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SUR CETTE NOUVELLE ÉDITION

VII

Soleure (1712), et sur les autres éditions publiées de son vivant. Les annotations dont nous l'accompagnons pourront paraître nombreuses, au premier coup d'œil; nous espérons qu'un examen réfléchi les fera trouver strictement suffisantes. Dans cette partie de notre tâche, nous avons suivi la voie ouverte par de plus habiles que nous, et dans laquelle il était temps d'entrer, pour ne rien laisser perdre des monuments de notre langue; c'est aujourd'hui une vérité reconnue, qu'il faut traiter nos auteurs classiques comme les Anciens, et soumettre leurs œuvres à une révision minutieuse, Ces études partielles formeront un jour un ensemble, qui fournira les éléments d'une étude plus complète de notre langue à ses diverses époques. J.-B. Rousseau surtout a besoin d'être annoté avec une certaine sévérité. S'il était de ces poëtes doués d'une inspiration si vive qu'elle entraîne avec elle, presque sans choix, toutes les images et toutes les expressions qu'elle rencontre, nous n'aurions pas fait sur ses vers ce travail infime, qui met le doigt sur presque toutes les imperfections; mais dès qu'on reconnaît que Rousseau manque souvent de l'enthousiasme véritable; que pour lui la poésie est un travail lent et pénible, qui n'a guère pour but que la perfection de la forme; qu'il ne laisse rien au hasard de l'inspiration et veille sur lui sans cesse, il devient nécessaire de le juger par où il essaie d'être excellent.

Nous serions heureux si ce livre contribuait, pour sa part, à rendre à la poésie lyrique, dans l'instruction secondaire, une place que l'étude de nos admirables chefs-d'œuvre dramatiques a sans cesse réduite. De toutes les formes que la poésie peut prendre, celle où l'inspiration lyrique domine, est la plus propre à élever l'âme, à développer en elle ce que le spiritualisme a de plus pur, à l'arracher aux petits intérêts et aux petites passions. La nature du lyrisme est vraiment divine; et en quel temps fut-il plus nécessaire de mèler dans l'éducation de la jeunesse l'élément divin?

E. M.

Paris, septembre 1852.

BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE

SUR

J.-B. ROUSSEAU

Ci-git l'illustre et malheureux Rousseau.
Le Brabant fut sa tombe et Paris son berceau,
Voici l'abrégé de sa vie

Qui fut trop longue de moitié :
Il fut trente ans digne d'envie,
Et trente ans digne de pitié.

Cette épitaphe fort connue résume toute la destinée de Jean-Baptiste Rousseau. Né à Paris, en 16711, dans une condition obscure (il était fils d'un cordonnier), élevé au collége Du Plessis, où de brillantes études et une aptitude précoce pour la poésie attirèrent sur lui les regards, il fut, à vingt ans, reçu dans le monde sous les plus illustres patronages. Son esprit mordant, le talent de conter avec malice et de manier habilement le style marotique, assura son succès dans cette société équivoque de grands seigneurs, qui préludait aux désordres de la Régence, et recouvrait le libertinage d'un vernis de bon goût. Rousseau se fit de sang-froid et sans scrupule le poëte du plaisir, pensant être l'ami de ceux dont il n'était que le témoin et le complice. Après s'être essayé sans succès dans l'opéra et la comédie, il se tourna vers la poésie lyrique, à laquelle aucun poëte distingué, depuis Malherbe, ne s'était appliqué d'une façon spéciale. Pour se faire pardonner des ouvrages peu estimables, et

1. Et non en 1669 ou en 1670, comme disent la plupart des biographes. Denx lettres de Rousseau, l'une du 2 juillet 1737, l'autre du 7 octobre 1739, nous permettaient déjà de l'affirmer avec quelque assurance dans notre première édition (V. Lettres de M. Rousseau sur différents sujets, tome 1, 1re partie. Genève, chez Barillot et fils, 1749, 3 vol. petit in-18; rare); mais depuis, nous devons à l'obligeance de M. Paulin Pâris, membre de l'Institut, la recherche et la communication de l'acte de baptême du poëte, retrouvé dans les registres de l'État civil de la paroisse Saint-Étienne-du-Mont : Rousseau, né le lundi 6 avril 1671, fut baptisé le dimanche 12 du même mois.

sur l'invitation du maréchal de Noailles, il s'exerça à la paraphrase des Psaumes, et traduisit, sans piété véritable, ces antiques inspirations de la piété la plus vive. Les succès qu'il obtint dans ce genre et dans ceux de l'ode pindarique et de l'ode morale, le placèrent bientôt au premier rang des poëtes, et Boileau vieillissant put espérer que le bon goût et les saines traditions du style ne périraient pas encore.

