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Ne servent qu'à nous éblouir.
Soyons ce que nous devons être,
Et ne perdons point à connaître
Des jours destinés à jouir 24.

24. On peut compter cette ode parmi les meilleures de ce genre (l'ode morale.) C'est un lieu commun, il est vrai; mais le style est en général d'une précision énergique, malgré quelques faiblesses; et si les idées ne sont pas toujours exactement vraies pour la raison, qui considère les objets sous tontes les faces, elles le sont assez pour la poésie, qui pent, comme l'éloquence, ne les présenter que sous un seul aspect. » LA HARPE. « Cette ode est trèsfortement écrite. Elle ne renferme à la vérité qu'un paradoxe. On peut le pardonner aux jeux d'un poëte. » FONTANES. - «Cette ode est belle, mais d'un raisonnement trop suivi, ce qui est contraire au lyrique; Horace ne moralisait pas ainsi, ni si longtemps. » LEBRUN. — - Les trois critiques jugent avec bien de l'indulgence cette ode laborieuse et prosaïque; les idées fausses s'y trouvent en grand nombre, et la conclusion, qui est du plus grossier matérialisme, ne peut même pas se défendre par la délicatesse de la forme.

ODE IX '.

SUR LA MORT DE S. A. S. MONSEIGNEUR LE PRINCE
DE CONTI 2.

Peuples, dont la douleur, aux larmes obstinée 3,
De ce prince chéri déplore le trépas,
Approchez, et voyez quelle est la destinée
Des grandeurs d'ici-bas *.

ODE IX. Cette ode formait d'abord deux odes distinctes, publiées séparément dans l'édition de Hollande, l'une d'elles portait ce titre : Ode aux rois sur leurs flatteurs; l'autre, le titre de l'ode actuelle. J.-B. les réunit dès la première édition de ses œuvres (1712), en y ajoutant huit strophes, ce quí en portait le nombre total à trente-huit; c'est beaucoup. Une ode de trente-huit strophes, fût-elle excellente, fatiguera nécessairement l'attention.

2. Ce prince, dont Massillon a prononcé l'oraison funèbre, était neveu du grand Condé et fils d'Armand de Bourbon, prince de Conti. Il aima la gloire, et, ne la pouvant trouver en France, l'alla chercher en Autriche, au service de l'Empereur, alors occupé contre les Turcs. A son retour, il se distingua à Steinkerque et à Nerwinde. Né en 1664, il mourut le 22 février 1709, regretté de tons. Il allait obtenir le commandement de l'armée de Flandre. Il avait été élu roi de Pologne en 1697, mais l'électeur de Saxe parvint à l'écarter du tròne pour y monter lui-même.

3. C'est le ton d'un exorde d'oraison funèbre; on songe à Bossuet.

4. « Des grandeurs d'ici-bas. » «Rousseau varie son rhythme avec ses sujets. Ces vers de trois pieds, tombant après trois alexandrins, ont quelque chose de triste et de languissant qui convient aux plaintes funèbres.» FONTANES. Ce rhythme a été employé deux fois par Malherbe (Ode sur la rébellion des Rochellois; Stances sur la mort de Henri IV).

Conti n'est plus. O ciel ! ses vertus, son courage,
La sublime valeur, le zèle pour son roi 5,
N'ont pu le garantir, au milieu de son âge,
De la commune loi.

Il n'est plus; et les Dieux, en des temps si funestes,
N'ont fait que le montrer aux regards des mortels 7.
Soumettons-nous. Allons porter ses tristes restes
Au pied de leurs autels 8.

Élevons à sa cendre un monument célèbre ;
Que le jour, de la nuit emprunte les couleurs,
Soupirons, gémissons sur ce tombeau funèbre,
Arrosé de nos pleurs ".

10

Mais, que dis-je? Ah! plutôt à sa vertu suprême Consacrons un hommage et plus noble et plus doux. Ce héros n'est point mort; le plus beau de lui-même Vit encor parmi nous ".

a

3. Courage et valeur se touchent de si près, qu'on est tenté de croire que Rousseau était embarrassé de remplir son vers; ce qui n'arrive jamais quand le poëte est bien inspiré. » LEBRUN

D

6. « Le garantir, au milieu de son age, n'est pas digne de la poésie, et surtout de la poésie lyrique.» LEBRUN.

a

7. N'ont fait que le montrer... » Virgile (Enéid. VI, 869):

Ostendent terris hunc tantum fata...

8. Soumettons-nous...» « Le vers s'arrête au quatrième pied, comme une voix qu'étouffent les regrets et les soupirs; il se prolonge ensuite, et rompant jusqu'à l'hémistiche pour faire moins sentir l'artifice et le travail, il va retomber sur le petit vers où finit la strophe avec un abandon qui semble imiter celui de la douleur. » FONTANES. - Gilbert, dans l'Ode sur la mort du roi, met en scène le cortége funèbre :

Quel vaste trouble! où vont ces enfants de la guerre,
Au bruit du bronze en feu grondant sur les remparts;
Tristes, portant leur fer tourné contre la terre,

Et renversant leurs étendards?

9. a Versons des larmes avec des prières, » a dit Bossuet.

D

10. Mais que dis-je est un mouvement aujourd'hui suranné, une transition proscrite même en rhétorique.

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« Admirable simplicité d'expression; on dirait que Rousseau venait de lire Corneille.» LEBRUN.

