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chiens autour d'un cerf qu'on lâche le matin dans l'Amphithéâtre. Elles l'attaquent de tous côtés, & lui donnent plufieurs coups de leurs Thyrfes, qui n'étoient pas deftinés à cet ufage. L'une lui jette à la tête des mottes de terre, l'autre des branches d'arbres, d'autres enfin des pierres & des cailloux; & comme si le hafard avoit voulu fournir des armes à leur fureur, il y avoit près de-là des Payfans, dont les uns labouroient, & les autres travailloient à la bêche, qui effrayés de ce tumulte, avoient pris la fuite, & laiffé leurs charrues & leurs autres outils. Les Bacchantes s'en faifirent, arracherent même les cornes des. Bœufs, & vinrent fondre fur Orphée avec de nouvelles armes. Ce fut envain que pour les fléchir il leur tendoit les mains; il eut pour la premiere fois le malheur de ne pas attendrir ceux qui l'entendoient. Enfin elles le maffacrerent, & fon ame, grands Dieux! fort par cette même bouche qui avoit tant de fois charmé les animaux, & rendu fenfibles les rochers même. Malheureux Orphée, les oifeaux, les bêtes féroces & ces mêmes rochers, qui étoient fi fouvent accourus au fon harmonieux de votre Lyre, vous voyant rendre le dernier foupir, répandirent des torrens de larmes. Les arbres dépouillés de leurs feuilles, les Fleuves groffis par les pleurs qu'ils verferent, les Nayades & les Dryades

couvertes de deuil & les cheveux en défordre, tout fut sensible à votre mort: on voyoit fes membres épars de tous côtés, fa tête & fa Lyre étoient tombées dans l'Hebre, & par une merveille inouie, pendant qu'il les entraînoit, cette Lyre & fa langue même, quoique fans vie, faifoient encore entendre des fons lugubres & plaintifs, que les Echos répétoient fur le bord de ce Fleuve.Lorsqu'elles furent enfin entrées dans la Mer, & que les flots & les vents les eurent pouflées fur les rivages de Lesbos, un ferpent voulut se jetter fur la tête d'Orphée; mais dans le temps qu'il ouvroit la gueule pour la dévorer, Apollon le changea en rocher, avant qu'il l'eût refermée, & le laiffa ainfi dans l'attitude d'un ferpent qui eft prêt à mordre. L'ombre d'Orphée defcendit aux Enfers, où après avoir parcouru tous les endroits qu'il avoit vus autrefois, il alla dans le lieu qu'habitent les gens de bien, où ayant rencontré fa chere Eurydice, il lui donna toutes les marques de la plus vive tendreffe. Depuis ce moment ils font inféparables; quelquefois ils fe promenent enfemble; quelquefois illa laiffe marcher devant lui, quelquefois il la précéde; toujours il la regarde fans fe mettre en danger de la perdre.

Cependant Bacchus affligé de la mort d'un homme qui préfidoit à fes myfteres, pour ne

pas laiffer impuni le crime des Dames de Thrace, qui l'avoient maffacré, les changea toutes en arbres. Leurs pieds allongés s'attacherent en terre dans le lieu où elles fe trouverent, & y poufferent des racines. Comme on voit l'oifeau dont le pied fe trouve pris dans le lacet qu'un chaffeur rufé a caché, se remuer, s'agiter, & faire mille efforts qui ne fervent qu'à refferrer le nœud qui le tient arrêté; ces Bacchantes voyant leurs jambes attachées à la terre, s'efforcent de les en retirer, mais les racines qui en étoient forties, les empêchent de fe dégager. Elles regardent où font leurs doigts, leurs pieds & leurs ongles, & elles n'apperçoivent que le tronc d'un arbre: elles veulent fe frapper la poitrine pour marquer leur douleur, & elles ne frappent que du bois; enfin, tout le refte du corps reçoit le même changement. Vous croiriez, en les voyant, que leurs bras font des branches d'arbres, & vous auriez raifon de le croire.

