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trouve ces deux strophes trop poétiques; étrange aberration de deux siècles, d'avoir presque confondu la poésie avec la Fable, et d'avoir cru qu'on atteignait à l'une par le seul emploi de l'autre !

11. Tout cela veut dire que le soleil a perdu de sa force, et que le vent du nord va nous ramener les frimas. Clytie, fille de l'Océan et de Téthis, fut aimée du Soleil qui l'abandonna pour Leucothoé. Clytie, au désespoir, se laissa mourir de faim, et fut métamorphosée en fleur par Apollon: c'est l'héliotrope. Orithye, fille d'Erecthée et reine des Amazones, fut enlevée par Borée. La périphrase classique nous a laissé peu d'échantillons plus curieux que celui-là; il a fait l'admiration de plusieurs critiques: Racine le fils, dans son ode sur l'Harmonie, voulant caractériser le talent particulier de Rousseau, n'a pas cru pouvoir mieux flatter le poëte exilé, qu'en enchâssant dans une de ses strophes, à la façon de l'écolier qui fait des vers latins, toute la périphrase mythologique dont nous avons donné le commentaire :

Si le maître de notre lyre
Aujourd'hui chante loin de nous,
Dans l'air étranger qu'il respire

Ses accords n'en sont pas moins doux.
Non, la veine de notre Alcée

N'a point encore été glacée
Par la froideur de ces climats
Où si souvent de la Scythie
Le fougueux époux d'Orithye
Rassemble ses tristes frimas.

Ajoutons que l'abus des noms propres à la rime est une faute grave: Pléiades, Hyades, Dryades, Clytie, Scythie, Orythie.

12. Le Sagittaire » : novembre.

13. «La fièvre. » Nous avons un billet en vers de J.-B. à Duché sur cette même fièvre, à laquelle Duché finit par succomber

Est-ce la fièvre, est-ce Apollon

Qui t'inspire ces sons attiques?.....

Mais cependant, ami, quelle peur enfantine
Te fait désapprouver cette écorce divine
Dont l'atlantique bord fit présent aux humains?.
Résous-toi de chasser cette humeur léthargique
Qui peut-être pourrait par quelque fin tragique
Que sçais-je? dévorer et l'esprit et le corps.

Et tarir la source des larmes
D'une épouse qui te chérit!

Je sais que la fièvre et l'automne
Pourraient mettre Hercule aux abois;
Mais, si ma conjecture est bonne,
La fièvre dont ton cœur frissonne
Est la plus fâcheuse des trois 14.

14. On trouve dans l'édition de Soleure:

Est le plus dangereux des trois.

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qui n'était ni clair ni correct. Le vers tel que Rousseau l'a corrigé n'est pas moins obscur. Quel en est le sens? «Des trois quoi? Rousseau eût été embarrassé de le dire.» LEBRUN. J.-B. veut mettre en opposition la fièvre, l'automne et la poésie, trois fléaux dont le dernier est le plus à craindre. C'est une langue barbare. Le vers: Si ma conjecture est bonne est d'un prosaïsme digne de La Motte.

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ODE VI.1. Cette ode, la plus connue de toutes celles de Rousseau, à paru dans le Mercure et dans l'édition de Hollande sous ce titre : Ode sur les conquérants. Ce n'est, en effet, qu'une satire énergique de la Fortune et de ses caprices, et une déclamation pompeuse contre les héros qu'elle élève. On nous pardonnera d'insister sur cette ode un peu plus que sur les autres; elle a servi comme de champ de bataille entre les partisans et les détracteurs de Rousseau. Il y est poëte habile, savant et harmonienx arrangeur de mots; mais rhéteur par le style, et sophiste par la pensée : ce n'est pas le calme plaidoyer d'un philanthrope, ce n'est pas non plus l'exaltation d'une âme généreuse. Cette ode présente, pour les idées, le plan et les expressions, une analogie frappante avec quelques chapitres du livre vi du Traité des Études de Rollin.