Ce qu'il eut de mortel s'éclipse à notre vue ;
Mais de ses actions le visible flambeau,
Son nom, sa renommée en cent lieux répandue,
Triomphent du tombeau.

En dépit de la mort, l'image de son âme,
Ses talents, ses vertus, vivantes dans nos cœurs,
Y peignent ce héros avec des traits de flamme
De la Parque vainqueurs.

Steinkerque, où sa valeur rappela la victoire,
Nerwinde, où ses efforts guidèrent nos exploits 12,
Éternisent sa vie, aussi bien que la gloire
De l'empire français 13.

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Ne murmurons donc plus contre les destinées
Qui livrent sa jeunesse au ciseau d'Atropos;
Et ne mesurons point au nombre des années
La course des héros 14.

Pour qui compte les jours d'une vie inutile,
L'âge du vieux Priam passe celui d'Hector :
Pour qui compte les faits, les ans du jeune Achille
L'égalent à Nestor.

Voici, voici le temps où, libres de contrainte,
Nos voix peuvent pour lui signaler leurs accents;
Je puis à mon héros, sans bassesse et sans crainte,
Prodiguer mon encens.

Muses, préparez-lui votre plus riche offrande;

12. Des efforts qui quident des exploits. »

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-« Ce tour de phrase n'est ni bien français, ni bien lyrique. Comme le poëte ne décrit rien,

moins marquer sa trace par un trait hardi.» LEBRUN.

il fallait au

13. Exploits et français ne riment plus aujourd'hui, et ne rimaient alors que pour les yeux. Rousseau a eu tort de l'employer encore.

14. Corneille avait dit dans le Cid (acte 1, 2):

La valeur n'attend pas le nombre des années.

Placez son nom fameux entre les plus grands noms.
Rien ne peut plus faner l'immortelle guirlande
Dont nous le couronnons 45

Oui, cher Prince, ta mort, de tant de pleurs suivie,
Met le comble aux grandeurs dont tu fus revêtu;
Et sauve des écueils d'une plus longue vie
Ta gloire et ta vertu.

Au faite des honneurs, un vainqueur indomptable 16
Voit souvent ses lauriers se flétrir dans ses mains.
La mort, la seule mort met le sceau véritable
Aux grandeurs des humains.

Combien avons-nous vu d'éloges unanimes,
Condamnés, démentis par un honteux retour!
Et combien de héros glorieux, magnanimes,
Ont trop vécu d'un jour !

Du Midi jusqu'à l'Ourse on vantait ce monarque
Qui remplit tout le Nord de tumulte et de sang:
Il fuit; sa gloire tombe, et le Destin lui marque
Son véritable rang 18

17

Ce n'est plus ce héros guidé par la victoire,
Par qui tous les guerriers allaient être effacés :
C'est un nouveau Pyrrhus, qui va grossir l'histoire
Des fameux insensés.

15. Strophe bien faite; mais le prince de Conti est peu connu, et l'immortelle guirlande a bien perdu de sa fraicheur.

16. Un vainqueur indomptable. Il fallait indomptable jusqu'alors, autrement, indomptable fait contre-sens avec le vers qui suit; c'est une trop forte ellipse.

17. Ce monarque.» Charles XII, le Pyrrhus moderne, dont Voltaire a écrit, avec une élégante sobriété, la singulière bistoire.

18. Je me souviendrai tonjours qu'un grand ministre, connu de l'Europe entière, m'aborda dans une promenade publique à la première nouvelle de l'incendie de Moscou, en me disant à basse voix: Vous souvenez-vous de l'ode au prince de Conti? Et soudain il me récita ces vers admirables sur Charles XII. L'à propos était frappant. » FONTANES.

Ainsi, de ses bienfaits la fortune se venge.

Mortels, défions-nous d'un sort toujours heureux;
Et, de nos ennemis, songeons que la louange
Est le plus dangereux 19.

Jadis tous les humains, errant à l'aventure,
A leur sauvage instinct vivaient abandonnés,
Satisfaits d'assouvir de l'aveugle nature
Les besoins effrénés:

La raison fléchissant leurs humeurs indociles
De la société vint former les liens,

Et bientôt rassembla sous de communs asiles
Les premiers citoyens.

Pour assurer entre eux la paix et l'innocence,
Les lois firent alors éclater leur pouvoir;
Sur des tables d'airain l'audace et la licence
Apprirent leur devoir 20.

Mais il fallait encor, pour étonner le crime,
Toujours contre les lois prompt à se révolter,
Que des chefs, revêtus d'un pouvoir légitime,
Les fissent respecter.

Ainsi, pour le maintien de ces lois salutaires,
Du peuple entre vos mains le pouvoir fut remis,
Rois; vous fûtes élus sacrés dépositaires

Du glaive de Thémis.

D

19. Est le plus dangereux. » Ici se terminait primitivement l'ode sur la mort du prince de Conti: Rousseau eût mieux fait de s'en tenir là; ce qui suit fatigue l'attention et prolonge singulièrement la pièce, sans profit pour le prince.

20. On connaît la belle expression d'Ovide (Mét. 1, 91):

Verba minantia fixo

Ære legebantur.

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Sur des tables d'airain se lisaient des paroles menaçantes. » crèce que Rousseau a emprunté le fond de tout ce développement.

C'est à Lu

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