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fois, à trois différentes reprises, des enchantemens compofés de mots mystérieux & inconnus. Scylla s'étant rendue peu de temps apres dans cette grotte, & étant entrée dans l'eau jufqu'à la ceinture, s'apperçut que cette partie de fon corps étoit environnée de chiens qui hurloient d'une maniere épouvantable. Comme elle ne crut pas d'abord que ces monftres fiffent partie d'elle-même, elle chercha à s'en éloigner & à les chaffer; mais elle ne fit que les entraîner avec elle. Elle fe toucha les cuiifes, les jambes & les pieds, & elle ne trouva par-tout que des chiens & des monftres qui aboyoient contre elle, & qui en étoient inféparables. Glaucus à qui cette aventure fit verfer des pleurs, ne fongea qu'à s'éloigner d'une perfonne qui venoit de fe venger avec tant de cruauté. Scylla demeura dans ce détroit, & à la premiere occafion qu'elle eut de faire éclater fon reffentiment, elle fit périr les compagnons d'Ulyffe, l'amant de fa rivale. Les Vaiffeaux Troyens qui conduifoient Enée, alloient auffi avoir le même fort, lorfque Scylla fut changée en ce rocher, qu'on voit encore aujourd'hui dans cette mer, & que les Pilotes évitent avec tant de précaution.

Explication de la premiere Fable. CIRCÉ, fi nous en croyons Héfiode (a), étoit

Fille du Soleil & de Perféis, & Soeur de Pafiphaé, femme de Minos fecond. Homere qui a débité plufieurs Fables fur fon fujet, ajoute qu'elle étoit foeur d'Eea ou Æeta, Roi de Colchide. Circé s'étoit adonnée à la connoiffance des Simples, dont elle favoit compofer plufieurs remedes; mais comme elle fe fervit de cette même connoiffance pour faire des breuvages empoisonnés, elle passa dans l'efprit de tout le monde pour une Magicienne. Apollonius de Rhodes, dans fon Poëme des Argonautes, dit que cette Princeffe ayant empoifonné le Roi des Sarmates qu'elle avoit épousé, le Soleil fon Pere, pour la retirer des mains d'un Peuple irrité, la prit fur fon Char & la transporta en Italie. Virgile (6) & Ovide, felon cette tradition, difent qu'elle habitoit fur un Promontoire de l'Italie, qui porta depuis fon nom, & qu'on appelle encore aujourd'hui Monte Circello; mais quelle apparence que du fond de la Scythie, Circe foit venue s'établir dans un Pays fi éloigné, fur-tout dans un temps où la navigation étoit fi difficile & fi pleine de dangers? Dirons-nous, avec quelques Mythologues, que ce fut fur un Vaiffeau à voile qu'elle fit ce trajet, & que ce n'eft que pour donner du merveilleux à ce Voyage, qu'Apollonius dit que le Soleil lui-même l'y avoit conduite fur fon Char. Concluons plutôt que jamais Circé ne connut ni la Colchide ni la Thrace, qu'elle n'a paffé pour être Ja Soeur de Médée, qu'à caufe de la reffemblance de leurs caracteres; qu'on ne leur a donné à l'une & à l'autre le Soleil pour Pere, que parce qu'elles [a] Theogon. (b) Æneid. Lib. III.

avoient quelque connoiffance des Simples; qu'elles n'ont paffé pour Magiciennes, que parce qu'elles avoient abufé des fecrets qu'elles avoient appris ; que leurs prétendus enchantemens étoient plutôt un effet de leur beauté, qui attiroit plufieurs Amans à leur Cour, où ils périffoient dans les charmes de la volupté, que celui de la Magie. Ajoutons avec Strabon, dont la remarque m'a paru fort judicieufe, qu'Homere ayant entendu parler de la navigation de Jafon dans la Colchide, & fachant toutes les Fables qu'on avoit débitées au fujet de Médée & de Circé, voyant des caracteres fi reffemblans, avoit dit qu'elles étoient foeurs quoiqu'elles euf fent vécu l'une & l'autre dans des Pays fort éloignés; que l'une eût habité dans l'extrêmité du Pont-Euxin, & l'autre fur les côtes d'Italie du côté de la Sicile; & que ce Poëte, parlant aux Phéaciens, gens oififs & ignorans, n'avoit pas fait dif-. ficulté, pour donner du merveilleux à fa narration, de fixer la demeure de ces deux perfonnes, au milieu de l'Océan. Pour tout dire en un mot, Circé étoit une belle perfonne, qui eut quelques aventures galantes fur les côtes de l'Italie vers le temps de la guerre de Troye, & qui s'étant vengée de fes rivales & de ceux qui la méprifoient, paffa dans la fuite pour une Magicienne: comme nous l'expliquerons plus au long dans les Fables fui

vantes.

