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Marcher d'un front riant au fond du sanctuaire.
Des enfants doivent-ils connaître la terreur,

Lorsqu'ils approchent de leur père ?

Quoi! de tant de mortels qu'ont nourris tes bontés,
Ce petit nombre, ô ciel, rangea ses volontés
Sous le joug de tes lois augustes!

Des vieillards! des enfants! quelques infortunés !
A peine mon regard voit entre mille justes,
S'élever deux fronts couronnés.

Que sont-ils devenus ces peuples de coupables
Dont Sion vit ses champs couverts?

Le Tout-Puissant parlait; ses accents redoutables
Les ont plongés dans les enfers.

Là tombent condamnés et la sœur et le frère,
Le père avec le fils, la fille avec la mère;
Les amis, les amants, et la femme et l'époux,
Le roi près du flatteur, l'esclave avec le maître :
Légions de méchants, honteux de se connaître,
Et livrés pour jamais au céleste courroux “.

Le juste enfin remporte la victoire,
Et de ses longs combats au sein de l'Éternel
Il se repose, environné de gloire.

Ses plaisirs sont au comble et n'ont rien de mortel;

Il voit, il sent, il connaît, il respire

Le Dieu qu'il a servi, dont il aima l'empire;

Il en est plein, il chante ses bienfaits.
L'Éternel a brisé son tonnerre inutile;

Et, d'ailes et de faulx dépouillé désormais,

Sur les mondes détruits le Temps dort immobile 5.

4. Ces vers languissent un peu : la forme en est banale : mais les diver mouvements qui précèdent ont un rare mérite de force et de hardiesse.

5. Cette personnification du Temps est un peu trop mythologique, en un sujet sacré mais le dernier vers est sublime. Quand cette pièce parut, quand elle fut dédaignée du corps le plus lettré qu'il y eût en France, la poésie était tombée bien bas. En 1762, fut couronnée l'ode de Thomas sur le temps. D'Alembert lut à cette occasion, dans la séance solennelle, le morceau intitulé réflexions sur l'ode. Soixante pièces avaient été présentées, et D'Alembert se plaint et assure que jamais la poésie n'a été plus rare à force d'être comà prendre ce dernier mot dans tous les sens qu'il peut avoir. Il se plaint également de l'envahissement de la philosophie dans la poésie; les poëtes ont ouï dire que le public voulait des choses, et non plus des mots; ils ont dit qu'à cela ne tienne! nous mettrons de la philosophie dans nos vers. Il en est résulté qu'on a vu une mauvaise philosophie mal à l'aise dans des vers durs, faibles, prosaïques. Mais alors pourquoi ne pas lire l'ode de

mune,

:

Gilbert?

ODE

IMITÉE DE PLUSIEURS PSAUMES

ET COMPOSÉE PAR L'AUTEUR HUIT JOURS AVANT SA MORT1.

J'ai révélé mon cœur au Dieu de l'innocence;

Il a vu mes pleurs pénitents;

Il guérit mes remords, il m'arme de constance;
Les malheureux sont ses enfants.

Mes ennemis riant, ont dit dans leur colère :
Qu'il meure, et sa gloire avec lui!

Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père :
Leur haine sera ton appui.

A tes plus chers amis ils ont prêté leur rage:
Tout trompe ta simplicité;

Celui que tu nourris court vendre ton image,
Noire de sa méchanceté.

Mais Dieu t'entend gémir, Dieu vers qui te ramène
Un vrai remords né des douleurs,
Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine
D'ètre faible dans les malheurs.

J'éveillerai pour toi la pitié, la justice
De l'incorruptible avenir;

Eux même épureront, par leur long artifice,
Ton honneur qu'ils pensent ternir.

Soyez béni, mon Dieu! vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil;
Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil!

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs :

1 C'est à l'hôpital où le retenaient la maladie et le délire, c'est dans une heur de suprême lucidité, que Gilbert écrivit ces plaintes touchantes, immortelles, qui occupent une place à part dans notre langue, comme la Consdation à Duperrier, de Malherbe, comme la Jeune captive, d'A. Chénier, omme la Chute des feuilles, de Millevoye. Gilbert n'a plus rien ici de la posie mensongère de son siècle. Il trouve, à l'approche de la mort, il crée, pour son agonie, la langue de l'éternelle poésie.

Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois!

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature

Salut pour la dernière fois!

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Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée,
Tant d'amis sourds à mes adieux !

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée !
Qu'un ami leur ferme les yeux ?!

2. Avec tout l'art du monde, on ne produira jamais une émotion comparable à celle qu'éveille en nous cet harmonieux soupir d'un poëte, qui meurt dans la solitude et dans l'oubli.

LEBRUN.
ODE

(Exegi monumentum 2.)

4787.

