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avait en outre un penchant déclaré pour la satire et l'épigramme; qu'il vécut dans un milieu défavorable à toute inspiration sérieuse; qu'il travailla sans conviction sur les sujets qui en demandaient le plus; qu'il dépensa presque toute la verve de son esprit dans des ouvrages qui n'ont rien de commun avec la poésie lyrique ; qu'enfin sa vie fut troublée par une condamnation injuste, bien capable d'abattre une âme plus solide que la sienne, et l'on comprendra qu'il n'ait pu s'élever très-haut, et que sa gloire ait paru contestable.

Malgré toutes ces causes d'infériorité, Rousseau (c'est par là qu'il doit survivre) est le dernier classique du XVIIe siècle; il en reproduit encore la belle langue, il en retient, dans ses vers, l'ample et claire période, il en a souvent la simplicité et l'élégance; mais il subit déjà trop l'influence du siècle nouveau pour être placé au rang de ces irréprochables génies de l'âge précédent, de ces gloires pures et, pour ainsi dire, sans alliage. Son talent n'a pas tenu ce qu'il promettait, parce qu'il ne l'a pas assez respecté, épuré; parce qu'il a mêlé aux saintes harmonies de la harpe biblique les lointains échos de l'orgie athéiste, et qu'on ne peut élever l'âme d'un côté, quand de l'autre on flatte les passions. Plus tard les chagrins ont empoisonné sa vie et mêlé à sa lyre des sons aigres; le séjour en pays étranger a donné de la rudesse à sa parole; enfin il s'est senti coupable, non du crime qu'on lui imputait, mais de l'impardonnable emploi qu'il avait fait d'une belle intelligence et d'un esprit peu ordinaire. Dégradé à ses propres yeux, il a subi toutes les conséquences de cette humiliation intime, le plus grand malheur qui puisse arriver à un poëte. On serait injuste si l'on ne tenait pas compte de toutes ces circonstances, quand on étudie la vie et les écrits de Rousseau. A ceux qui paraîtraient disposés à juger son talent avec trop de rigueur, nous dirons : il a laissé de très-beaux vers. A ceux qui voudraient juger trop durement sa conduite, nous rappellerons qu'il fut trente ans malheureux.

E. M.

JUGEMENTS LITTÉRAIRES

SUR

J.-B. ROUSSEAU.

JUGEMENT DE VAUVENARGUES.

On ne peut disputer à Rousseau d'avoir connu parfaitement la mécanique des vers. Egal peut-être à Despréaux par cet endroit, on pourrait le mettre à côté de ce grand homme, si celui-ci, né à l'aurore du bon goût, n'avait été le maître de Rousseau et de tous les poëtes de son siècle.

« Ces deux excellents écrivains se sont distingués l'un et l'autre par l'art difficile de faire régner dans les vers une extrême simplicité, par le talent d'y conserver le tour et le génie de notre langue, et enfin par cette harmonie continue, sans laquelle il n'y a point de véritable poésie.

On leur a reproché, à la vérité, d'avoir manqué de délicatesse et d'expression pour le sentiment. Ce dernier défaut me paraît pen considérable dans Despréaux, parce que s'étant attaché uniquement à peindre la raison, il lui suffisait de la peindre avec vivacité et avec feu, comme il a fait : mais l'expression des passions ne lui était pas nécessaire...

Il n'est pas tout à fait si facile de justifier Rousseau à cet égard. L'ode étant, comme il dit lui-même, le véritable champ du pathétique et du sublime, on voudrait toujours trouver dans les siennes ce haut caractère. Mais quoiqu'elles soient dessinées avec une grande noblesse, je ne sais si elles sont tontes assez passionnées. J'excepte quelques-unes des odes sacrées, dont le fond appartient à de plus grands maîtres. Quant à celles qu'il a tirées de son propre fonds, il me semble qu'en général les fortes images qui les embellis sent ne produisent pas de grands mouvements, et n'excitent ni la pitié, ni l'étonnement, ni la crainte, ni ce sombre saisissement que le vrai sublime fait naître.

«La marche impétueuse de l'ode n'est pas celle de l'esprit tranquille : il faut donc qu'elle soit justifiée par un enthousiasme véritable. Lorsqu'un auteur se jette de sang-froid dans ces mouvements et ces écarts qui n'appartiennent qu'aux grandes passions, il court risque de marcher seul; car le lecteur se lasse de ces transitions forcées et de ces fréquentes hardiesses que l'art s'efforce d'imiter du sentiment, et qu'il imite toujours sans succès. Les endroits où le poëte paraît s'égarer devraient être, à ce qu'il me semble, les plus passionnés de son ouvrage. Il est même d'autant plus nécessaire de mettre du sentiment dans nos odes, que ces petits poëmes sont ordinairement vides de pensées, et qu'un ouvrage vide de pensées sera toujours faible, s'il n'est rempli de passion. Or je ne crois pas qu'on puisse dire que les odes de Rousseau soient fort passionnées... Il m'appartient moins qu'à tout autre de

1. On dirait aujourd'hui le mécanisme des vers. Nous ne donnons ici qu'une petite partie de ce jugement sur Rousseau. On le trouvera tout entier, avec des variantes inédites et d'intéressantes additions, dans la remarquable édition de Vauvenargues, publiée en 1857 par M. Gilbert.

diré que Rousseau n'a pu atteindre le but de son art: mais je crains bien que si on n'aspire pas à faire de l'ode tine imitation plus fidèle de la nature, ce genre ne demeure enseveli dans une espèce de médiocrité. (Réflexions critiques sur quelques poëtes.)

