qui terminent la strophe. » LA HARPE. C'est, en vérité, s'extasier pour peu de chose; les vers sont assez communs, et rien n'est moins doux à l'oreille que cessé et Circé. 35. Cette ode finit par une strophe superbe, où se développe tout le talent de Rousseau.» LEBRUN.· L'éloge est juste. Ces vers, empreints d'une verve et d'une couleur si poétique, effacent toutes les fautes, ou du moins les font oublier. Jamais Rousseau n'eut d'inspiration plus heureuse. » FONTANES.— Il y a pourtant quelque enflure dans cette strophe ministres des orages, fiers tyrans du Nord; et les brúlantes froidures sont d'assez mauvais goût; mais le dernier trait est vraiment beau, et d'une beauté durable. Quant à l'ode entière, elle offre une étude intéressante des qualités et des défauts de J.-B. On sent que chaque strophe a longtemps été sur le métier, et que c'est une œuvre de patience, où l'inspiration n'arrive par instants que comme un heurenx fruit du travail. ODE VII A. S. A. M. LE COMTE DE ZINZINDORF, CHANCELIER DE LA COUR IMPÉRIALE 2. 3 L'hiver, qui si longtemps a fait blanchir nos plaines 3, ODE VII. - 1. Cette ode a été composée en 1716, durant le voyage que J.-B. fit avec le comte dans ses terres de Moravie, ou dans l'année qui suivit ce voyage. Il écrit à Brossette: « J'y ai passé (en Moravie) une quinzaine de jours dans les amusements de la campagne...» 2. Le comte de Zinzindorf, fameux ministre et diplomate autrichien; ambasssadeur en France, à la suite de la paix de Ryswyk, puis commissaire impérial dans les Pays-Bas. Il obtint toute la confiance des empereurs Joseph Ier et Charles VI, dirigea tous les événements importants de cette époque (guerres avec les Turcs et la France, quadruple alliance, pragmatique, etc.); son influence fut plus décisive, dans les affaires, que celle même du prince Eugène. Né en 1671, il mourut en 1742. 3. Une partie de cette ode est empruntée aux Latins: Voyez l'ode d'Horace à Sextius. (Ode Iv, liv. 1.) Solvitur acris hiems.... N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux; Les troupeaux ont quitté leurs cabanes rustiques, Ac neque jam stabulis gaudet pecus..... Junctæque Nymphis Gratia decentes..... etc. Le rude hiver s'adoucit... le troupeau ne se plaît déjà plus à l'étable... et les Nymphes et les Grâces charmantes... etc. »> Il s'est également souvenu de l'ode à Torquatus (liv. iv, Ode vii): « Les neiges ont disparu : l'herbe reparaît dans la campagne, et le front des arbres reprend sa chevelure verdoyante! » Voyez aussi l'ode XII du liv. IV ( Jam veris comites...), à Virgile, et, dans les Georgiques, le retour du Printemps (1, 323). Racan a fait une ode agréable sur le même sujet; elle est adressée à M. de Termes. a 4. « Frigora mitescunt zephyris. » HORACE. « Le Zéphyr adoucit la froidure. 5. Vers trop ridiculisé par Voltaire pour chercher à le rendre plus ridicule.» LEBRUN. Voici le passage du Temple du Gout, où se trouve cette critique: ... Qu'est-ce que j'entends là ? dit la Critique.. C'est moi, reprit le rimeur. J'arrive d'Allemagne pour vous voir, et j'ai pris la saison du printemps: Car les jeunes zéphyrs, de leurs chaudes haleines Ont fondu l'écorce des eaux. Plus il parlait ce langage, moins la porte s'ouvrait. » - « Ce vers est depuis longtemps condamné. Je crois que Clément a voulu le justifier contre Voltaire. Il ne faut pas imiter Clément. » FONTANES. -Personne n'a remarqué encore que cette détestable expression est de Dubellay (Ode sur le Retour du Printemps); si Rousseau la lui a prise, l'emprunt lui fait peu d'honneur ; si la rencontre est fortuite, elle est bizarre. De l'hyver la triste froidure Va sa rigueur adoucissant, Et des eaux l'escorce tant dure 6. Racan commence ainsi son ode sur la venue du printemps, adressée à M. de Termes: Enfin, Termes, les ombrages Enfin la neige et la glace Font à la verdure place; Enfin le beau temps reluit, Et Philomèle assurée De la fureur de Térée Déjà les fleurs qui bourgeonnent Tous les échos ne résonnent Il y a là de la grâce et du naturel. On sent moins le travail que chez Rous sean. 8 Déjà la terre s'ouvre, et nous voyons éclore Contempler ses nouveaux présents 9. De leurs douces chansons, instruits par la nature, Des objets si charmants, un séjour si tranquille, Contre le tumulte des cours. -Prémices est 7. « Déjà la terre s'ouvre... Cf. la xxxvпe ode d'Anacréon, sur le printemps: La terre voit les semences se lever de son sein... » — féminin. Racine a dit ( Britannicus); Toujours la tyrannie a d'heureuses prémices. 8. Dans la traduction des Tusculanes de l'abbé D'Olivet, il y a quelques vers de Rousseau, entre autres une peinture du printemps qu'il a envoyée à son ami comme un morceau assez lyrique; on voit alors, dit-il : Une clarté plus pure Les fontaines bondir, Les présents de Cérès emplir nos magasins, (Voyez Lettres à D'Olivet, 1729.) C'est de la pauvre poésie. 