2. Il ne faut pas croire que les critiques du siècle dernier aient aveuglément admiré cette ode; voici ce qu'en dit La Harpe : « La plus célèbre de ses pièces morales est l'Ode à la Fortune: il y a de helles strophes; mais la marche est trop didactique. Le fond de l'ouvrage n'est qu'un lieu commun, chargé de déclamations et même d'idées fausses. On la fait apprendre aux jeunes gens dans presque toutes les maisons d'éducation; elle est très-propre à leur former l'oreille à l'harmonie : il y en a beaucoup dans cette ode; mais on ne ferait pas mal de prémunir leur jugement contre ce qu'il y a de mal pensé, et même d'avertir leur goût sur ce que la versification a de défectueux. » Vauvenargues la juge ainsi : « L'Ode à la Fortune n'est qu'une pompeuse déclamation et un tissu de lieux communs énergiquement exprimés. »

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Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis 3?
Jusques à quand, trompeuse idole,
D'un culte honteux et frivole
Honorerons-nous tes autels 1?
Verra-t-on toujours tes caprices
Consacrés par les sacrifices

6

Et par l'hommage des mortels ?

Le peuple, dans ton moindre ouvrage
Adorant la prospérité,

Te nomme grandeur de courage,
Valeur, prudence, fermeté ;
Du titre de vertu suprême
Il dépouille la vertu même,
Pour le vice que tu chéris;
Et toujours ses fausses maximes
Érigent en héros sublimes
Tes plus coupables favoris ".

3. Beau et fier début, sortie éloquente, façon d'exorde ex abrupto, comme le quousque tandem de Cicéron. Mais Inouï peut-il avoir un superlatif? Y a-t-il des forfaits plus inouïs que d'autres, et des forfaits qui soient les plus inouïs de tous?

4. Honorerons-nous choque l'oreille; l'e muet placé entre deux r forme un son dur en s'annulant; c'est à la fois une faute contre l'harmonie et contre la prosodie: le vers paraît plus court d'une syllabe.

5. Consacrés, sacrifices. Ce rapprochement, fait peut-être avec intention, n'est pas heureux.

6. J.-B. a souvent employé ce rhythme, l'un des plus vifs qu'il y ait; dix vers de huit syllabes, avec deux suspensions, et le rapprochement des rímes dans les six derniers vers, impriment à cette sorte de strophe une marche des plus harmonieuses.

7. Adorant la prospérité, est une belle expression; mais suprême n'est-il pas là pour la rime? Dépouille-t-on la vertu du titre de vertu suprême ? » LA HARPE.

8. Toujours. Ici déjà commence l'exagération du poëte. Il n'est presque pas une idée, dans cette ode, qui ne puisse être contestée.

9. Lamotte a dit, dans une ode sur « La sagesse du roi: »

Les champs de Pharsale et d'Arbelle
Ont vu triompher deux vainqueurs,
L'un et l'autre digne modèle

Que se proposent les grands cœurs;
Mais le succès a fait leur gloire,

Et si le sceau de la victoire
N'eût consacré ces demi-dieux,
Alexandre, aux yeux du vulgaire,
N'aurait été qu'un téméraire,
Et César qu'un séditieux,

Rien de plus faux que cette théorie du succès.

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10. De quelque superbe titre qu'ils soient revêtus, prenons la raison pour arbitre, et cherchons, etc., ne sont-ce pas là toutes les formules de la discussion en prose? S'exprimerait-on autrement dans un traité de morale? Otez les rimes, qu'y a-t-il d'ailleurs qui ressemble à la poésie?» LA HARPE. Indépendaniment du tour trop didactique de cette strophe, signalons une incorrection grave: de quelque superbe titre dont; il faut rigoureusement: de quel que superbe titre que..... L'édition de Hollande avait corrigé cette faute que Bousseau a maintenue; de quelque... que lui aura semblé trop dur.

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11. Extravagance, faiblesse, injustice, arrogance, trahison, fureurs, cruantés. Cet assemblage de substantifs est-il d'une élégance bien lyrique?» LA HARPE.

12. « Souvent est rejeté d'un vers à l'autre contre les règles de la construction poétique. La HARPE.

