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Afmodée, tous les gueux que la fortune enrichit brusquement deviennent avares ou prodigues. C'est la régle.

Apprenez-moi, dit l'Ecolier, qui eft une belle Dame que je vois à fa toilette & qui s'entretient avec un Cavalier fort bien fait. Ah! vraiment s'écria le Boiteux, ce que vous remarquez-là mérite bien votre attention. Cette femme eft une veuve Allemande qui vit à Madrid de fon douaire, & voit très bonne compagnie; & le jeune homme qui eft avec elle, eft un Seigneur nommé Don Antoine de Monfalve.

Quoique ce Cavalier foit d'une des premieres Maifons d'Efpagne, il a promis à la veuve de l'époufer. Il lui a même fait un dédit de trois mille pistoles; mais il est traversé dans fes amours par

fes parens, qui menacent de le faire enfermer, s'il ne rompt tour avec l'Allemande

commerce

qu'ils regardent comme une avanturiere. Le galant mortifié de les voir tous révoltés contre fon panchant, vint hier au foir chez fa maîtreffe, qui s'appercevant qu'il avoit quelque chagrin, lui en demanda la caufe; il la lui apprit en l'affurant que toutes les contradictions qu'il auroit à effuyer de la part de fa famille ne pourroient jamais ébranler fa conftance. La veuve parut charmée de fa fermeté, & ils fe féparerent tout deux à minuit, très-contens l'un de l'autre.

Monfalve eft revenu ce matin. Il a trouvé la Dame à fa toilette, & il s'eft mis fur nouveaux frais à l'entretenir de fon amour. Pendant la converfation, l'Allemande a ôté fes papillotes. Le Cava

lier en a pris une fans réflexion, l'a dépliée, & y voyant de fon écriture Comment donc, Ma

:

dame, a-t-il dit, en riant, eft-celà l'ufage que vous faites des billets doux qu'on vous envoye? Oui, Monfalve, a-t-elle répon→ du, vous voyez à quoi me fervent les promeffes des amans qui veulent m'époufer en dépit de 'leurs familles ; j'en fais des papillottes. Quand le Cavalier are connu que c'étoit effectivement fon dédit que la Dame avoit dé chiré, il n'a pu s'empêcher d'admirer le défintéreffement de fa veuve, & il lui jure de nouveau une éternelle fidélité.

Jettez les yeux, poursuivit le Diable, fur ce grand homme fec qui paffe au-deffous de nous. Il a un grand registre fous fon bras, une écritoire pendue à fa ceinture,

& une guitarre fur le dos. Ce perfonnage, dit l'Ecolier, a un air ridicule; je gagerois que c'est un original. Il eft certain, reprit le Démon, que c'est un mortel affez fingulier. Il y a des Philofophes Cyniques en Efpagne. En voilà un. Il va vers le Buen-Retiro fe mettre dans une prairie où il y a une claire fontaine dont l'eau pure forme un ruiffeau qui ferpente parmi les fleurs. Il demeurera-là toute la journée à contempler les richeffes de la nature, à jouer de la guitarre & à faire des réflexions qu'il écrira fur fon registre. Il a dans fes poches fa nourriture ordinaire, c'est-à-dire quelques oignons avec un morceau de pain. Telle eft la vie fobre qu'il mene depuis dix ans, & fi quelque Ariftipe lui difoit comme à Diogènes: Si tu fçavois faire ta cour

aux Grands, tu ne mangerois pas des oignons; ce Philofophe moderne lai répondroit : Je ferois ma cour aux Grands, auffi-bien que toi, fi je voulois abaisser un homme jufqu'à le faire ramper devant un autre homme.

En effet, ce Philosophe a autrefois été attaché aux Grands Seigneurs ; ils lui firent même fa fortune: mais ayant fenti. que leur amitié n'étoit pour lui qu'une honorable fervitude, il rompit tout commerce avec eux. Il avoit un carroffe qu'il quitta, parce qu'il fit réflexion qu'il éclabouffoit des gens qui valoient mieux que lui. Il a même donné prefque tous fes biens à fes amis indigens; il s'est feulement réservé de quoi vivre de la maniere qu'il vit; car il ne lui paroît pas moins honteux pour un Philofophe d'aller mandier fon

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