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plus grand mal eft que nous ne pou vons jamais imiter que les défauts de notre modéle. J'ai vû deux méthodes de voix fe fuccéder à Paris, & toutes les deux avoient pris leur fource dans l'imitation.

La fameuse Champmêlé, fi brillante du tems de Racine, avoit une voix fonore & fort éclatante dans le haut. Les tons élevés lui étant favorables, elle les employoit avec fuccès. Ses imitatrices que j'ai vû jouer dans ma jeuneffe ne connoiffant peut-être d'autre beauté dans fon jeu que les fons brillans qui leur frappoient l'oreille, vouloient toutes chanter auffi haut, ce qui produifoit des glapiffemens affreux dans celles dont la voix n'étoit pas propre à cette façon de déclamer. La Lecouvreur a fait naître une maniere toute différente. La nature avoit donné à cette admirable Actrice une

voix fourde & d'une très-petite étendue. Ses talens fupérieurs effaçant en elle un auffi grand défaut, elle étoit attendriffante au dernier point. Celles qui cherchoient à l'imiter s'imaginant que le touchant de la Lecouvreur venoit de fa voix fourde, la copioient dans ce défaut. Elles affectoient de prendre le ton le plus bas qu'elles pouvoient, & de gâter le fon naturel de leur voix. Par-là on entendoit des femmes parler avec une voix d'homme, & cette voix n'étant pas foutenue par une poitrine affez forte, devenoit trifte & lugubre, au lieu d'être flatteufe & touchante.

Toutes ces voix d'imitation font très-défectueufes. L'on eft également défagréable en parcourant trop fouqui fe trouvent de part

vent les fons

ou d'autre à l'extrêmité de la voix; c'est le medium que l'on doit em

ILA DECLA

ployer ordinanement, parce qu'il ene la parte la plus belle & la plus fonore. On peut en fortir quelquefois, mais ce doit être avec modération & dans les occafions où cela devient abfolument néceffaire. Sur tout point de voix empruntée, car elle ne fçauroit avoir beaucoup d'é tendue, & par conféquent elle eft privée de la variété des fons qui ne provient que de l'éloignement qui peut fe trouver entr'eux.

Après avoir parlé des parties méchaniques du Théâtre, & qui ne font, pour ainfi dire, que les inftrumens dont l'Acteur eft obligé de fe fervir pour la représentation, il faut paffer à celles qui forment le jeu, & qui ne dépendent que de l'entende

amment.

Les anciens ne prenoient qu'en AKTION. mauvaise part le mot de Déclama

tior, & fon étymologie fait voir qu'ils n'appelloient Déclamateurs que ceux qui parloient em criant.. I faur prendre garde de nous tromper au vrai fens de ce terme.. Ce n'eft point la force de la voix qui fait le eri, c'est la façon de porter le fon, & für tout la fréquente rechute aux intervalles de même efpece, c'eft ce que j'expliquerai peu à peu dans la fuite. Les Comédiens & les Ora teurs chez les Romains: parloient avec beaucoup de force; ils étoient obligés d'élever fans ceffe: la voix pour être entendus par une foule im menfe d'Auditeurs. Les Orateurs facrés font obligés d'en ufer de même, lorfqu'ils font dans un lieu vafte; les Comédiens en Italie parlent beaucoup plus haut qu'en France, parce que leurs Théâtres font plus grands: cependant tout cela fe fait fans déclamer. C'est la véhémence & la mo B &

notonie jointes ensemble, qui forment la déclamation. Commencer bas, prononcer avec une lenteur affectée, traîner les fons en langueur fans les varier, en élever un tout-àcoup aux demi-pauses du fens, & retourner promptement au ton d'où l'on eft parti; dans les momens de paffion, s'exprimer avec une force furabondante, fans jamais quitter la même espece de modulation, voilà comme on déclame. Ce qui paroît le plus furprenant, c'eft qu'une pareille façon de dire foit née en France & s'y foit toujours confervée. La nation du monde qui recherche le plus. la grace, la douceur & l'aifance, & qui a plus que toute autre le talent d'y réuffir, eft celle chez qui le Théâtre a de tous tems adopté la mono. tonie, la pefanteur & l'affectation. Je ne prétends point ici faire la fatyre des Comédiens d'aujourd'hui

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