Qu'avec nous la terre s'unisse; Que nos voix pénètrent les airs: Vous, filles de Sion, florissante jeunesse, Venez offrir des vœux pleins de tendresse Peuple, de qui l'appui sur sa bonté se fonde, A son nom glorieux élever des autels; L'Éternel comblera votre race fidèle. Marquons-lui notre amour par des vœux éclatants; C'est notre Dieu, c'est notre père, C'est le roi que Sion révère. De son règne éternel les glorieux instants Dureront au delà des siècles et des temps 8. 7. Nos cœurs et nos concerts est une alliance de mots que le goût si sûr de Racine aurait rejetée. Cette strophe n'a guère qu'une idée retournée sous plusieurs formes. La suivante est assez gracieuse. 8. Dureront au delà des siècles, etc. » Racine a dit : Que l'on célèbre ses ouvrages Au delà des temps et des âges, Au delà de l'éternité. Il est difficile de concevoir quelque chose au delà de l'éternité; mais l'Écritnre même (Exode, xv, 18) a mis: Dominus regnabit in æternum, ET ULTra. C'est l'hyperbole orientale. Le psalme XLVII dit: In sæculum sæculi. TEXTE DU PSAUME XLVII. Magnus Dominus, et laudabilis ni Fundatur exultatione universæ ler sancto ejus. mis in civitate Dei nostri, in monte ræ mons Sion, latera Aquilonis, civi tas Regis magni. Deus in domibus ejus cognoscetur, cùm suscipiet eam. Quoniam ecce reges terræ congregati sunt convenerunt in unum. Ipsi videntes sic admirati sunt, conturbati sunt, commoti sunt tremor apprehendit eos. Ibi dolores ut parturientis, in spiitu vehementi conteres naves Tharsis. Sicut audivimus, sic vidimus in civitate Domini virtutum, in civitate Dei nostri: Deus fundavit eam in æternum. Suscepimus, Deus, misericordiam tuam, in medio templi tui. Secundùm nomen tuum, Deus, sic et iaus tua in fines terræ ; justitiâ plena est dextera tua. Lætetur mons Sion, et exultent filiæ Judæ, propter judicia tua, Domine. Circumdate Sion, et complectimini eam : narrate in turribus ejus. Ponite corda vestra in virtute ejus : et distribuite domos ejus, ut enarretis in progenie altera. Quoniam hic est Deus, Deus noster in æternum, et in sæculum sæculi : ipse reget nos in sæcula. ÉPODE 1. TIRÉE PRINCIPALEMENT DES LIVRES DE SALOMON, ET EN PARTIE DE QUELQUES AUTRES ENDROITS DE L'ÉCRITURE ET DES PRIÈRES DE L'ÉGLISE 2. PREMIÈRE PARTIE 3. Vains mortels, que du monde endort la folle ivresse, Écoutez, il est temps, la voix de la sagesse : Heureux, et seul heureux qui s'attache au Seigneur 4! ÉPODE. 1. Ce terme, emprunté à la poésie lyrique des anciens, où il a des sens divers, indique ici que cette ode en quatre parties complète tout le recueil des morceaux sacrés de Rousseau: on pourrait le traduire par ces mots: Pour faire suite aux odes. Le dernier livre des odes d'Horace porte également le nom d'Epodes, pour des raisons très-différentes. 2. Les chagrins et les amertumes de l'exil avaient ramené Rousseau à la religion. Il était arrivé à cet état de l'âme où les livres de Salomon surtout sont une merveilleuse lecture. 3. Les trois premières parties sont purement bibliques; la quatrième, plus spécialement chrétienne, appartient en propre à Rousseau: la première partie est la meilleure. « Ce faible et dernier fruit de la vieillesse d'un grand poëte est, en général, au-dessous de la critique, de celle du moins qu'on peut se permettre envers un homme tel que J.-B. Rousseau.» AMAR. Le critique est bien sévère après avoir montré tant d'indulgence pour des pièces beaucoup plus médiocres. 4. Vers la même époque (1733), Rousseau écrivait à Rollin : « ... J'ai toujours senti que le bonheur d'être vertneux devant Dieu est le seul auquel nne ame raisonnable doive aspirer, et que c'est prendre bien misérablement le change, que de se borner, comme j'ai fait depuis que je me connais, à vouloir l'être devant les homines: toute la sincérité de mà conscience à cet égard n'a servi qu'à me faire connaître que j'avais pris un chemin pour l'autre; et je ne vois que trop que les traverses inouïes qui m'ont été suscitées dans cette LIVRE I. ÉPODE. Pour trouver le repos, le bonheur et la joie, Il n'est qu'un seul chemin, c'est de suivre sa voie Le temps fuit, dites-vous; c'est lui qui nous convie 75 Notre esprit n'est qu'un souffle, une ombre passagère, voie d'erreur, sont des secours que Dieu m'a envoyés pour m'en retirer et pour m'ouvrir les yeux sur le premier de ses commandements. Malheur à moi si je n'en profite pas, et si je ne viens pas à bout de rompre un reste de chaîne qui m'attache au monde malgré moi-même. » Ainsi, après avoir fait des odes sacrées sans religion, et avec la seule préoccupation de la forme littéraire, J.