9. Ces personnifications mythologiques sont devenues insipides de nos jours; elles l'eussent été dès le xvine siècle, si l'usage n'était pas souvent l'arbitre du goût. Voltaire a pressenti le ridicule qui atteindrait ces façons de parler, toutes de convention : « Quand une nation se dégrossit, elle est d'abord émerveillée de voir l'Aurore ouvrir de ses doigts de rose les portes de l'Orient, et semer de topazes et de rubis le chemin de la lumière, Zéphire caresser Flore, et l'Amour se jouer des armes de Mars. Toutes les images de ce genre, qui plaisent par la nouveauté, dégoûtent par l'habitude; les premiers qui les einployèrent passaient pour des inventeurs, les derniers ne sont que des perroquets. » VOLTAIRE. 10. Élégance un peu commune. Il y a des détails beaucoup plus gracieux et plus neufs que ceux-là dans une petite ode de Saint-Amand, intitulée: le Soleit levant; nous y avons remarqué cette strophe, qui rappelle les plus agréables de Ronsard : L'abeille, pour boire des pleurs Sort de sa ruche aymée, Et va succer l'âme des fleurs Dont la plaine est semée; Mais vous, à qui Minerve et les filles d'Astrée Ministre de la paix, qui gouvernez les rênes Bientôt l'État, privé d'une de ses colonnes, Vous irez donc revoir, mais pour peu de journées, Que la nature et l'art, de leurs mains fortunées, Dans ces immenses lieux dont le sort vous fit maître, Sans sortir de leurs riches bords 14. Tantôt vous tracerez la course de votre onde; 11. Les filles d'Astrée, déesses fort peu connues.- Qu'est-ce que des terrestres humains? Connaît-on des humains célestes? 12. Vers très-embarrassé : l'expression de colonne du vers précédent est d'un goût assez vulgaire. 13. Mouvement heureux. » LEBRUN. moignon avait dit : Boileau, dans son Épître à La Tu ne t'en peux bannir (de Paris) que l'orphelin ne crie, Que l'oppresseur ne montre un front audacieux. On voit, par cette citation, la différence de l'ode à l'épître; dans Rousseau nous entendons l'orphelin lui-même qui crie: Hélas! tù m'abandonnes! Boileau se contente d'affirmer le fait. 14. On a dit la même chose des vastes États de Philippe II, roi d'Espagne; mais ici l'hyperbole n'est-elle pas un peu forte ? Vous ferez remonter leur sève vagabonde Dans de plus utiles rameaux 15. Souvent, d'un plomb subtil que le salpêtre embrase 16, Ou, nouveau Jupiter, faire aux oiseaux du Phase O doux amusements! ô charme inconcevable 199 Délices des aïeux d'une épouse adorée, Brille au-dessus de leurs grandeurs 20; 15. Ceux qui aiment la périphrase savante peuvent admirer ces quatre vers très-élégants, et très-laborieux. La course de votre onde: ellipse un peu forte. Le fer courbé est sans doute la serpe; —qu'est-ce que des rameaux utiles? Encore une trop forte ellipse. 16. Subtil. Cette expression me semble un peu précieuse. C'est peu de peindre par la pensée; le poëte doit suivre l'analogie qui se trouve dans la nature des mots. Le plomb, lourd par lui-même, n'appelle pas, il me semble, l'épithète de subtil. Boileau a dit mieux : Et d'un plomb qui suit l'œil et part avec l'éclair, Je vais faire la guerre aux habitants de l'air. >> LEBRUN. 17. Voilà tout ce que la chasse au sanglier inspire à un poëte? Je ne demande pas un développement hors de propos; mais insulter le sanglier gloulon ne peint rien, ou n'offre qu'une peinture burlesque. 18. Ou, nouveau Jupiter...» Un commentateur (Dussault) a dit : «Que de richesse, que de poésie dans ces deux vers, et que tout cela est convenablement placé pour ranimer, par la nouveauté de l'expression et le brillant des images, des choses aussi souvent décrites que la chasse aux oiseaux!»-Lebrun, de son côté, trouve ces deux vers très-poétiques. Peut-être n'est-il pas inutile d'indiquer que la périphrase de Rousseau signifie la chasse aux faisans; ce sont les oiseaux du Phase. Il nous est impossible d'admirer ces façons de dire ambitieuses et pédantesques, qui préludent déjà aux procédés poétiques de Delille. 19. Rousseau est pauvrement inspiré par les beautés de la nature : le reproche est grave. Il n'est pas de grand poëte élégiaque ou lyrique qui n'ait senti, qui n'ait chanté les charmes de la campagne. C'est une des gloires de Virgile et d'Horace; c'est par là que La Fontaine nous ravit dans ses meilleures fables; et si notre poésie contemporaine a des parties supérieures, le sentiment vif et profond de la nature n'en est pas une des moindres causes. Inconcevable et inviolable sont deux lourdes et malheureuses épithètes et un chaos n'éblouit pas. 20. Il fallait parler de madame de Zinzindorf; la loi des convenances nous |