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C'est le Seigneur qui nous nourrit,
C'est le Seigneur qui nous guérit;

Il prévient nos besoins, il adoucit nos gênes;
Il assure nos pas craintifs;

Il délie, il brise nos chaînes;

Et nos tyrans par lui deviennent nos captifs 7.

Il offre au timide étranger

Un bras prompt à le protéger;

Et l'orphelin en lui retrouve un second père;
De la veuve il devient l'époux;

Et par un châtiment sévère

Il confond les pécheurs conjurés contre nous 8.

Les jours des rois sont dans sa main;
Leur règne est un règne incertain,
Dont le doigt du Seigneur a marqué les limites :
Mais de son règne illimité

Les bornes ne seront prescrites

10

Ni par la fin des temps ni par l'éternité.

7. Cette strophe est encore plus pauvre que la précédente: uniformité des tours (c'est le Seigneur... c'est le Seigneur...), assonnances désagréables (qui nous nourrit), mauvais choix de mots, pour la rime (nos gênes), antithèse mal présentée ( le dernier vers), tout contribue à la rendre la plus faible de l'ode. On croit lire quelque quatrain de Pibrac.

8. Il n'y a pas, à proprement parler, de fautes dans ces vers, mais c'en est une grande, dans une pièce de huit strophes, d'en faire trois où il n'y a pas la moindre beauté poétique. C'est une des plus médiocres, il est vrai... » LA HARPE.

9. Le doigt, la main, à deux vers de distance. «Négligences auxquelles un homme comme Rousseau devait faire plus d'attention. Qu'il était loin du scrupule de Boileau, dont pourtant il avait appris l'art des vers!» Lebrun.

10. Prescrites est bien dur, quand rien n'en relève l'emploi. « Cette ode est médiocre, et la mesure en est peu lyrique. Lebrun l'a dit, et La Harpe l'avait prouvé depuis longtemps. » FONTANES.

TEXTE DU PSAUME CXLV.

Lauda, anima mea, Dominum, laudabo Dominum in vitâ med: psallam Deo meo, quamdiu fuero.

Nolite confidere in principibus: in filiis hominum, in quibus non est salus.

Exibit spiritus ejus, et revertetur in terram suam: in illá die peribunt omnes cogitationes eorum.

Beatus, cujus Deus Jacob adjutor ejus, spes ejus in Domino Deo ipsius: qui fecit cælum et terram, mare, et omnia quæ in eis sunt.

Qui custodit veritatem in sæculum, facit judicium injuriam patientibus: dat escam esurientibus.

Dominus solvit compeditos: Dominus illuminat cœcos

Dominus erigit elisos: Dominus diligit justos.

Dominus custodit advenas, pupillum et viduam suscipiet: et vias peccatorum disperdet.

Regnabit Dominus in sæcula, Deus tuus Sion, in generationem et generationem.

ODE X.

TIRÉE DU CANTIQUE D'ÉZÉCHIAS 2.

POUR UNE PERSONNE CONVALESCENTE *.

J'ai vu mes tristes journées 4
Décliner vers leur penchant ;
Au midi de mes années
Je touchais à mon couchant :
La Mort, déployant ses ailes
Couvrait d'ombres éternelles

ODE X. 1. Cette ode se trouve imprimée pour la première fois dans l'édition de Soleure et dans celle de Hollande (1712).

2. On lit dans Isaïe (chap. XXXVIII, verset 9 et suiv.), qu'Ezéchias, roi de Juda, qui rétablit le culte du vrai Dieu, étant tombé malade, Dieu, touché de ses prières, lui accorda encore quinze ans de vie. Isaïe lui-même vint lui annoncer cette faveur divine. Ezéchias guéri composa le cantique conservé par Isaïe, et imité par Rousseau. M. de Genoude l'a traduit d'une façon trèsremarquable, en prose.

3. Voici le morceau le plus touchant qu'ait fait Rousseau, le seul touchant peut-être. Il a trouvé dans les actions de grâces du vieux roi de Juda une inspiration vraiment poétique, qui seule eût suffi pour le tirer de la foule obscure des poëtes qu'on ne lit plus. Le cantique d'Ezéchias a été souvent traduit, avant comme après Rousseau; mais nul n'a su s'approprier à ce point le sentiment qui remplit le texte, nul n'a su trouver cette facile harmonie et cette belle langue de la douleur. L'ode de Rousseau rappelle, par instants, l'admirable prière de Pascal, pour demander à Dieu le bon usage des maladies. Nous citons plus loin un fragment trop court de ce morceau, auquel on ne peut rien comparer.

4. La strophe de dix vers, et de sept syllabes est très-propre aux sujets tristes. C'est celle que Lamartine a choisie pour l'une de ses plus mélancoliques Harmonies : Pensée des morts. Explique qui pourra cet intime et mystérieux rapport des idées et des sons mesurés; il existe, et celui qui ne le sent pas peut fermer les livres des poëtes.

La clarté dont je jouis;
Et, dans cette nuit funeste,
Je cherchais en vain le reste
De mes jours évanouis.