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Rousseau, dans son orgueil, ne sut pas ménager assez les écrivains qui exerçaient alors sur l'opinion une influence souveraine. Ce n'est pas impunément qu'on excelle dans l'épigramme il s'attira de nombreux ennemis, et les irrita par des provocations continuelles. Quelques couplets satiriques qu'il ne put désavouer, et qu'un air à la mode contribuait à rendre populaires, fournirent surtout à ses adversaires l'occasion de le poursuivre et de se venger; on l'accusa de se jouer de son propre talent, de se présenter avec deux visages, d'édifier à la fois et de scandaliser. On lui reprocha en outre d'oublier sa naissance, qu'une coupable faiblesse le portait à dissimuler, et d'avoir méconnu son père, dans le foyer même de la Comédie-Française. Lamotte, fils d'un chapelier, mit une sorte d'affectation orgueilleuse à lui rappeler, dans une ode, le rang obscur d'où ils étaient sortis tous deux.

Toutes ces haines, entretenues et accumulées durant près de dix ans, éclatèrent enfin. Rousseau, malgré son caractère alors peu estimable, était applaudi et admiré comme poëte; une pension que la mort prochaine de Boileau laisserait disponible lui revenait de droit ; déjà membre de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, la première place vacante à l'Académie Française, où Lamotte venait d'entrer, lui semblait réservée; il était heureux, illustre, redouté.

Sur ces entrefaites, de nouveaux couplets parurent, plus affreux que les précédents. Les mêmes personnes s'y trouvaient salies et outragées jusqu'à l'infamie. Le cri général

2. Un homme d'un grand sens et d'un grand génie, a dit : « Je n'ai jamais été tenté de faire un couplet contre qui que ce soit. J'ai fait en ma vie bien des sottises, et jamais de méchancetés. MONTESQUIEU.

accusa Rousseau, qu'on eût dû, ce semble, soupçonner le dernier, tant sa gloire et son intérêt rendaient inexplicable et insensée, en ce moment, une attaque aussi furieuse. Rousseau, non content de repousser l'accusation, voulut chercher le coupable; il crut l'avoir trouvé dans l'un de ses ennemis, dans Saurin, savant illustre et ami de Lamotte. C'est toujours s'exposer beaucoup que de dénoncer, sans preuves suffisantes; ce fut, de la part de Rousseau, une grande imprudence de s'attaquer à Saurin, qui était en crédit auprès des puissants. Un long et scandaleux procès, l'une des plus tristes pages de notre histoire littéraire, suivit cette dénonciation. Rousseau fut, en peu de temps, abandonné de tout le monde; les grands même craignirent de compromettre leur honneur s'ils défendaient le sien. Il avait contre lui son passé, et le monde, toujours prompt à accueillir tous les bruits de la calomnie, dans un temps où la publicité n'était guère autre chose que la rumeur publique, n'eut pas de peine à considérer comme un malhonnête homme celui qu'on accusait d'être un mauvais fils. Condamné d'avance par l'opinion, effrayé des manoeuvres de Saurin, Rousseau se troubla, et pour échapper à une prison préventive qu'il redoutait, passa en Suisse, où le comte du Luc, ambassadeur de France, lui offrit un asile. Il apprit à Soleure qu'un arrêt du Parlement, du 7 avril 1712, le déclarait l'auteur des couplets, et le bannissait à perpétuité du royaume. Le 7 mai suivant, le nom du poëte que Boileau avant sa mort, avait désigné pour son successeur à l'Académie Française, fut attaché à un poteau, en place de Grève, par la main du bourreau.

Ainsi finit ce déplorable procès, qui rendit Rousseau, durant trente ans, digne de pitié. Saurin est-il coupable? nous n'osons l'affirmer; mais la lecture attentive des pièces nous donne contre lui ou contre ses amis de fortes présomptions. Peut-être aussi n'est-ce qu'un méchant sans nom qui aura tout fait dans l'ombre, et qui sera resté lâchement spectateur du mal causé par un jeu si criminel. Quant à Rousseau, nous le disons avec une conviction profonde

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