

UN Poëte a dit, & on l'a cité quelquefois avec complaifance, que c'étoit la crainte qui avoit fait les Dieux dans l'Univers: Primus in orbe Deos fecit timor.

On pourroit dire le contraire avec plus de verité, que c'est la crainte qui a chaffé les Dieux de l'Univers. » Je n'ai jamais vû un homme, dit Ciceron, qui eût plus de peur qu'Epicure de deux chofes, dont il difoit qu'il ne falloit point avoir peur, je veux » dire de la mort & des Dieux (a). Il en parloit toujours.

(a) Neminem vidi qui magis ea quæ timenda effe negaret »

timeret ; mortem dico & Deos. De Nat. Deor. I. 31.

Elevé dès fa tendre enfance (a) dans la frayeur des efprits & des démons, contre qui fa mere employoit les rits expiatoires dans les maifons des particuliers, il avoit eu long-tems l'imagination remplie de fantômes hideux. Il fe repréfentoit, fi l'on peut ufer de l'expreffion du Poëte qui a mis en vers fa Philofophie, la tête énorme de la Religion fortant des cieux, & glaçant d'effroi par fon regard terrible, les pâles mortels, victimes du préjugé :

Qua caput à cœli regionibus oftendebat,
Horribili fuper afpectu mortalibus inftans.

L. 1.65.

Ce fut pour fe délivrer une bonne fois de cette idée, pleine de trouble & de terreur, qu'il entreprit de mettre la Religion fous fes pieds. Quand il crut y avoir

(a) Voyez Diog. Laerce, & Bayle

dans fon Dict. Rem

B. n. 1.

* Diiij

réuffi, fes difciples chanterent. victoire, & fe crurent eux-mêmes dans les cieux :

Quare Relligio pedibus fubjecta viciffim

Obteritur, nos exæquat victoria cælo,

L. I. v. 80.

Lorfque des efclaves infidéles craignent leur maître, ils n'ont que deux moyens pour fe délivrer de leur crainte: le premier eft de l'anéantir, s'ils le peuvent; le fecond de lui fermer les yeux, & de lui lier les mains: car fi ce fecond moyen paffe encore leurs forces, ils n'ont d'autre parti à prendre que de faire leur devoir & de porter leurs chaînes de bon

ne grace.

Epicure n'a point voulu imiter ces Philofophes Titans qui entreprirent d'efcalader le ciel, dûffent-ils être écrafez par les rochers mêmes qu'ils lançoient contre lui. Il a mieux aimé prendre.

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