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Que le Dieu qui m'a fait naître

Est le Dieu qui m'a sauvé 26.

22. Ces images de clartés, de feux, de flamme sont médiocrement heureuses; quoi? ces mêmes clartés serviraient à voir les vices, s fuir, et à les consumer?

23. Variante de l'édition de Soleure (1712):

Si de leur triste esclavage

Tu viens dégager mes sens;

Si tu détruis leur ouvrage...

24. Trace, grâce, forment une rime défectueuse, comme trône et couronne, comme âme et femme, accable et coupable, parole et ro. Ine brève, à la rigueur, ne doit rimer qu'avec une brève, et une longue qu'avec une longue. Ces deux vers sont d'ailleurs très-durs.

25. De ses eaux abreuvé. » Phrase tout à fait indépendante, sorte de nominatif absolu; c'est une construction fréquente dans notre poésie, et qu'il ne faut pas proscrire; ce n'est pas là ce qui choque, mais bien cette

trace.

26. Cette ode supporte mal un examen minutieux; elle a néanmoins quelques grandes et belles parties, dans sa première moitié. On la cite souvent; on la sait; preuve qu'elle a son mérite. Les mauvais vers ne se retiennent pas. Les mêmes idées sur les magnificences de la création ont inspiré souvent nos poëtes contemporains; on les trouve exprimées avec toute la richesse et toute l'abondance de la poésie moderne dans quelques-unes des Harmonies de Lamartine. (Voy. l'Hymne à la nuit, l'Hymne au matin, le morceau intitulé Poésie, ou Paysage dans le golfe de Genes.)

TEXTE DU PSAUME XVIII.

Cæli enarrant gloriam Dei, et opera manuum ejus annuntiat firma

mentum.

Dies diei eructat verbum, et nox nocti indicat scientiam.

Non sunt loquela, neque sermones,

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SUR L'AVEUGLEMENT DES HOMMES DU SIÈCLE. Qu'aux accents de ma voix la terre se réveille! Rois, soyez attentifs; peuples, ouvrez l'oreille! Que l'univers se taise, et m'écoute parler 2. Mes chants vont seconder les accords de ma lyre : L'Esprit saint me pénètre, il m'échauffe; il m'inspire3

ODE III-1. Composé par les fils de Coré, ce psaume est obscur dans le texte. L'idée même qui s'y trouve développée y est présentée comme une énigme. Ce que Rousseau en a tiré est clair et puissant; notre poésie française s'accommoderait mal de ces mouvements lyriques du texte hébreu, sans transitions, sans lien visible.

2. Synesius, l'un des grands lyriques du christianisme naissant, s'était irspiré déjà du prophète : « Cieux, soyez attentifs; terre, fais silence; que l'Océan s'apaise, et que le calme règne dans les airs. Taisez-vous, souffle imp« tueux des vents; arrêtez-vous, rapides tourbillons des flots; courants des a fleuves, sources des fontaines, qu'un silence profond règne dans l'univers, pendant que j'adresse en sacrifice mes hymnes sacrés. » SYNESIUS. Hymne á son áme. Il a plusieurs fois repris ce mouvement avec l'abondance habifnelle des Pères grecs. On le croirait du XIXe siècle.

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3. L'enthousiasme de ce début rappelle la prophétie du grand prêtre Joad dans Athalie, (II, 7):

Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l'oreille.

Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille!...

◄ Marmontel, qui a trop rabaissé le mérite de Rousseau, trouve dans cette

Les grandes vérités que je vais révéler “.

L'homme en sa propre force a mis sa confiance;
Ivre de ses grandeurs et de son opulence,
L'éclat de sa fortune enfle sa vanité 5.
Mais, ô moment terrible, ô jour épouvantable",
Où la mort saisira ce fortuné coupable",
Tout chargé des liens de son iniquité !

Que deviendront alors, répondez, grands du monde, Que deviendront ces biens où votre espoir se fonde, Et dont vous étalez l'orgueilleuse moisson"?

ode un amas de lieux communs qui ne répondent point à la majestueuse élévation du début. Quelles sont, dit-il avec une sorte de mépris, ces grandes vérités que révèle l'Esprit saint par la bouche du prophète? que vainement l'homme se fonde sur ses grandeurs et sur ses richesses, que nous sommes tous mortels, et que Dieu nous jugera tous. Mais, n'en déplaise à Marmontel, ces vérités sont partout l'essence de la morale religieuse; elles sont vulgaires sans doute, mais elles frappent toujours l'imagination, si elles sont exprimées avec éloquence. Otez au plus sublime des orateurs, à Bossuet lui-même, le contraste de la faiblesse humaine et de la grandeur divine, vous lui ferez perdre ce qu'il a de plus beau.» FONTANES. Cette strophe fait plus que rappeler, elle reproduit en partie les vers suivants, de la prophétie de Joad citée plus haut:

Est-ce l'esprit divin qui s'empare de moi?

C'est lui-même il m'échauffe, il parle, mes yeux s'ouvrent,

Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.

La coupe du second vers de Racine correspond heureusement aux mouvements qui doivent agiter l'âme du prophète; dans Rousseau, le sixième vers qui se trouve être le régime du mot il m'inspire, arrive sans qu'on l'attende et prolonge une idée qui semblait complète.

4. « Les grandes vérités que je vais...» etc. «Six hexamètres partagés en deux tercets, où deux rimes féminines sont suivies d'une masculine, ont une sorte de gravité uniforme, analogue aux idées morales: aussi ce rhythme forme plutôt des stances, qu'une ode véritable. Racan s'en est servi dans une de ses meilleures pièces, celle sur la Retraite... » LAHARPE.

