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rent de larmes. Trois fois elle fit de vains efforts pour parler: mais fes foupirs & fes pleurs étoufferent fa voix. Enfin elle fit cette plainte entrecoupée de fanglots : « Quel crime ai-je donc commis, mon cher époux, » qui puiffe ainfi vous faire changer? Qu'eft » devenue cette tendre inquiétude? Où font » les empreffemens que vous aviez pour » moi? Aujourd'hui tranquille en m'aban>> donnant, vous cherchez à vous éloigner: » Eft-ce donc par l'abfence qu'on prouve » l'amour? Encore fi vous faifiez votre » voyage par terre, quoique ma douleur fût égale, mon inquiétude feroit moins grande; » mais la Mer m'épouvante: fon rivage feul >> me donne de l'horreur. J'ai vu depuis peu >> fur le rivage les triftes débris d'un naufrage; » & j'y ai fouvent rencontré des tombeaux » qui n'avoient que les noms de ceux dont les » corps avoient été engloutis fous les flots. » Qu'Eole votre beau-pere, qui eft le maître » fouverain des Vents, & qui les tient enchaînés, ne vous infpire pas une téméraire confiance. Quand il les a une fois lâchés, & » qu'ils font en liberté, il n'est point de rava»ges qu'ils ne caufent fur mer & fur terre. » Les nuages agités par les violentes fecouffes » qu'ils leur donnent, forment la foudre & » les éclairs. Plus je les connois, & je les con»nois pour les avoir vus fouvent en courroux

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» dans le Palais de mon Pere, lorfque j'étois » encore enfant; plus je les crains, plus ils » m'épouvantent. Que fi mes prieres vous » trouvent inflexible, mon cher Ceix; fi vous perfiftez toujours dans la réfolution de faire » ce funefte voyage, permettez-moi du moins » de vous accompagner, afin que j'aie la con» folation de partager vos maux. Eloignée, je » ferois dans de continuelles inquiétudes; mais lorfque je ferai près de vous, l'illufion n'aura plus de part à mes alarmes, & je n'aurai à » craindre que des maux véritables ». Le difcours & les larmes d'Alcyone attendrirent Céïx, qui n'avoit pas moins d'amour pour elle qu'elle en avoit pour lui. Cependant il demeura toujours dans la réfolution d'aller par Mer fans vouloir permettre que fon époufe s'expofât aux dangers de ce voyage. Il lui dit les chofes les plus tendres pour la raffurer, mais tout fut inutile, & elle demeura inconfolable, Enfin, pour diminuer autant qu'il lui étoit poffible la douleur qu'alloit lui caufer ce funefte départ; il ajouta ces mots qui mirent le calme dans fon efprit. « Quoique l'absence la plus courte doive nous paroître infupporta» ble à l'un & à l'autre, je vous jure par la » brillante lumiere de mon Pere, que fi le

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Deftin ne met un obftacle invincible à mon » retour, vous me verrez avant deux mois »>. Comme cette promeffe flatta Alcyone de la

douce efpérance de revoir bientôt fon époux, elle ne s'oppofa plus à son départ, & il ordonna fur le champ qu'on équipât un Vaisseau & qu'on le mît en mer. A la vue de ces préparatifs; Alcyone fut faifie d'un nouvel effroi; & comme fi elle avoit eu quelque preffentiment du malheur qui devoit arriver à fon époux, elle laiffa couler des larmes, l'embraffa de la maniere du monde la plus tendre, & en lui difant le dernier adieu, elle tomba évanouie. Les Matelots, qui voyoient que Céïx ne cherchoit qu'à éloigner le départ, fe mirentà ramer de toutes leurs forces. Alcyone qui étoit revenue de fon évanouiffement, apperçut fon époux debout fur la Pouppe, qui lui faifoit figne avec la main qu'il la voyoit, &. elle lui fit le même figne. Lorfque le Vaiffeau fut trop loin pour pouvoir reconnoître Céix, elle le fuivit des yeux autant qu'il lui fut poffible; & quand il fut hors de la portée de la vue, elle les tint attachés fur les voiles qui voltigeoient au haut du mât. Enfin quand il ne lui fut plus poffible de rien appercevoir, elle alla fe jetter fur fon lit. La chambre & ce même lit lui rappellant le fouvenir de fon Mari, lui firent encore répandre des larmes. Cependant le Vaiffeau s'éloignoit ; & comme le vent étoit favorable, on ceffa de ramer & on tendit toutes les voiles pour aller plus vite. On avoit fait environ la moitié du che

min, & la terre fe trouvoit des deux côtés galement éloignée, lorfqu'à l'entrée de la uit, le vent commença à fouffler avec plus de violence, & la mer parut couverte d'écume. D'abord le Pilote ordonne qu'on plie les voiles, & qu'on les attache aux antennes; mais le bruit des vents empêche de l'entendre, & la fureur des vagues rend cette manœuvre impoffible. Cependant tout le monde eft occupé. Les uns retirent les rames dans le Navire; les autres attachent des planches à fes deux flancs, pour empêcher l'eau d'y entrer; & d'autres pompent celle qui y étoit déjà entrée. Il y en a qui travaillent à plier les voiles, pendant que d'autres retirent les antennes qui flottoient au gré des vents. Cependant l'orage augmente, les vents en fureur bouleverfent les flots avec une extrême violence & les font heurter les uns contre les autres. Le Pilote étonné ne fait plus quel parti prendre, ni quels ordres donner, & le péril est si grand qu'il met fon art en défaut. Tout eft en confufion : tout le trouble & le déconcerte ; les cris des Matelots, le bruit des cordages & des mâts, l'horrible mugiffement des vagues, l'impétuofité des flots qui heurtent le Vaif feau, les éclats de tonnerre. Les flots agités par les vents, vents, s'élevent jufqu'aux nues, & femblent menacer le Ciel de fe confondre avec lui. Enfuite venant à fe précipiter jufqu'au

fond de l'abîme, ils prennent la couleur brillante du fable qu'ils entraînent, & un moment après paroiffent plus noirs que l'eau du Styx: quelquefois enfin unis comme une vafte plaine, ils blanchiffent d'une écume mugiffante. Le Vaiffeau, trifte jouet des flots, fuit tous les mouvemens qu'ils lui donnent. Elevé avec eux, il voit comme du fommet d'une haute montagne des gouffres ouverts; puis précipité tout d'un coup jufqu'aux Enfers, il confidere le Ciel dans un efpace immenfe. Ses flancs heurtés par les vagues font entendre un bruit femblable à celui d'une machine qui renverfe les murailles d'une Ville. Tels que deux lions, qui, animés par l'ardeur du combat, fe jettent avec fureur fur les dards qu'on leur préfente, les flots confondus avec les vents qui les pouffent, attaquent le Navire avec un fracas horrible, s'élevent au-deffus du pont, l'entr'ouvrent & y entrent de tous côtés. Cependant le nuage creve & il en tombe des. torrens d'eau avec tant d'abondance, qu'on diroit que le Ciel vient fe confondre avec la Mer, ou que la Mer va prendre la place du Ciel. Les voiles déjà appefanties par l'eau de la Mer, redoublent leur poids par la pluie qui les mouille. Aucun aftre ne brille dans le Ciel, & la noirceur de l'orage jointe à celle de la nuit, augmente encore l'horreur des ténebres. Si l'on voit quelque clarté, elle ne vient que de la lueur des éclairs & de la foudre

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