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PSAUME CXXIX.

De profundis clamavi.

Des abymes profonds où mon péché me plonge,
Jusqu'à toi j'ai poussé mes cris:

Tu vois mon repentir et l'ennui qui me ronge,
Seigneur; ne reçois pas mes vœux avec mépris.

Prète à mes longs soupirs cette oreille attentive
Qui n'entend point sans secourir;

Jette sur les élans d'une douleur si vive

Cet œil qui ne peut voir de maux sans les guérir !

Pour grands que soient les miens, je le dis à ma honte,

Seigneur, je les ai mérités;

Mais qui subsistera, si tu demandes compte
De tout l'emportement de nos iniquités ?

Auprès de ta justice il est une clémence
Que souvent tu choisis pour loi;
Elle est inépuisable, et c'est son indulgence
Qui m'a fait jusqu'ici subsister devant toi.

Je me suis soutenu, Seigneur, sur ta parole,
Dans ce que je n'ai su parer:

Un Dieu n'afflige point qu'ensuite il ne console;
C'est ce que tes bontés m'ordonnent d'espérer.

Espère ainsi que moi, peuple de la Judée;
Fils de Jacob, espérez tous,

Et du matin au soir gardez la sainte idée
D'espérer en sa grâce en craignant son courroux.

A sa miséricorde il n'est point de limites,
Il en a des trésors cachés;

Et prépare lui-même un excès de mérites
A racheter bientôt l'excès de nos péchés.

1. Outre sa paraphrase de l'Imitation de Jésus-Christ, Corneille a laissé la traduction de cinquante psaumes, celle de toutes les hymnes du Bréviaire Romain (1670), des hymnes de Santeul, et des poésies chrétiennes de saint Bonaventure, plus une ode au père Delidel, sur son Traité de la théologie des saints. Ces diverses poésies, très-postérieures à l'Imitation, u'ont plus le même caractère; elles sont très-faibles, c'est le temps où Corneille compose Agesilas (1666), Attila (1667), Tile et Bérénice (1671). Nous citons le psaume cxxix, l'un des meilleurs, afin qu'on puisse le comparer au même psaume traduit par J.-B. Rousseau. (Voy. liv. I, ode xv.)

Attends donc, Israël, attends avec courage
L'effet de ce qu'il a promis;

Il paiera ta rançon, rompra ton esclavage,
Et brisera les fers où ton péché t'a mis.

RACINE

CANTIQUE.

PLAINTES D'UN CHRÉTIEN SUR LES CONTRARIÉTÉS QU'IL ÉPROUVE AU DEDANS DE LUI-MÊME.

nues,

(Tiré de l'épître de saint Paul aux Romains, chap. VII.)

1694.

Mon Dieu, quelle guerre cruelle!

Je trouve deux hommes en moi :
L'un veut que plein d'amour pour toi,
Mon cœur te soit toujours fidèle;
L'autre, à tes volontés rebelle,
Me révolte contre ta loi.

L'un, tout esprit et tout céleste,
Veut qu'au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste;
Et l'autre par son poids funeste,
Me tient vers la terre penché !

Hélas! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix ?
Je veux, et n'accomplis jamais.
Je veux; mais (ô misère extrême!)
Je ne fais pas le bien que j'aime,
Et je fais le mal que je hais ?!

1. Les admirables chœurs d'Esther et d'Athalie ne sont pas les seules poésies lyriques de Racine. Il a fait dans sa jeunesse quelques odes pen conil a chanté la solitude de Port-Royal, la Paix, tout ce qui s'accordait avec son tendre génie. En 1694, il a composé pour la communauté de Saint-Cyr quatre cantiques trop peu lus. Nous citons les deux plus beaux. 2. Saint Paul dit: Non enim quod volo bonum hoc facio; sed quod nolo malum, hoc ago. Ovide le païen en avait dit autant:

Deteriora sequor.

Video meliora, proboque.

Je vois, je veux le bien; c'est le mal que je fais.

(C DELAVIGNE.)

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O grâce, ô rayon salutaire !

Viens me mettre avec moi d'accord,
Et domptant par un doux effort

Cet homme qui t'est si contraire,
Fais ton esclave volontaire
De cet esclave de la mort.

CANTIQUE.

SUR LES VAINES OCCUPATIONS DES GENS DU SIÈCLE.

(Tiré de divers endroits d'Isaïe et de Jérémie.)

1694.

Quel charme vainqueur du monde
Vers Dieu m'élève aujourd'hui ?
Malheureux l'homme qui fonde
Sur les hommes son appui 1!
Leur gloire fuit et s'efface
En moins de temps que la trace
Du vaisseau qui fend les mers,
Ou de la flèche rapide

Qui, loin de l'œil qui la guide,
Cherche l'oiseau dans les airs.