-B. Rousseau, proscrit, vieux, infirme, abandonné, s'essaie encore dans la poésie sacrée, mais cette fois avec la conviction de la douleur. Malheureusement, le talent lui fit défaut à l'heure où le sentiment l'eût soutenu. La tristesse, sans laquelle il n'y a point de poésie lyrique, venait trop tard pour lui. La pensée de Dieu, quoique plus vivê qu'autrefois, n'était plus si propre, à lui inspirer de beaux vers. Il y a pourtant dans cette première partie de l'Epode un air d'autorité, un ton pénétrant qu'on ne trouve pas toujours dans ses meilleurs psaumes; on rencontre des beautés dans la troisième et la quatrième partie. On croit lire Corneille traducteur de l'Imitation de J.-C. 5. Corneille a dit poétiquement (Imitation de J.-C., II, c. 4): Pour t'élever de terre, homime, il te faut deux ailes, La pureté du cœur et la simplicité. Et ailleurs (même ouvrage, IV, c. 9): Dans la simplicité d'un cœur qui te réclame, Je t'offre tout ențiers et mon corps et mon âme. 6. Dans la rapidité d'une course...» Racine, traduisant cette pensée de l'Ecriture, avait mieux dit encore (Athalie, II, 9): Rions, chantons, dit cette troupe impie!... Sur l'avenir insensé qui se fie. De nos ans passagers le nombre est incertain: Qui sait si nous serons demain? 7. L'infirmité n'est ni le mot propre, ni le mot poétique; fragilité serait certainement préférable.» LEERUN. -... Cinis erit corpus nostrum, et spiritus diffundetur tanquam mollis aer, et transibit vita nostra tanquam vesti gium nubis...» SALOMON, Lib. Sap. 1, 2, 3. Nous serons tous alors, cadavres insensibles, 10 Songeons donc à jouir de nos belles années : Guéris de tout remords contraire à nos maximes, Et notre force, notre loi 11. Assiégeons l'innocent; qu'il tremble à notre approche. Il traite nos succès de fureur tyrannique : 8. Cette troisième strophe est heureuse. La mort nous étouffant dans ses bras invincibles est une très-belle expression. 9. D Les roses d'aujourd'hui demain seront fanées. » C'est l'idée et l'image si souvent employées par les poëtes du XVIe siècle, par Ronsard. C'est la pensée de a Mignonne, allons voir si la rose... » C'est le mot de Salomon: (Lib. Sap., II, 8.) « Coronemus nos rosis, antequam marcescant! -Que de poetes, encore de nos jours, ont vécu sur la rose fanée, éternel emblème de la jeunesse et du plaisir! 10. Cimentons, expression très-recherchée, qui choque parmi la simplicité du reste. D 11. Ces trois vers sont bien faibles, et le dernier est d'une dureté remarquable. LEBRUN. - Remarquons en outre que le méchant ne parle point ainsi dans la réalité; il se dissimule à lui-même sa bassesse à force de sophismes; il la dissimule surtout aux autres; mais le procédé de J.-B. est commun aux poëtes. 12. Lebrun eût du remarquer ce beau vers imité de Salomon: Gravis est nobis etiam ad videndum... (SALOMON, Lib. Sap., II, 15.) 13 : Voyons s'il est vraiment celui qu'il se dit être Ce sont là les discours, ce sont là les pensées DEUXIÈME PARTIE. Cependant les âmes qu'excite De leur constance et de leur foi: Le fer ensanglanté ne les touchera pas 15. Dieu, comme l'or dans la fournaise, Les éprouva dans les ennuis ; Mais leur patience l'apaise : Les jours viennent après les nuits. Il a supputé les années 13. Quel vers sec et rampant! On a de la peine à croire qu'il soit du grand Rousseau.» LEBRUN. -Videamus ergo si sermones illius veri sint... (SALOMON, Lib. Sap. п, 17.) 14. « Ces âmes de chair.» Assez belle expression. 15. Ce rhythme est très-heureux; l'alexandrin final donne à toute la strophe une dignité incontestable. - « Justorum autem animæ in manu Dei sunt et non tanget illos tormentum mortis, » (SALOMON, Lib. Sap., II, 1.) |