JUGEMENT DE LA HARPE'.

⚫ Résumons. Il ne reste jamais dans la balance de la postérité que les bons ouvrages: ce sont eux, et eux seuls, qui décident la place d'un auteur. Les Odes et les Cantates de Rousseau ont fixé la sienne parmi nos grands poëtes; mais il n'y a que l'esprit de parti qui ait pu, pendant quelque temps, affecter de lui donner un rang à part, et de l'appeler le grand Rousseau, le prince de la poésie française, comme je vu dans plus d'une brochure. Les gens désintéressés savent fort bien comment s'était établie, dans une certaine classe de gens dé lettres, cette dénomination que je n'ai vue dans aucun écrivain accrédité, et qu'aujourd'hui l'on ne répète plus. Il semble que ce titre soit un honneur rendu au génie; c'était un présent fait par la haine : les ennemis de Voltaire crurent l'affliger en déifiant son ennemi 2.

Je ne suis point détracteur de Rousseau ; et pourquoi le serais-je ? mais je ne puis le regarder comme le prince de la poésie française. Ge nom de grand, fait pour si peu d'hommes, si justement accordé à Corneille, au créateur Corneille, qui a tiré le théâtre de la barbarie et répandu tant de lumière dans une nuit si profonde, me paraît fort au-dessus du mérite de Rousseau, qui, venu longtemps après Malherbe, a trouvé la langue toute créée; qui, venu du temps de Despréaux, a trouvé le goût tout formé, et qui, avec tous ces secours, est resté fort au-dessous d'Horace, dont il n'a ni l'esprit, ni les grâces, ni la variété, ni le goût, ni la sensibilité, ni la philosophie, et qui manque surtout de cet intérêt de style qui vient de l'âme et qui se communique à celle des lecteurs. Et de quel titre se servira-t-on pour les Racine, les Voltaire 3, pour ces hommes qui ont été si loin dans les arts les plus difficiles où l'esprit humain puisse s'exercer; qui ont fait plus de chefs-d'œuvre dramatiques que Rousseau n'a fait de belles odes; pour ces enchanteurs si aimables, à qui nous ne pouvons jamais donner autant de louanges qu'ils nous ont donné de plaisir? Si Rousseau est grand pour avoir fait de beaux vers, qui souvent ne sont que des vers, que seront ceux qui ont dit tant de belles choses en vers aussi beaux; ceux qui non-seulement savent flatter notre oreille, mais qui remuent si puissamment notre âme, éclairent et élèvent notre esprit; ceux que nous relisons avec délices, que nous ne pouvons louer.

1. On est si disposé à croire que La Harpe a toujours admiré avec superstition nos écrivains classiques, qu'on ignore peut-être assez généralement sa sévérité à l'égard de Rousseau : elle va à peu près aussi loin qu'on peut le désirer. Quelquesuns ont trouvé mème qu'elle allait trop loin.

2. On lit dans les Trois siècles de la littérature française, de Sabatier de Castres, ouvrage de critique passionnée : « Tant qu'on aura parmi nous l'idée de la belle poésie,... Rousseau sera regardé comme le génie le plus étonnant que notre nation ait produit. » Cet homme là haïssait bien Voltaire.

3. La Harpe traite avec une extrême faveur les tragédies de Voltaire, aujour d'hui cependant trop dépréciées.

XX

JUGEMENTS LITTÉRAIRES.

qu'avec transport? Que de jeunes têtes exaltées", pour qui le mérite seul de la versification est le premier de tous, soient plus frappées d'une strophe de Rousseau que d'une scène de Zaïre on de Mahomet, on le pardonne à l'effervescence de leur âge; mais l'expérience nous apprend que celui dont le plus grand mérite est de bien faire des vers est relu par ceux qui aiment les vers par-dessus tout, mais que les poëtes qui parlent au cœur et à la raison sont relus par tout le monde. » (Cours de littérature, Siècle de Louis XIV, ch. 9.)

4. La jeunesse est toujours la même : elle se passionne outre mesure, dans un sens ou dans l'autre. Ces jeunes tétes exaltées qui dès 1760 décernaient à Rousseau le titre de Grand, étaient en 1828 ces blanches et vénérables têtes de classiques, si peu respectées des nouveaux exaltés d'alors. C'est un curieux chapitre d'histoire littéraire.

JUGEMENT DE M. VILLEMAIN.

(Fragments extraits du Tableau de la littérature au XVIe siècle.)

......