De la sagesse immortelle

La voix tonne et nous instruit 2:
« Enfants des hommes, dit-elle,
« De vos soins quel est le fruit?
«Par quelle erreur, âmes vaines,
« Du plus pur sang de vos veines
«Achetez-vous si souvent,
«Non un pain qui vous repaisse,
« Mais une ombre qui vous laisse
« Plus affamés que devant 3 ?

1. On lit dans Corneille (Imitation de Jésus-Christ, 1, c. 7): O ciel que l'homme est vain qui met son espérance Aux hommes comme lui,

Qui sur la créature ose prendre assurance,

Et se propose un ferme appui

sur une éternelle inconstance!

2. Voyez J.-B. Rousseau, Odes sacrées, livre I, ode п, p. 4.
3. On dirait aujourd'hui : plus affamés qu'avant.

« Le pain que je vous propose
« Sert aux anges d'aliment;
« Dieu lui-même le compose
« De la fleur de son froment.
« C'est ce pain si délectable
«Que ne sert point à sa table
« Le monde que vous suivez.
« Je l'offre à qui veut me suivre :
<< Approchez; voulez-vous vivre ?
« Prenez, mangez et vivez *. »

O sagesse, ta parole
Fit éclore l'univers,
Posa sur un double pôle
La terre au milieu des airs.
Tu dis et les cieux parurent,
Et tous les astres coururent
Dans leur ordre se placer.
Avant les siècles tu règnes;
Et qui suis-je, que tu daignes
Jusqu'à moi te rabaisser?

L'âme heureusement captive
Sous ton joug trouve la paix,
Et s'abreuve d'une eau vive
Qui ne s'épuise jamais.
Chacun peut boire en cette onde,
Elle invite tout le monde;
Mais nous courons follement
Chercher des sources bourbeuses,

Ou des citernes trompeuses

D'où l'eau fuit à tout moment *.

4. C'est là la vraie poésie lyrique. Qu'avons-nous qui soit supérieur à cette strophe Tout ce cantique est parfaitement beau.

5. Voilà les vers qu'on laisse, ou peu s'en faut, dans l'oubli, tandis qu'on apprend et qu'on répète à satiété les déclamations de l'ode à la Fortune, et les élégants artifices de l'ode au comte du Luc!

BOSSUET 1.

HYMNE 2.

Tibi silentium laus.

1697.

Eternel, je me tais; en ta sainte présence,
Je n'ose respirer; et mon âme en silence
Admire la hauteur de ton nom glorieux.
Que dirai-je? abymés de cette mer profonde,
Pendant qu'à l'infini ta clarté nous inonde,
Pouvons-nous seulement ouvrir nos faibles yeux?

Si je veux commencer à chanter tes louanges,
Et que déjà meslé parmi les chœurs des anges
Je médite en moy-même un cantique charmant,
Dès que pour l'entonner ma langue se dénoue,
Je cesse au premier son, et mon cœur désavoüe
De ma tremblante voix l'indigne bégayement.

Plus je pousse vers toi ma sublime pensée,
Plus de ta majesté je la sens surpassée,

Se confondre elle-même, et tomber sans retour.
Je t'approche en tremblant, lumière inaccessible;

1. Doit-on paraitre surpris, que nous citions Bossuet dans un recueil de poëtes lyriques? Qui ne sait qu'il y a plus de poésie véritable dans les écrits de ce grand homme, que dans un bon nombre de poëtes très-estimables? Mais ici ce n'est plus un piquant paradoxe : Bossuet a fait des vers; les témoignages sont irrécusables: « ..... J'ai cru aussi, Monseigneur, que vous seriez très-aise de voir les vers que ce saint prélat faisoit comme en se jouant, pour ainsi dire, quand nous lui en demandions, feu madame d'Albert et moi. Je m'assure que Votre Eminence sera consolée de voir les grands et intimes sentiments de ce prélat, et combien son cœur étoit pris et épris du saint amour..... Il nous demandoit comme le secret sur ses vers, ne vou lant pas qu'on sût qu'il en faisoit..... » (Lettre de la sœur Cornuau au car dinal de Noailles.) Et dans la correspondance de Bossuet: «TenezVons-en, ma fille, aux ordres que je vous ai donnés sur la communication de mes vers, persistant à ne vouloir pas qu'on les voie..... Sauf la pièce que nous citons, les vers que la modestie et la sévérité de Bossuet condamnaient à l'oubli sont perdus. On peut rapporter cet hymne aux années

1696 on 1697.

2. Cet hymne est ici imprimé pour la seconde fois; il a été trouvé parm des lettres de Piété, dans un manuscrit de la bibliothèque de La Flèche, et publié, il y a quelques années, dans le Correspondant, par un savant religienx, Dom Pitra. Il nous parait impossible qu'on en puisse contester l'anthenticité : il y a, dans ces quelques vers, des images d'un sublime incomparable.

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