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Mais la sagesse est toujours ferme,
Et les destins toujours légers 45.

En vain une fière déesse
D'Énée a résolu la mort :
Ton secours, puissante Sagesse 46,
Triomphe des dieux et du sort.
Par toi, Rome, après son naufrage,
Jusque dans les murs de Carthage
Vengea le sang de ses guerriers ;
Et, suivant tes divines traces,
Vit au plus fort de ses disgrâces
Changer ses cyprès en lauriers 47.

45. Ce n'est pas ainsi qu'Homère et la plupart des anciens nous parlent du Destin; ils le représentent comme immuable, irrévocable; mais, heureusement pour Rousseau, Horace a dit: Volucris Fati tardavit alas. - On doit prendre ici les destins dans le sens des destinées de l'homme, c'est-à-dire de l'élément changeant et capricieux de la vie.

46. « Ce mot, eût été plus heureux, sans contredit, s'il eût été question d'Ulysse; mais Énée avait contre lui Minerve, la déesse de la sagesse, ce qui jette un peu de louche. » LEBRUN.

de

47. Cette dernière strophe est très-obscure; l'exemple d'Enée, personnage à peu près fabuleux, est du plus mauvais choix. Rome, qui venge le sang ses guerriers par le sac de Carthage, forme une contradiction à la pensée anti-guerrière de l'ode. On ne voit pas enfin ce que vient faire ici cette vague apologie de la sagesse romaine.

La Fortune a souvent inspiré les poêtes lyriques. La 12e Olympique de Pindare, pour Ergotèle, est une ode à la Fortuné: elle y est adorée comme une divinité bienfaisante, et la souveraine arbitre des destinées; elle est la protectrice des villes, elle guide les vaisseaux, elle gouverne les sages assemblées. Horace a imité Pindare dans son ode piense : O diva gratum... (1, 35.) Les auciens ne maltraitaient pas la Fortune. Un grand nombre de poëtes modernes ont laissé des vers sur le même sujet; ils ne ménagent plus la déesse. On lit encore avec plaisir trois ballades de Charles d'Orléans sur la Fortune (exm, CXIV, Cxy), et un discours en vers de Ronsard contre la Fortune,

A qui le vice agrée et la vertu desplaist.

Voltaire, à l'instant même où il fait la critique de l'ode de J.-B., n'est pas favorable aux héros (ODE à la Vérité):

Qu'un autre en sa fougue bautaine,
Insultant aux travaux de Mars,
Soit le flatteur du prince Eugène,
Et le Zoïle des Césars;

Qu'en adoptant l'erreur commune,
Il n'impute qu'à la Fortune

Les succès des plus grands guerriers,

Et que du vainqueur du Granique

Son éloquence satirique
Pense avoir flétri les lauriers.

Illustres fléaux de la terre,
Qui dans votre cours orageux
Avez renversé par la guerre
D'autres brigands moins courageux,
Je vous hais, mais je vous admire...

Le poëte a exprimé les mêmes pensées en prose dans la préface de son Histoire de Charles XII, roi de Suède.

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ODE VII. 1. Cette ode a paru dans le Mercure, février 1711, sous le titre d'Epitre à M. l'abbé de C***. L'édition de Hollande la reproduit d'une façon fort incomplète, en la partageant en strophes de huit vers. Voici l'histoire de cette ode: La Fare, Courtin et Rousseau se trouvaient, le 19 juillet 1707, chez M. Sonning, à Neuilly-sur-Seine; de là ils adressèrent à Chanlieu, qui était alors à Fontenay (dans le Vexin normand), sa maison de campagne, une triple épître, dont l'ode de Rousseau forme la troisième partie.

2. CHAULIEU (Guillaume Anfrie de), né en 1639, au château de Fontenay, mort en 1720. Il fut abbé, et obtint, par la protection du duc de Vendôme et du Grand-prieur, son frère, de riches bénéfices. Il était l'un des habitués du Temple, et grand ami de La Fare, dont on ne le sépare presque jamais. On a dit spirituellement de Chaulieu, qu'il était le premier des poëtes négligés; c'est le flatter encore. On l'appelait l'Anacréon du Temple.

3. « Dégoûts.» Mot mal choisi; il fallait les ennuis.

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5. Solitaire. » C'est le vacuum Tibur d'Horace (Ép. 1, 7).

Sed vacuum Tibur placet, aut imbelle Tarentum.