Grâce à la muse qui m'inspire,

Il est fini ce monument

1. LEBRUN (Écouchard), qui naquit en 1729, et mourut en 1807, forme le lien poétique du dernier siecle et du siècle present. Il chanta tour à tour l'ancienne monarchie, la République et l'Empire. Après Malherbe et J.-B. Rousseau, il passe pour notre meilleur lyrique, et reçut de ses contemporains le surnom de Pindare, qui lui convient aussi peu qu'à Rousseau le titre de grand. Comme ce dernier, le lyrique Lebrun excella surtout dans l'épigramme. Ses odes, du reste, ne manquent ni de verve, ni d'éclat. Les grands événements auxquels il assista échauffèrent plusieurs fois son imagination, et l'ode sur le vaisseau le Vengeur est une assez belle inspiration patriotique. Le champ de la poésie lyrique s'agrandit avec Lebrun, pare que la révolution associa la poésie à ses fêtes. Lebrun, Delille et Chénir appliquent à des idées nouvelles les procédés de l'art classique. Mais avec plus de mouvement, c'est tonjours la poésie factice du xvie siècle. Il était réservé à un poëte que ses contemporains connurent à peine comme tel,et qui périt victine des troubles civils, de renouveler la poésie tout entièe, en revenant à la pure et simple antiquité, et aux grâces naturelles du angage. Tandis qu'on décernait à Lebrun le nom de Pindare, André Chénier, dans l'ombre et la solitude, écrivait des vers ravissants, dont la moindre partie arrivée jusqu'à nous, a suffi pour lui assurer un rang éclatant lans notre poésie.

2. C'est le commencement d'une ode fameuse où Horace se promet 'immortalité. Lebrun n'a pas été mal inspiré, mais la simplicite manqueà cet orgueil.

Que jamais ne pourront détruire
Le fer ni le flot écumant;

Le ciel mème, armé de la foudre,
Ne saurait le réduire en poudre :
Les siècles l'essairaient en vain.
Il brave ces tyrans avides,
Plus hardi que les Pyramides,
Et plus durable que l'airain.

Qu'atteste leur masse insensée ?
Rien qu'un néant ambitieux :
Mais l'ouvrage de la pensée
Est immortel comme les dieux.
Le temps a soufflé sur la cendre
Des murs qu'aux rives du Scamandre

Cherchait l'ami d'Éphestion:

Mais quand tout meurt, peuples, monarques, Homère triomphe des Parques

Qui triomphèrent d'Ilion.

Sur les ruines de Palmyre
Saturne a promené sa faux;
Mais l'univers encore admire
Les Pindares et les Saphos.
Frappé de cette gloire immense,
Le fameux vainqueur de Numance,
Par tant de palmes ennobli,
Voulut qu'en sa tombe honorée
D'Ennius l'image sacrée
Le protégeât contre l'oubli.

Cet hymne même que j'achève
Ne périra point comme vous,
Vains palais que le faste élève,
Et que détruit le temps jaloux.
Vous tomberez, marbres, portiques
Vous dont les sculptures antiques
Décorent nos vastes remparts;
Et de ces tours au front superbe
La Seine un jour verra sous l'herbe
Ramper tous les débris épars.

Mais tant que son onde chramée
Baignera l'empire des lis,
De ma tardive renommée
Ses fastes seront embellis.

Elle entendra ma lyre encore
D'un roi généreux qui l'honore
Chanter les augustes bienfaits,
Ma lyre, qui dans sa colère
A d'une Thémis adultère
Consacré les lâches forfaits 3.

Élève du second Racine,
Ami de l'immortel Buffon,
J'osai, sur la double colline,
Allier Lucrèce à Newton.
Des badinages de Catulle
Aux pleurs du sensible Tibulle
On m'a vu passer tour à tour,
Et sur les ailes de Pindare,
Sans craindre le destin d'Icare,
Voler jusqu'à l'astre du jour.

Comme l'encens qui s'évapore
Et des dieux parfume l'autel,
Le feu sacré qui me dévore
Brûle ce que j'ai de mortel.
Mon âme jamais ne sommeille :
Elle est cette flamme qui veille
Au sanctuaire de Vesta ;

Et mon génie est comme Alcide,
Qui se livre au bûcher avide

Pour renaître au sommet d'Eta.

Non, non; je ne dois point descendre
Au noir empire de la mort :
Amis! épargnez à ma cendre
Des pleurs indignes de mon sort.
Laissez un deuil pusillanime;
Croyez-en le dieu qui m'anime:
Je ne mourrai point tout entier.
Eh! ne voyez-vous pas la gloire
Qui, jusqu'au temple de mémoire,
Me fraie un lumineux sentier ?

J'échappe à ce globe de fange:
Quel triomphe plus solennel!

C'est la mort même qui me venge;

3. Allusion à un procès en séparation qu'il eut avec sa femme. les torts

étaient du côté du poëte, qui ne brillait pas par l'aménité du caracère.

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