Explication des Fables I. & II.

APRÈS

ce que j'ai dit d'Orphée & de fa mort, dans le Livre précédent, je pourrois me difpenfer d'expliquer la Fable de ce Serpent qui, ayant voulu lécher le fang qui étoit fur la tête de ce grand Poëte, fut changé en pierre. On peut penfer, en effet, que ce n'eft qu'un épisode, dont on a cru devoir embellir l'Hiftoire d'un homme fi célebre. Il y a cependant des Mythologues qui ont

prétendu que les Anciens nous avoient laiffé fous cette Fable l'Hiftoire d'un habitant de Lesbos, qui fut puni pour avoir attaqué la réputation d'Orphée. On regarda ce Critique comme un vil infecte, qui avoit cherché à fé nourrir du fang de ce Poëte, on voulut peindre fa ftupidité, en difant qu'il avoit été métamorphofé en pierre.

Comme les flots avoient porté à Lesbos la tête d'Orphée, on la mit dans un Temple d'Apollon & on publia qu'elle y rendoit des Oracles. C'eft Philoftrate qui nous l'apprend dans fon Philoctete, où il dit que Diomede & Neoptoleme, Fils d'Achille, emmenerent ce Héros à Troye, après lui avoir expliqué l'Oracle qu'ils avoient reçu à Lesbos, & que la tête d'Orphée leur avoit rendu du fond d'un

antre.

Dans le même Temple étoit auffi laLyre d'Orphée, & on en difoit tant de merveilles, que Néanthus, fils du Tyran Pittacus, l'acheta des Prêtres d'Apollon, croyant qu'il fuffifoit de la toucher pour attirer les Arbres & les Rochers; mais il y réuffit fi mal, au rapport de Lucien qui raconte cette Hiftoire, que les Chiens du fauxbourg où il chantoft fur cette Lyre, fe jetterent fur lui & le mirent en pieces.

Pour ce qui regarde la métamorphofe des Femmes de Thrace, qui furent changées en Arbres, pour avoir fait mourir Orphée; c'eft un emblême qui nous apprend que la plupart de ces Bacchantes furent punies pour avoir commis cet attentat, ou qu'elles périrent dans les Cavernes, où elles s'étoient cachées pour éviter le châtiment qu'elles méritoient.

L'Antiquité nous a confervé quelques figures qui repréfentent Orphée, & on en voit deux dans le cabinet du Marquis Maffei. Dans la premiere, il eft debout à l'entrée de la Caverne de Tenare près de Cerbere qui paroît attentif au fon de fa Lyre.

Dans la feconde il eft affis fur une Roche, & joue d'un Inftrument qui reffemble à notre Violon. Plus fieurs Animaux qu'il a attirés font autour de lui, & paroiffent attentifs.

FABLE III.

ARGUMENT.

Bacchus quittant le féjour de la Thrace, après avoir puni les femmes qui avoient massacré Orphée, & paffant fur le Mont Tmole, dans la Lydie, Silene qui l'accompagnoit s'égara; & des Payfans l'ayant rencontré le préfenterent à Midas, Roi de Phrygie qui le rendit à Bacchus. Pour reconnoître ce fervice, ce Dieu lui demanda ce qu'il défiroit, & Midas fouhaita de pouvoir convertir en or tout ce qu'il toucheroit ; ce qui lui fut accordé : il fe repentit bientôt d'avoir obtenu un pouvoir fi funefte; & ayant prié Bacchus de l'en délivrer, ce Dieu lui ordonna d'aller fe laver dans le Pactole, qui depuis ce temps-là roule un Sable d'or.

PEU fatisfait d'une vengeance fi éclatan

te, Bacchus fe réfolut d'abandonner la Thrace, théâtre funefte de la mort d'Orphée. Accompagné d'une troupe moins cruelle & moins barbare, il alla vifiter les

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