. Quand l'imitation est une étude de langue et de style sur des modèles indigènes, elle ne produit, quel que soit l'art de l'écrivain, qu'une perfection apparente. C'est le caractère de Rousseau dans ses plus beaux ouvrages. On y reconnaît le disciple exactement fidèle, et partant inférieur de Racine et de Boileau. Prenez-vous ses poésies sacrées? Il dit lui-même, dans sa prose un peu lourde, que, s'il a jamais senti ce que c'est qu'enthousiasme, ç'a été principalement en travaillant à ses cantiques. Eh! bien, le vers en est harmonieux et fort, le tour expressif, le mètre habilement varié; mais tout cela vous fait souvenir de la poésie bien autrement sublime, ou gracieuse, des chœurs d'Esther, d'Athalie. Dans ces chœurs, du moins, ce qui s'est perdu de l'esprit de feu du prophète, à travers les changements de siècles et d'idiomes, est suppléé par l'intérêt du drame et l'émotion des personnages. Mais les psaumes de Rousseau, qui ne se lient à aucune action et ne sortent pas de l'âme du poëte, qui ne sont ni l'intermède d'un drame, ni un élan de piété, que vous offrent-ils? Une élégante paraphrase du génie biblique. La version latine de saint Jérôme, ce langage demi-barbare, bigarré d'ellipses et d'orientalismes, vous en dit bien davantage et porte avec soi plus d'émotion... »

...... Rousseau donne-t-il l'idée de cette poésie lyrique, accent le plus sublime de la foi religieuse, et dont la beauté première était affaiblie déjà dans les fêtes de la Grèce? Nullement. Mais n'a-t-il pas porté à un haut degré cette ode artificielle et savante qui charmait les oreilles des Grecs et qui faisait dire à un Romain plus sérieux qu'il ne trouvait pas dans la vie assez de loisirs pour étudier les poëtes lyriques? On ne peut le nier, je crois. A défaut d'un vif enthousiasme, il y a bien de l'art et de l'élégance dans Rousseau.... ...... N'oublions donc pas le talent de Jean-Baptiste; on pourra le surpasser pour la hardiesse du style et surtout l'expression rêveuse, accidentelle des fantaisies, des émotions de l'âme. De tous les poëtes classiques par l'élégance, il est incontestablement celui à qui l'on peut reprocher le plus de mauvais vers; mais sa gloire ne périra pas tant que durera notre langue.

DE POÉSIES LYRIQUES SACRÉES

ET DE

PARAPHRASES DES PSAUMES

ANTÉRIEURES A

J.-B. ROUSSEAU.

On ne nous saura pas mauvais gré, sans doute, de faire précéder les poésies sacrées de J.-B. Rousseau du catalogue suivant, dont une partie se trouve déjà dans la curieuse introduction des Essais de poésies Bibliques, de M. Ragon. Nous l'avons beaucoup étendu, bien qu'il soit loin d'être complet.

Peut-être les jeunes gens ignorent-ils que les poëtes qu'on leur fait étudier, et qui donnent encore lieu à tant d'observations critiques, ont survécu à des milliers d'autres, dont les noms inconnus dorment dans les catalogues des bibliothèques. Cette exhumation de noms et de titres est donc propre à les faire réfléchir. Nous n'espérons pas qu'elle soit un avertissement pour les méchants poëtes; notre catalogue, fût-il beaucoup plus long, ne saurait les effrayer. Mais la critique, bien qu'elle doive en définitive juger les auteurs d'une manière absolue, pent, dans la lecture d'une liste si affligeante, puiser un peu de cette indulgence qui est, dans l'esprit, un signe de force, et non de faiblesse.

1520

1543

1552

1560 Ib.

1562

1563

1566

1574 1576

1578

1581

1582

Ib.

1587

Ib.

1588 Ib.

Le Stabat Mater dolorosa translaté en vers françois. (Sans nom
d'auteur.)

Pseaumes de Marot. (Seuls, dédiés à François Ier.)
Traduction de Job, mis en cantiques, par Duplessis.

La Lyre chrestienne, par Guillaume Guéroult. Lyon.

Divers cantiques extraits du Vieil et Nouveau Testament et mis en rime françoise, par Accasse d'Albiac.

Cantiques de la Bible, traduits en vers par Lancelot de Carle,
évêque de Riez.

Les Pseaumes de Marot, completés par Théodore de Bèze.
Poésies spirituelles, par le sieur de Fiefmélin.

Odes (sacrées et profanes) de Jacques Tahureau.

Imitation de l'Ecclésiaste, églogues sacrées, par Remy Belleau.

Les Hymnes ecclésiastiques selon le cours de l'année, avec d'autres
Cantiques spirituels, par Gui Lefebvre de la Boderie.

Cent quarante quatrains sur les psaumes de David, par le sieur de
la Primaudaye.

La Muse chrestienne. Paris. (Recueil de diverses pièces sacrées,
sans nom d'auteur.)

Figures de la Bible déclarées par stances, par Gabriel Chappuis,
Tourangeau.

Les Cantiques en vers du sieur de Valagre, et les cantiques du sieur
de Maizonfleur.

Poésies chrétiennes, par Olenix de Montsacré. (Sonnets.)
Les sept psaumes Pénitentiels en vers français, par Rapin.
Psautier de David tourné en prose mesurée, ou vers libres, par
Blaise de Vigénère.

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