D

13. La Harpe est sévère pour ces trois premières strophes : ce sont, dit-il, des pensées communes délayées en vers faibles. Nous serons plus indulgent que le célèbre critique: il nous semble qu'il y a, dans le paradoxe de ces trois strophes, malgré toutes les taches qu'on y trouve, une verve de colère et d'emportement qui se manifeste jusque dans l'accumulation des mots et l'exagération des idées. C'est une inspiration d'un ordre très-inférieur, d'accord, mais c'est cependant une sorte d'inspiration; elle vient de la tête et non du cœur, et chez les poëtes comme chez les orateurs, elle n'est pas incompatible avec les idées fausses.

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14. La sagesse ne fait point des héros, et qu'est-ce qu'un héros parfait?» LA HARPE.- La sévérité continue, souvent justifiée, du reste. Peut faire les héros parfaits est un vers peu digne de l'ode.» LEBRUN. « Le critique a raison. FONTANES.

15. Il est évident que Rousseau ne peut parler ici des Turenne, des Condé, ni des Eugène de Savoie. Ceux-là, ce n'est pas la faveur de la Fortune qui les

Et que, devant ses yeux stoïques,
Leurs vertus les plus héroïques
Ne sont que des crimes heureux 16

Quoi! Rome et l'Italie en cendres
Me feront honorer Sylla 17?
J'admirerai dans Alexandre
Ce que j'abhorre en Attila 18?
J'appellerai vertu guerrière
Une vaillance meurtrière

Qui dans mon sang trempe ses mains?
Et je pourrai forcer ma bouche

A louer un héros farouche,

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a faits héros; ce ne sont pas d'injustes victoires qu'ils ont remportées. Mais alors on se demande quels sont les héros dont J.-B. vent parler ici; ces héros monstrueux sont une sorte d'abstraction, qui n'a jamais existé que dans le cerveau du poëte. La strophe est lourde et traînante; les relatifs qui et que s'y retrouvent huit fois.

16. La pensée de cette strophe et de toute l'ode était un lieu commun souvent traité par les sermonnaires du temps: Massillon y a touché plusieurs fois; Bossuet, qui aimait les grands hommes, et les comprenait, s'est abstenu de ce facile paradoxe. On lit dans une lettre de madame de Maintenon: «J'ai entendu une belle déclamation du P. Mascaron;... il a parlé un peu trop fortement sur les conquérants, et nous a dit qu'un héros était un volenr qui faisait à la tête d'une armée ce que les larron's font tout seuls. Notre maitre n'en a pas été content... »

17. a Non vraiment, l'Italie en cendres ne peut faire honorer Sylla: mais ce qui doit, je crois, le faire respecter avec justice, c'est ce génie supérieur et puissant qui vainquit le génie de Rome; qui lui fit défier dans sa vieillesse les resssentiments de ce même peuple qu'il avait soumis, et qui sut toujours subjuguer, par les bienfaits ou par la force, le courage ailleurs indomptable de

ses ennemis.» VAUVENARGUES.

18. La Harpe a trouvé un assez beau mouvement oratoire et une fermeté de style qu'il n'a pas toujours, pour justifier Alexandre contre cet injurieux parallèle. On peut lire ce morceau, dans ses réflexions sur l'ode (Cours de littérature, siècle de Louis XIV, liv, I, c. 9). Mais il faut lire surtout ce que Bossuet et Montesquieu ont écrit sur le héros macédonien. Boileau, plus irrévérencieux encore que Rousseau, met Alexandre aux Petites-Maisons (SAT. VIII, 110). Lucain ne l'a guère mieux traité dans ces fameux vers de la Pharsale, où César visite le tombeau du fils de Philippe (x, 20):

Illic Pellai proles vesana Philippi,

Felix prædo jacet.

« C'est là que dort le fils insensé de Philippe,

« Brigand heureux! >

19. « Né pour le malheur... » - "..... Que de peuples sacrifiés à l'idule de leur orgueil! que de sang répandu, qui crie vengeance contre leur tête!

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