5. «Ivre de ses grandeurs...., l'éclat...» Construction déjà signalée, et qui est louable, en dépit des grammairiens.

6. On ne peut le nier: il y a des mots, des sons analogues aux idées; il y a des rimes qui traduisent des sentiments. Quel effet ne produit pas, dans le songe d'Athalie (1, 5), la rime de lamentables et d'épouvantables? Rousseau s'en est ici souvenu; c'est un son lugubre qui remplit l'oreille.

7. Le fortuné coupable rappelle le juste infortuné de l'ode précédente. 8. « Son iniquité » est mal sonnant. Racine a dit, en poëte qui sait respecter l'oreille (Athalie, IV, 7):

N'entends-tu que la voix de nos iniquités?

9. « Ces idées, il est vrai, ont été souvent répétées dans toutes les langues,

Sujets, amis, parents, tout deviendra stérile;
Et, dans ce jour fatal, l'homme à l'homme inutile
Ne paiera point à Dieu le prix de sa rançon.

Vous avez vu tomber les plus illustres têtes;
Et vous pourriez encore, insensés que vous êtes,
Ignorer le tribut que l'on doit à la mort 1o!
Non, non, tout doit franchir ce terrible passage :
Le riche et l'indigent, l'imprudent et le sage ",
Sujets à même loi, subissent même sort 12.

D'avides étrangers, transportés d'allégresse,
Engloutissent déjà toute cette richesse,
Ces terres, ces palais, de vos noms ennoblis.
Et que vous reste-t-il en ces moments suprêmes 13 ?

mais elles sont relevées ici par l'expression. LA HARPE. - L'expression aurait pu être plus originale; on reconnaît trop ici Malherbe et son école.

10. Rien de plus commun aujourd'hui que la pensée de cette strophe; Horace chez les anciens, Malherbe, Racan, Voltaire et bien d'autres en France, ont parlé de la nécessité de mourir et de l'égalité devant la mort. Le génie consisterait à rajennir ces idées par des expressions et des images nouvelles. J.-B. ne l'a pas même essayé; il était peu propre à inventer des images. Sachons-lui gré du moins d'avoir trouvé pour quelques lieux communs une forme définitive; c'est encore un mérite. Il est bon que les idées communes aient eu un babile interprète.

11. « Le riche et l'indigent, l'imprudent et le sage... » — « Ces derniers vers sont trop prosaïques et trop secs. » LA HARPE. Disons qu'ils sont communs, et c'est assez. Fontanes admire ces deux vers de Voltaire :

Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort

Vont tous également des douleurs à la mort.

Avec un peu plus de mouvement, ils ne sont guère moins communs que ceux de Rousseau. N'y a-t-il pas une façon plus ingénieuse de présenter une opposition analogue dans ces vers du P. Lemoyne:

La mort, qui n'entend point à calculer les ans,

Coupe les cheveux blonds aussi bien que les blancs.

12. « Cette strophe est évidemment inférieure aux trois premières, qui sont pleines d'henreuses expressions, et qui se développent avec une imposante harmonie." FONTANES.

13. Ces trois derniers vers rappellent une admirable strophe d'un psaume de Malherbe que nous citons dans ce volume (Voy. l'Appendice):

Ont-ils rendu l'esprit... etc.

Après Malherbe, que Rousseau est faible, et que son élégante timidité pålit auprès des sauvages hardiesses du lyrique normand!

1

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Les hommes, éblouis de leurs honneurs fri voles,
Et de leurs vains flatteurs écoutant les paroles,
Ont de ces vérités perdu le souvenir :

15

Pareils aux animaux farouches et stupides
Les lois de leur instinct sont leurs uniques guides,
Et pour eux le présent paraît sans avenir .

Un précipice affreux devant eux se préser se;
Mais toujours leur raison, soumise et com plaisante,
Au-devant de leurs yeux met un voile in posteur.
Sous leurs pas cependant s'ouvrent les nors abîmes,
Où la cruelle mort, les prenant pour victimes,
Frappe ces vils troupeaux dont elle est le pasteur 17.

Là s'anéantiront ces titres magnifiques,

14. Un traducteur du xvIe siècle, Jean Chassignet, poëte inconnu, né vers 1518, mérite un éloge à cet endroit:

Mais quand pour les méchants le jour s'éclipsera,

De leur richesse altière

Ils ne remporteront que les ais d'une bière,

Et leur gloire au tombeau ne les assistera,

Racine aussi s'est approprié la pensée du psalmiste (Esther, 11, 9):

L'affreux tombeau pour jamais les dévore.

15. Vers mal sonnant; les liaisons y sont dures, mais, au moins, le mot stu pide n'a pas fait peur à Rousseau.

16. Corneille a développé avec une force très-grande des idées analogues:

Vanité d'entasser richesses sur richesses;

Vanité de languir dans la soif des honneurs,
Vanité de choisir pour souverains bonheurs

Des plaisirs criminels les damnables mollesses;

Vanité d'aspirer à voir durer nos jours,

Sans nous mettre en souci d'en mieux régler le cours,
D'aimer la longue vie, et négliger la bonne,
D'embrasser le présent sans soin de l'avenir,

Et de plus estimer un moment qu'il nous donne
Que l'attente des biens qui ne sauraient finir.

P. CORNEILLE, Imitation de J.-C. I, 1.

Toute la strophe de Rousseau est belle, et à la hauteur de l'idée.

17. Cette strophe est encore fort habilement faite. « Lebrun appelle ce vers (le dernier) sublime. Lebrun est juste; on ne peut rendre avec plus de force et de goût mors depascet eos. Ce vers est le plus original et peut-être le plus beau de l'ode entière. » FONTANES.

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