Grand Dieu, votre main réclame
Les dons que j'en ai reçus;
Elle vient couper la trame
Des jours qu'elle m'a tissus :
Mon dernier soleil se lève,
Et votre souffle m'enlève
De la terre des vivants,
Comme la feuille séchée,
Qui, de sa tige arrachée,
Devient le jouet des vents 5.

Comme un lion plein de rage,
Le mal a brisé mes os;

Le tombeau m'ouvre un passage
Dans ses lugubres cachots".

5. Tout le monde sait par cœur les vers de la jolie fable d'Arnault:

De ta tige détachée,

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu?... etc.

Cette petite pièce, qui a survécu parmi beaucoup de vers du même auteur, semble être un souvenir, un lointain écho de la strophe de J.-B. On lit dans Athalie (1, 1):

Le ciel même peut-il réparer les ruines

De cet arbre séché jusque dans ses racines!

Le texte sacré ne fournissait pas à Rousseau l'image de la feuille séchée, qu'il a puisée ailleurs. Ezéchias compare sa vie à la tente que le pasteur replie en un jour. Cette belle comparaison a paru trop hardie aux classiques du XVIIe siècle. Lamartine a dit (Nouvelles Méditations poétiques):

Sans regret, au flot des années

Livre ces dépouilles fanées
Qu'enlève le souffle des jours,

6. L'édition de Soleure donne la leçon :

Comme un tigre impitoyable

Le mal a brisé mes os;

Comme on jette au courant de l'onde
La feuille aride et vagabonde
Que l'onde entraîne dans son cours!

Et sa rage insatiable

Ne me laisse aucun repos.

Rousseau, dans les éditions suivantes, a remplacé le tigre par le lion, que donue l'hébreu quasi leo... Ces variantes ont le tort de nous faire assister au travail du poëte, et nous ôtent quelques-unes de nos illusions. Les deux

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leçons d'ailleurs sont ici également faibles. Fontanes préfère la variante de Soleure; mais ne me laisse aucun repos, après le mal a brisé mes os, est pauvre. Serait-ce un souvenir du vers de Virgile: Nec fibris requies datur ulla renatis?

7. A celle image sanglante n'est pas heureux; mais il fallait une rime, et Rousseau sacrifie volontiers à la rime.

8. L'hébreu n'ajoute pas : Sous la griffe du vautour; il s'agit seulement du cri de l'hirondelle.

"

9. Étaient lassés de s'ouvrir. » Voltaire semble avoir imité Rousseau quand il a dit, dans Sémiramis :

a

O voiles de la mort! quand viendrez-vous couvrir
Mes yeux remplis de pleurs et lassés de s'ouvrir.

10. On croit entendre les gémissements d'Orphée te veniente die, te decedente canebat. Et peut-être le poëte français a-t-il surpassé Virgile luimême.» FONTANES. · La douceur, le sentiment et la grâce abondent dans cette strophe d'inspiration divine... » LEBRUN. N'y a-t-il pas ici un peu d'exagération, bien excusable du reste, dans Fontanes, comme dans Lebrun? Sans parler de Virgile, ni d'inspiration divine, reconnaissons dans cette stro phe irréprochable un procédé connu, mais très-heureusement employé ici, celui de la répétition des mêmes mots ou des mêmes tournures en vue de l'effet et du sentiment poétique. Ce n'est ni une inspiration divine, ni une émotion profonde comme celle de Virgile : c'est un art très-habile, que soutient l'élévation de la pensée.

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11. On ne s'attend pas à voir commencer an milieu d'une strophe la deuxième partie de l'ode. Ce passage d'une idée à une autre, cette péripétie, si l'on peut ainsi s'exprimer, n'est pas assez ménagée.

12. Cette exclamation, qui semble s'échapper du cœur, correspond heurensement à celle de la deuxième strophe de l'ode. Le cri de joie arrive aussi naturellement que le cri de détresse. Il y a beaucoup d'art dans toute cette composition, et un art d'autant plus louable, qu'il est mieux dissimulé.

13. Vous m'aviez donné la santé pour vous servir, et j'en ai fait un usage a tout profane. Vous m'envoyez maintenant la maladie pour me corriger; ne "permettez pas que j'en use pour vous irriter par mon impatience. J'ai mal usé de ma santé, et vous m'en avez justement puni. Ne souffrez pas que j'use mal de votre punition. » PASCAL, Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies.

14. Heureux l'homme à qui la grâce...» Rousseau a déjà dit, dans le psaume XVIII: dans les sources de ta grace. Nous avons expliqué le sens de ce mot. L'expression don efficace est de la même langue théologique. On peut trouver un peu lourd l'emploi que fait Rousseau de ces termes mystiques. Départ est un vieux mot également déplacé dans l'ode. Don efficace forme un hiatus véritable.

15. Et qui rallumant sa flamme » est obscur et équivoque. Qu'est-ce que l'homme qui rallume sa flamme? J.-B. veut dire : qui, revenant à la vie...ou quelque chose d'équivalent.

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