J'aime la solitude de Tibur et la paix de Tarente. »

6. Le chien de Procris qui dessèche les dons de Flore: ce langage bizarre a passé longtemps pour de la poésie très-ingénieuse, et les poëtes se torturaient à trouver des périphrases de ce genre. Le chien de Procris, pour la Canicule. Voyez dans Ovide (Mét. vII, 694), l'histoire de Céphale et de son épouse Procris. Si l'on ne connaissait les habitudes de style de J.-B., on serait tenté de voir dans l'emploi qu'il fait ici de la mythologie, une intention plaisante et

railleuse.

7. a Risquer », au lieu de braver, courir le risque; expression peu française. Apres chaleurs : les froids sont apres, non les chaleurs.

8. Goûter l'ombre, est neuf. » LEBRUN. — Non pas; La Fontaine avait dit avant Rousseau :

Goûter l'ombre et le frais,

pour rendre le frigus captabis opacum de Virgile. Chaulieu, grâce à la générosité du Grand-prieur, était logé au Temple, où il y avait un vaste et fort beau jardin, aujourd'hui converti en marché public.

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9. Est-ce une flatterie au Grand-prieur?

10. « Cette ode n'est en quelque sorte qu'un billet d'invitation; mais c'est le billet d'un poëte. On y sent le bon goût d'un disciple d'Horace et l'urbanité d'un convive du Temple.» FONTANES.

ODE VIII.

A M. LE MARQUIS DE LA FARE 1.

Dans la route que je me trace 2,
La Fare, daigne m'éclairer ;
Toi qui dans les sentiers d'Horace
Marches sans jamais t'égarer;
Qui, par les leçons d'Aristippe,
De la sagesse de Chrysippe
As su corriger l'âpreté,

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ODE. VIII. LA FARE (Charles-Auguste), né en 1644, mort en 1712, fut d'abord sous-lieutenant des gendarmes du Dauphin, puis capitaine des gardes du corps du duc d'Orléans. Il servit contre les Turcs dans l'armée autrichienne, dès 1664; se fit remarquer en Hollande en 1672. C'était un des familiers du Temple. On a publié ses œuvres poétiques avec celles de Chaulieu, et leurs deux noms sont désormais inséparables. Mais La Fare n'était qu'un poëte médiocre.

2. Cette première strophe est, en partie, sèche et dure; les noms propres y abondent; ceux de Chrysippe et d'Aristippe forment une rimè sans agré

ment.

3. Aristippe, philosophe grec de la secte cyrénaïque, considérait la recherche du plaisir comme le but unique de la vie. Chrysippe, philosophe stoïcien, célèbre par sa lutte contre Carnéade, et par les emprunts que Cicéron lui a faits dans son Traité des devoirs.

Et, telle qu'aux beaux jours d'Astrée,
Nous montrer la vertu parée
Des attraits de la volupté.

Ce feu sacré que Prométhée 4
Osa dérober dans les cieux,
La raison, à l'homme apportée,
Le rend presque semblable aux dieux
Se pourrait-il, sage La Fare,
Qu'un présent si noble et si rare
De nos maux devînt l'instrument,
Et qu'une lumière divine
Pût jamais être l'origine
D'un déplorable aveuglement ?

Lorsqu'à l'époux de Pénélope
Minerve accorde son secours,
Les Lestrigons et le Cyclope 5
Ont beau s'armer contre ses jours :
Aidé de cette intelligence,

Il triomphe de la vengeance
De Neptune en vain courroucé ;
Par elle il brave les caresses
Des Sirènes enchanteresses,
Et les breuvages de Circé.

De la vertu qui nous conserve
C'est le symbolique tableau :
Chaque mortel a sa Minerve,
Qui doit lui servir de flambeau.
Mais cette déité propice

4. C'est attribuer une haute mission à Prométhée. La symbolique moderne, celle des Allemands surtout, a fait de Prométhée un des mythes les plus importants des premiers àges du monde. Du reste, dans les récits mythologiques, ce n'est pas la raison, c'est le principe même de la vie que Prométhée déroba aux cieux. (Voyez Hésiode, les Travaux et les Jours, v. 47.)

5. Les Lestrigons et le Cyclope. » Voyez l'Odyssée, liv. Ix et x.

D

6. Ces vers, très-prosaïques, montrent toute la gène d'un poëte qui n'est pas inspiré.

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