Notre Poëte dit que Glaucus piqué des mépris de Scylla qui refufoit de répondre à fa tendreffe, s'adreffa à Circé, qui, pour le venger, compofa un poifon fubtil, le jetta dans une Fontaine, où la Nymphe étant venue fe baigner, fut changée en Monftre. Scylla, felon quelques Auteurs, étoit fille de Phorcys & d'Hécaté, felon d'autres de Typhon. Homere en fait cette description. Elle

a, dit-il, la voix d'un jeune chien qui vient de naître, aucun homme, aucun Dieu, ne peut la regarder qu'avec horreur; elle a douze pieds, fix cous fort fongs, au bout de chacun defquels eft une tête monstrueufe, dont la gueule renferme trois rangées de dents, qui portent la mort à tous ceux qu'elle rencontre. Un Ancien qui a enchéri fur le Poëte Grec, ajoute que ces fix têtes font celles d'un Infecte, d'un Chien, d'un Lion, d'une Baleine, d'une Gorgone & d'un Homme. Virgile qui a copié Homere, en parle ainfi ;

Prima hominis facies, & pulchro pectore Virgo. Pube tenus, poftrema, immani corpore piftris. Delphinum caudas utero commissa luporum [a].

On ajoute que Scylla effrayée elle-même par les hurlemens importuns des chiens que formoient fes cuiffes & fes jambes, fe précipita dans cette Mer, qui depuis a porté fon nom, & qu'elle fe vengea de Circé fa rivale, en faifant périr les Vaiffeaux d'Ulyffe qui en étoit amoureux.

Entre Meffine & Rhégio eft un détroit fort ferré, où de grands rochers s'avancent dans la Mer, des deux rivages oppofés. La partie de ce détroit qui confine la Sicile, étoit nommée le détroit de Charybde, & celle qui étoit près de l'Italie, le détroit de Scylla:

Dextrum Scylla latus, lavum implacata Charybdis Obfidet [b].

Toute cette Mer eft comprise aujourd'hui fous le nom de Phare de Meffine. Ce lieu a toujours été fort dangereux & très-difficile à traverfer.

[a] Æneid. Lib. III. verf. 416. [b] Virg. Æneid. Lib.III.

Comme il s'y rencontre des courans extrêmement rapides, & que l'eau s'y précipite avec impétuofité dans des gouffres & dans des tourbillons, on entend un bruit confus affez femblable à celui que feroient plufieurs chiens qui s'entremordroient : ce que Virgile exprime ainfi:

Multis circum latrantibus undis.

Ajoutons à cela, que comme ce détroit eft fort férré, à mesure qu'on s'en éloigne, il paroît que les Vaiffeaux qu'on y voit entrer y font engloutis. Voilà l'origine de la Fable: c'eft ainfi que l'Abréviateur de Trogus l'explique [a]. Hinc fabula Scyllam & Charybdim peperere; hinc latratus auditus, hinc monftri credita fimulachra, dum navigantes magnis vorticibus pelagi decidentis exterriti, latrare putant undas, quas forbentis aftus: vorago condidit. Ea eft procul infpicientibus natura loci ut finum maris non tranfitum putes; quò cùm accefferis, difcedere ac fejungi Promontoria, que anteà. juncta fuerant, arbitrere. Peu content d'une explication fi naturelle, Paléphate [6], & après lui Eufebe, prétendent que Scylla étoit un Navire de Corfaires Tyrrhéniens qui ravageoient les côtes de Sicile, & dont la proue repréfentoit une tête de femme, qui avoit toute la partie inférieure du corps environnée de chiens. Ulyffe, felon ces deux Auteurs, ayant évité heureusement fa rencontre raconta cet événement aux Phéaciens, de la maniere que le rapporte Homere. Les étymologies. Grecques des noms de Scylla & de Charybde, femblent autorifer cette Explication: Le premier, en effet, fignifie dépouiller; le fecond, engloutir.Cependant Bochart, plus conforme en cela à Trogus, tire [a] Juft. Lib, IV. [b] Lib. I. Cap. XXI.

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